LITTÉRATURE

« Contes d’un autre bois » – Il était une fois, la métamorphose radicale

© bertvthul / Pixabay
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Avec son ouvrage Contes d’un Autre Bois, Mélie Boltz Nasr propose une réinvention audacieuse des contes classiques.

Dans l’univers ensorcelant de Mélie Boltz Nasr, les princesses défient résolument les clichés, rompant avec l’image de la blonde passive, endormie, ou prête à se sacrifier pour un prince. Contes d’un autre bois revisite et transforme dix récits dont certains déjà explorés par l’autrice dans son premier ouvrage auto-édité, Re-contes (2020). Une réponse enrichie pour cette nouvelle version publiée par les éditions iXe.

L’autrice adopte une approche moderne, féministe et émancipatrice pour réinventer les contes classiques. Dans ces récits, deux archétypes bien définis règnent : l’homme et la femme, sans place pour une quelconque identité entre les deux. À travers une réinterprétation non binaire, Mélie Boltz Nasr nous incite à réécrire ces histoires que nous pensions figées. L’ouvrage compose en souplesse avec les possibilités offertes par l’écriture inclusive, qui, au fil des contes et selon les cas, intègre diverses formes pronominales non genrées et privilégie les accords de majorité et de proximité, ou encore le féminin générique.

Cette réinvention des contes classiques offre aux personnages une singularité bienvenue, et s’inscrivant de fait dans cette désormais longue liste de contes détournés, revisités et déformés, loin des versions édulcorées de Disney. Les princesses et les héros de ces histoires échappent aux carcans des rôles stéréotypés pour devenir des individus peureux, bizarres, émancipés.

Réécritures

Dès les premières pages, c’est le bois, lieu par essence du conte, ici totalement métamorphosé, qui nous introduit à cette relecture contemporaine. Au bois, le premier conte, donne le ton des récits à suivre, véritable relais du titre du recueil. « Promenez-vous dans nos histoires communes. Je suis le bois » invite-t-il directement les lecteurs. En se moquant des travers de l’humanité, des meurtres et des injustices, le bois nous enseigne que dans les pages à venir, tous les standards traditionnels que nous connaissons seront soit absents, soit tordus.

Mélie Boltz Nasr n’oublie pas la part sombre des contes, où les enfants sont dévorés par des loups, des ogres ou des sorcières. Le conte Perdues revisite par exemple l’histoire effrayante d’Hansel et Gretel avec humour. Chez elle, la maison en pain d’épice est devenue un supermarché et la sorcière un caissier. L’horreur, qui se fait satire de la société moderne, s’incarne ainsi dans la surconsommation.

Je tremble tellement que je n’arrive pas à ouvrir le paquet. Je regarde le monsieur, il me fait oui de la tête.

Antony, prends les bonbons que tu veux.

Le plastique est glissant. Je sens l’ombre du monsieur. Je n’ai même pas remarqué Grace. Elle s’assied à côté de moi avec ses bonbons préférés. Elle ouvre calmement son paquet. Elle ouvre le mien. Elle prend un de mes bonbons et me le met dans la main. Elle me regarde très sérieusement jusqu’à ce que je mette le bonbon dans ma bouche. Mon goût préféré explose sur ma langue.

Perdues, Contes d’un autre bois, Mélie Boltz-Nasr

Dans Sleeping Beauties, enfin, l’autrice redonne la parole à Belle, qui sommeille un siècle dans le conte original. Dans cette nouvelle version, la princesse retrouve sa voix et ose enfin dénoncer les abus. Après avoir passé cent ans à dormir, elle a tout de suite dû se plier à une vie de femme au foyer, élever un, puis deux enfants. Pour avoir la paix, elle assomme son Prince à coups de somnifères pendant des années. Elle le peint et le prend en photo, devenant une artiste mondialement connue. On peut ici y voir un parallèle avec les performances de l’artiste serbe Marina Abramović, qui transforme le corps en terrain d’expérimentation, en une œuvre d’art vivant.

Il allait me tirer vers le bas, m’empêcher de vivre cette vie, mettre en doute ma fragile identité d’artiste. […] Il était devenu mon œuvre. Et puis je me suis dit que ça ne lui faisait pas de mal. Qu’il s’était bien permis d’engrosser une femme endormie. […] Même dans son vieillissement, il me fascinait. Et pas que moi ! Le public ! Le public était tout aussi épris de lui. […] Chaque fois que j’annonçais que c’était la dernière série, le prix de mes travaux s’envolait et le marché de l’art s’affolait.

Sleeping Beauties, Contes d’un autre bois, Mélie Boltz-Nasr

Contes d’un autre Bois est empreint de colère : c’est un cri de réappropriation des contes en tant que symboles des normes binaires et de l’oppression. Les dix contes du recueil sont aussi palpitants que dérangeants, aussi exaltants que cruels. Mélie Boltz Nasr s’amuse à revisiter les récits bien connus des frères Grimm ou de Perrault, y ajoutant une juste dose de sarcasme. Malgré un rythme parfois effréné, l’autrice réussit à donner du relief à chacun de ses récits.

Contes d’un autre bois de Mélie Boltz-Nasr, éditions iXe, 18 euros

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