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MARDI SÉRIE – « Toute la lumière que nous ne pouvons voir » : Clair-obscur

Toute la lumière que nous ne pouvons voir - Une pluie de prospectus lancés dans la ville
© Netflix

Le 2 novembre dernier, Netflix diffusait la mini-série Toute la lumière que nous ne pouvons voir (All the light we cannot see). Adaptée du livre du même nom écrit par Anthony Doerr en 2014, cette création en quatre épisodes est prometteuse mais inégale.

1944, Saint-Malo. En cette fin de Seconde Guerre mondiale, la population tente de survivre, malgré la menace constante de bombardements nocturnes. Dans le grenier d’une imposante maison, entre la poussière volante et différents meubles laissés ça et là, Marie-Laure Leblanc (Aria Mia Loberti) s’enregistre sur une fréquence radio. Aveugle depuis ses six ans, la jeune fille est isolée et vulnérable face au danger. Elle lance des appels à son père et son oncle. À quelques rues de là, Werner Pfennig (Louis Hofmann) entend sa voix. La fréquence est officiellement interdite mais le soldat allemand ne peut s’empêcher de couvrir l’émettrice. Sans que Marie-Laure et Werner ne le sachent, un point commun les unit depuis l’enfance : un vieux professeur parlant de liberté et de lumière. Écrit par Steven Knight (Peaky Blinders), le scénario se déplie alors sans trop d’embûches.

Marie-Laure (Aria Mia Loberti) enregistrant un passage d'un livre de Jules Verne sur une fréquence radio interdite
© Netflix

Amorces multiples

L’un après l’autre, les épisodes s’enchaînent et déploient une structure alternant entre présent et époques passées. Les flash-backs se multiplient, entre Paris en 1934, et Saint-Malo au début de la guerre. Le passé est lumineux et heureux, le présent sombre et douloureux. Si leur insertion dans la narration est relativement classique, ces allers-retours ont l’avantage de faciliter la compréhension des enjeux traversés par les personnages. Dans la cité corsaire prise sous l’assaut des bombes alliées, chacun suit sa quête personnelle. Une seule ligne de mire collective : survivre.

Et c’est là l’écueil : la série manque de davantage de collectif et d’un parti-pris plus précis. La narration s’engouffre rapidement dans des labyrinthes à chemins multiples. Une jeune fille que la cécité n’empêche nullement d’oser, un orphelin passionné par les ondes et en proie à un cas de conscience complexe, un ancien soldat encore traumatisé par la précédente guerre, un père prêt à tout pour sa fille et un officier allemand cynique et secrètement malade, le tout sur fond d’une malédiction millénaire. Ce ne sont là que les arcs majeurs de ce scénario complexe. Il en compte bien d’autres qui sont non moins essentiels au déploiement de l’histoire. Seulement, sur quatre épisodes, difficile de s’engager profondément et équitablement dans chacune de ces pistes. Résultat : l’architecture générale est aussi bancale que lisse, générant un sentiment d’inachevé.

Le scénario s’avère prévisible et certains personnages se complaisent dans les clichés attendus. Les « bons » restent bons et, si le sort tourne à leur encontre, ils deviennent alors des héros. Quant aux personnages « mauvais », ils finissent généralement dans une posture peu glorieuse cherchant à éveiller une certaine satisfaction chez le spectateur. Satisfaction qui n’est alors qu’amère : l’on manque cruellement d’aspérités.

Toute la lumière que nous ne pouvons voir - Werner Pfennig (Louis Hofmann)
© Netflix

Derrière l’ombre, la lumière

À défaut d’un scénario plus abouti, le choix du casting deToute la lumière que nous ne pouvons voir enrichit indéniablement la série. Hétéroclite, international, il convainc autant qu’il ose. Le réalisateur, Shawn Levy, a pris le parti judicieux et censé de faire incarner Marie par deux actrices aveugles. L’enfant puis la jeune fille. Pour Nell Sutton comme pour Aria Mia Loberti, c’est un premier rôle tous formats confondus. Dans une interview donnée sur le tournage, la seconde explique que c’est le rôle qui est venu à elle et non l’inverse. Elle, qui doutait de pouvoir rendre justice à la Marie-Laure du roman, a pourtant réussi à lui donner un visage et un comportement réalistes et pertinents. Si le pari de Levy était double, il est brillamment relevé. Les actrices se révèlent dans un jeu précis et perçant.

Le reste du casting est également à la hauteur. Louis Hofmann, que l’on retrouve avec plaisir après son rôle principal dans Dark, conserve une sensibilité qui lui est propre. Sous une réserve apparente, il dévoile au fil de la série une personnalité entière et droite. Quant à Mark Ruffalo, il se renouvelle une fois de plus. Si ses différents rôles le révèlent dans des personnages parfois diamétralement opposés, il reste fidèle à lui-même. Ici, il incarne avec justesse un père attentif et protecteur. Soucieux du bien-être et de la survie de sa fille unique, il doit aussi faire face à ses propres démons.

Mark Ruffalo et la jeune Nell Sutton
© Netflix

Lors sa sortie, le roman d’Anthony Doerr reçut un bel accueil du public et de la critique. En 2015, il fut doublement récompensé par le prix Pulitzer de la fiction et la médaille Andrew Carnegie en fiction. La série Netflix se révèle plus fragile et en demi-teinte. L’on regrette quelques épisodes de plus dans lesquels le casting aurait su tenir un scénario plus sinueux, plus incertain. Cette mini-série reste une mise en lumière non négligeable de faits si particuliers et souvent mis de côté dans la narration du Débarquement.

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