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Rencontre avec Aliocha Schneider : « C’est là que je suis le plus proche de moi-même »

Aliocha Schneider
©William Arcand

Après deux albums en anglais, le chanteur et comédien Aliocha Schneider dévoilait en septembre dernier un troisième opus, en langue française cette fois-ci. Nous l’avons rencontré pour parler de sa double carrière, du manque en amour et d’arriver à être le plus soi-même possible.

Comédien comme ses frères, Niels et Vassili, Aliocha Schneider mène en parallèle une carrière musicale depuis son premier album en 2017. Bercé par la folk anglophone, il s’est tourné vers sa langue maternelle, le français pour parler plus directement à son public francophone de la France au Québec. Dans ce nouveau disque, en partie écrit sous le soleil grec, où il était en tournage, Aliocha Schneider parle d’amour avec douceur comme un marin en exil loin de l’être aimé.

C’est ton troisième album, il porte ton nom en toute simplicité et tu as fait le choix du français contrairement aux deux albums précédents… Quelle en a été la genèse ?

La genèse de l’album, je crois que c’est le français justement. Le début de l’histoire, c’est que mon deuxième album sort en plein confinement et la tournée est annulée. Je voulais quand même le faire vivre et j’ai l’idée de traduire une chanson en français. De toute façon, ça faisait longtemps que j’avais envie de chanter en français. Là, j’avais le temps de m’y mettre vraiment. C’était complexe parce que je n’avais pas trouvé mes marques en français.

J’ai fini par traduire une de mes chansons. « Forget My Blues » est devenu « C’est tout, c’est rien ». Et ça m’a beaucoup plu. Je trouvais que j’avais réussi à rester dans mon style musical et à respecter tout mon bagage et mes influences mais en français qui est ma langue maternelle. C’est quelque chose de plus cohérent. Et l’idée a germé de tenter un EP en français… « C’est tout, c’est rien » c’est la première fois que je collaborais avec Marc-André Gilbert qui a fait les arrangements. On a commencé à co-écrire ensemble, on a été inspiré et c’est devenu un disque. Mais l’idée, première c’était le français.

Avant, tu n’y arrivais pas ?  

Non, je n’y arrivais pas. Même en anglais, au départ, j’étais très influencé par Bob Dylan, je reprenais des mimiques de Bob Dylan. Et en français, je suis retombé à zéro. J’écoutais beaucoup un artiste qui s’appelle Jean Leloup, qui m’a pris un peu sous son aile. Le Québec m’a aidé. C’était une grande influence avant même que je le connaisse et quand j’écrivais en français, c’était presque une pâle copie de Jean Leloup. Il m’a fallu du temps pour trouver mon truc à moi, ma façon de parler entre l’accent français et l’accent québécois. J’ai grandi au Québec mais j’ai une famille française. Dans la vie, j’ai deux accents.  Avec ma famille, j’ai l’accent français et avec mes potes, au Québec, je reprends l’accent québécois. Donc là dans ma musique, la question était, quel Aliocha je veux être ? 

Et justement, là, tu rajoutes ton nom de famille aussi, ce qui n’était pas le cas sur tes albums en anglais…

Oui, ça c’est pour d’autres raisons. Au départ, j’avais enlevé Schneider peut-être que c’était pour me dissocier de ma carrière de comédien. À ce moment-là, je faisais des émissions jeunesse au Québec. Je faisais des rôles qui ne me plaisaient pas énormément artistiquement. Je trouvais que ça n’avait pas de sens d’avoir le même nom mais maintenant, ça a changé. Pour moi, c’est un tout. J’arrive à faire des choix qui me plaisent en tant que comédien.

Depuis l’enfance, tu es comédien et musicien. Comment gères-tu ces deux carrières en parallèle ?   Est-ce qu’il y en a une qui prend plus de place ? 

 J’y vais vraiment au projet. La musique, c’est mon bébé. Alors que le cinéma, autant je suis heureux sur un plateau et c’est ma passion, autant ça dépend du projet. Et en plus, si je peux être investi sur un plateau, une fois que c’est fini, je suis déjà ailleurs. La musique, ce n’ est jamais comme ça. Elle restera toujours mon projet. De toute façon, je crois vraiment que je n’aurai jamais à faire un choix. Et même si la musique, ça se passe tellement bien que je n’ai pas le temps de tourner pendant trois ans, ce sera comme ça. Et si un jour, il y a un truc génial qui arrive, je le prendrai.  Mais je ne m’impose pas de règles tant que je peux me permettre de choisir des projets qui me plaisent.

La particularité de cet album, dans les thématiques qui tournent autour des sentiments amoureux, on a l’impression d’écouter les confessions d’un marin en exil… Ça vient d’où ? 

C’est drôle, le marin en exil, c’est vrai qu’il y a peu de ça. C’est venu justement parce que c’était vraiment ça. En réalité, j’ai surtout écrit l’album à Montréal, mais c’était une année où j’ai été pendant huit mois en Grèce. J’avais deux projets, la série de Klapisch (Salade grecque, ndlr) mais j’ai aussi tourné dans un film allemand. J’étais habité par ça. À la fois par la distance des gens que j’aime, de ma copine… Il y a quand même une certaine mélancolie, je pense, qui se ressent.

Mais d’un autre côté, ça a été une période où j’étais très heureux dans ma vie. Je côtoyais des gens formidables. J’étais à Athènes que je ne connaissais pas. C’était la chaleur, la mer… c’est pour ça même si ce n’est pas tellement conscient, que naturellement il y a beaucoup de métaphores par rapport à la mer. Ce ne sont pas du tout les sujets de mes disques précédents et c’est parce que j’étais là-bas. 

Il y a une interrogation sur la notion de manque et de ce qu’est une relation à distance. Tu avais besoin de poser des mots sur ce que tu ressentais ? 

C’est la première fois de ma vie que ça m’arrivait vraiment. Ce sont des questionnements qui amènent des choses plus larges par rapport à la façon d’envisager la vie. Est-ce qu’on envisage la vie à long terme ou est-ce qu’on vit juste le moment présent ? Quand tu es pendant six mois loin de quelqu’un, tu n’es pas dans le moment présent. Mais d’un autre côté, c’est quelque chose auquel tu tiens plus fort que tout et ça crée des questionnements plus profonds encore. Et puis en plus, le manque, comme toujours, exacerbe ce qu’on aime. On se rend compte qu’on aime quelque chose souvent quand ça nous manque. C’est pour ça que cet album-là est composé de chansons d’amour.  

Tu parlais de mélancolie, mais c’est une mélancolie, particulière car elle est plutôt joyeuse dans les arrangements, non ? 

Oui, car encore une fois, ce que j’ai voulu exprimer, c’est l’état dans lequel j’étais réellement pendant cette année d’écriture où j’étais en Grèce et donc c’était très joyeux. Mais de toute façon, la vie n’est jamais aussi simple et binaire que : je suis heureux ou je suis malheureux. Il y a toujours des moments de bonheur ou de tristesse qui se glissent et c’est cette complexité aussi qui m’intéresse.

Est-ce qu’en tant que comédien, tu as pu gérer la scène plus facilement ?  

Je croyais. C’est vrai que pour ma première scène, j’étais super confiant. Je me disais «  pas de soucis, je suis comédien, je joue au théâtre  ». C’était en 2016, pour le premier album, et en fait… j’ai vomi avant de rentrer sur scène… Tu te sens tout nu. Ce sont tes chansons, c’est complètement toi. Tu ne peux pas te cacher derrière un personnage. C’est vraiment différent. 

Tu as dû réapprendre à appréhender la scène, donc ?

Complètement. C’est une autre démarche.  Parce que quand tu es comédien, par exemple, il y a des acteurs bègues, des personnes timides ou réservées qui quand ils entrent sur scène, sont capables d’avoir une folie car il y a un texte. Mais sans ça, on se retrouve vraiment nous-mêmes.  C’est plus compliqué.  

Tu le vois comme une mise à nu, une intimité dévoilée ?  

Exactement. Mais en plus là, ça fait longtemps que je ne suis pas monté sur scène comme on a pas pu tourner avec le deuxième disque. Là, on a commencé les répétitions cette semaine, c’est vraiment un plaisir de rejouer avec des gens. J’adore le studio mais c’est autre chose.  Et là, je me retrouve encore dans cette position, je suis assez confiant par rapport à la scène mais je me demande justement si le jour J, je vais peut-être dégueuler encore un quart d’heure avant d’arriver. J’ai vraiment très hâte que les chansons existent sur scène.

L’instrument le plus important de cet album, c’est la guitare, quel est ton rapport à elle ?  

C’est comme ça que je compose. Souvent, même, les chansons naissent d’un riff de guitare, et le texte vient après. Ensuite, je trouve une mélodie, en faisant du yaourt en anglais et à partir de là, je traduis en français. Et après, sur le disque, c’est drôle parce qu’on a tenté différentes choses. Une chanson comme «  Suspendus  », par exemple a eu mille versions. Je l’ai composée au piano, après on a fait des trucs plus électro, avec du vocodeur… Puis, on a fait une autre version plus néo-soul, vraiment différente. Et c’était comme si on se lassait très vite de ces versions.

On a travaillé vraiment à travers le temps, et souvent, on adorait les versions, et on les écoutait un mois après, on ne les trouvait pas incarnées. Et finalement, inévitablement, on retournait  à la guitare, qui me ressemble. Parfois, on a envie de s’éloigner de soi-même, pour être différent, mais finalement, je trouve que c’est là que je suis le plus proche de moi-même, et c’est là que c’est le plus intéressant.  

Tu as appris la guitare quand tu étais enfant ? 

C’était mon premier instrument. Pas particulièrement jeune, vers 13 ans,  je crois. Et puis, les artistes que j’admirais aussi à l’époque étaient très basés sur la guitare : Bob Dylan, Elliot Smith. La folk. 

Pour cet album, est-ce qu’il y a des inspirations de chansons francophones ou tu as gardé tes influences folk ? 

En vérité, je reste quand même avec mes inspirations de folk. Récemment, j’ai dû faire une reprise  de Nino Ferrer, «  Le Sud  ».  Et j’ai choisi cette chanson-là parce que je trouvais que lui, il avait bien réussi dans un style folk, à chanter le français. Enfin, ce n’est pas tout le monde qui arrive à faire quelque chose comme ça, qui me plaît à moi. Et en m’intéressant à la chanson, je me suis rendu compte qu’il avait composé en anglais d’abord. La chanson s’appelle «  The South  », et c’est son label qui l’a poussé à la traduire. Et moi, personnellement, je préfère vraiment la chanson en français. Mes influences en chanson restent majoritairement anglophones. Mais récemment, j’ai énormément écouté  Barbara, par exemple et j’aime beaucoup Feu ! Chatterton et La Femme.

Est-ce que tu composes différemment en écrivant en français ?

Oui. C’est comme si je devais être beaucoup plus précis. Souvent, en anglais, je laissais des  phrases qui sortaient comme ça, qui sont un peu vagues mais qui sonnaient bien. Ça me plaisait justement de laisser un truc plus libre à l’interprétation. En français, j’ai l’impression que c’est plus direct. Il se trouve que sur cet album particulièrement, je suis allé raconter des choses beaucoup plus intimes. C’est comme si en anglais, je pouvais m’inventer un personnage. Je parlais d’accent : en anglais, je n’ai pas d’accent. Je peux prendre l’accent de quelqu’un d’autre et jouer avec ça.  En français, je ne peux pas.  Il faut que ce soit moi, donc ça change quand même quelque chose. 

Finalement ton projet tourne autour des personnages et d’arriver à être toi ? 

C’est difficile de ne pas jouer un personnage de toute façon, dans la vie en général.  Mon but, c’est de jouer le moins possible un personnage sans trop se demander : qui suis-je  ?

Mais c’est comme si avec cet album par rapport à ce que tu disais sur la scène, la composition,  le français, tu tendais à aller de plus en plus vers une version de toi la plus proche possible…

C’est juste que je suis convaincu que moins on invente, plus c’est fort. Et stupidement, on pense vraiment l’inverse. On pense que ce qu’on a sous la main ne vaut rien. Et du coup, il faut trouver autre chose pour que ce soit extraordinaire. C’est Barbara, justement, qui disait ça, : je n’invente rien, tout ce que je dis est vrai, je n’ai aucune imagination. J’aime cette idée-là. Et je lisais la biographie de Renoir, par son fils, Jean Renoir, et il dit exactement la même chose que Barbara. Il dit : «  je pense que l’artiste devrait utiliser le moins possible qu’on appelle l’imagination.  » Pour moi, ça rejoint cette volonté, mais même avec cette conscience ce n’est pas évident.

Est-ce que dans l’évolution de ton projet musical, tu vas poursuivre dans ce style-là en français ? 

Pour l’instant, oui. Il m’arrive encore d’écrire des chansons en anglais avec le désir de les traduire, mais je n’y arrive pas. Dans l’idée, je vais continuer d’écrire en français. Même le fait d’avoir rajouté mon nom de famille, c’est un nouveau projet. Et puis, quand j’ai commencé à chanter en anglais j’avais 17 ans. Lorsque j’écrivais de la musique, je ne pensais pas du tout m’inscrire dans un marché. Je faisais de la musique pour l’univers, pour le monde. Et aujourd’hui, de façon réaliste, les gens qui écoutent ma musique, sont en France, au Québec, ou en Europe, dans la francophonie.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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