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Rencontre avec Aure : « J’ai envie que le lieu sonne dans ma musique »

Crédit Thomas Soulet

C’est avec A Few Notes, premier EP tendre et enivrant sorti ce vendredi, que Aure nous dévoile ses cartes postales de vie aux sonorités folk et singulières.

Imaginez une nuit étoilée autour d’un chaleureux feu de camp où l’on raconte de douces histoires. Voilà ce que la musique de Aure nous transmet, à travers son premier EP A Few Notes. Architecte de métier, la jeune artiste décide, durant son évasion au Mexique, de se lancer dans la musique. Un désir qui prend forme après des échanges de maquettes et démos avec Ambroise Willaume, ami de fac et ancien membre du groupe français Revolver, avec qui elle construit cette épopée sonore épurée et délicate. C’est dans son tout nouveau petit studio que Aure nous invite à discuter de son premier manifeste. Nous y échangeons sur son métier d’architecte et sur l’impact de celui-ci sur sa musique, ses années au Mexique et bien sûr, ses compositions.

A Few Notes a été enregistré dans une petite chapelle romane cévenole. Pourquoi cet endroit ?

Depuis le début, j’avais envie d’enregistrer ma musique dans un lieu avec une acoustique spéciale. Au départ, je pensais faire ça dans un lieu à côté de Paris où on avait fait un essai avec Ambroise Willaume, qui m’a aidée à faire les arrangements. On n’avait pas beaucoup de temps et je pense que je n’étais pas tout à fait prête. Du coup, l’essai n’avait pas été très concluant. 

L’été suivant, j’ai rencontré un ingé son, Patrick Jauneaud, qui a bossé dans des gros studios à Londres quand il était plus jeune. Aujourd’hui, il vit dans les Cévennes à côté de ma maison de vacances. Ma famille est originaire de là-bas, du coup j’y vais beaucoup. Mon père est peintre, ma grand-mère aussi, il y a toujours eu de la création dans cette maison, j’aime bien aller là-bas pour créer et écrire. Donc, j’ai rencontré Patrick qui m’a dit : « Pourquoi tu n’enregistres pas là ? » Il y a cette église dans notre petit hameau et la mairie nous a gentiment prêté les clés. Patrick m’a dit qu’il pouvait m’installer le matos et que, surtout, il fallait que je sois toute seule. Dans le sens où il ne fallait pas de producteur ou autre derrière moi car, me connaissant, il vaut mieux que je sois dans ma bulle. Je me suis donc retrouvée à enregistrer dans cette chapelle pendant quatre jours. 

J’ai pu prendre mon temps. J’ai d’abord enregistré la guitare, puis la voix, mais ça ne marchait pas. J’avais besoin de tout enregistrer en même temps pour avoir le feeling. J’ai pu tester toute seule ce qui me convenait. L’EP, c’est une prise d’une heure : le problème d’enregistrer dans l’église c’est qu’il y a de l’écho et aussi des sons de l’extérieur. Mais un jour, je me sentais bien. Il y avait des gens qui coupaient des arbres à côté, avec des bruits de tronçonneuse toute la journée. Je me suis donc concentrée pour l’heure du déjeuner, je n’avais qu’une heure. Quasiment tout est resté de cette petite heure. 

Tu es architecte de base. En quoi ton métier influe sur ta musique ?

Les lieux sont importants pour moi. Par exemple, je viens de faire une tournée en première partie de Andy Shauf. Je me suis rendue compte que les lieux trop abstraits et les salles de concerts toutes noires, c’est bien et il se passe des choses, mais je me sens beaucoup plus portée quand il y a un lieu, un bâtiment qui raconte une histoire. Je me suis toujours dit que j’avais envie que le lieu sonne dans ma musique. J’aime cette acoustique et cette reverb qui allait avec ce que j’écrivais. À la base, ça devait être un petit pavillon de musique à Versailles avec une pièce, où j’ai fait des sessions live, toute ronde, qui était faite pour créer comme une caisse de résonance.

Est-ce que c’était un choix de faire des compositions aussi épurées ?

Oui, complètement. Au départ, je ne voulais faire que guitare-voix. J’écoutais beaucoup l’album de Sibylle Baier, qui a été ressorti par son fils. Quand j’ai commencé à Mexico à écrire des chansons et à chercher quelqu’un pour m’aider à enregistrer, j’avais toujours besoin de faire écouter ça : « Regarde cet album, c’est hyper beau. Je voudrais un truc simple comme ça. » Pour finalement finir par travailler avec Ambroise, à qui j’envoyais beaucoup mes musiques.

Je suis très contente de ce qu’on a fait ensemble mais je pense que c’était pas hyper évident pour lui non plus, parce que moi j’en voulais surtout pas trop. Le fait que quelqu’un m’aide à faire les arrangements, j’avais besoin d’y participer. Il y avait donc cette envie que ça reste simple et celle de maîtriser un peu le sujet. C’est là que l’architecture rejoint quand même ma musique, car j’aime bien quand ce n’est pas trop surchargé. J’aime quand il reste de l’espace pour que la personne s’approprie le lieu. Il y a ce désir de faire des choses assez dépouillées. 

Tu as cité plusieurs fois Ambroise Willaume (Sage/Revolver). Est-ce que tu peux parler de ton amitié avec lui, ce qu’il a apporté à cet EP ? Et est-ce qu’on peut envisager un duo par la suite ?

J’aimerais beaucoup pour un duo mais ça m’étonnerait que ça arrive. Je pense qu’il me voit plus en tant qu’architecte que musicienne. Ambroise, je l’ai rencontré en école d’architecture en première année. Puis en deuxième année, il est tombé malade et il a dû arrêter. En tout cas, je me souviens de l’histoire comme ça. Il s’est vraiment lancé dans la musique à cette période-là, au point de tout arrêter. Son père lui avait laissé un an et tout de suite avec son groupe Revolver, ça a décollé. On est resté très amis après. Ça faisait un petit bout de temps que j’avais envie d’avancer dans la musique mais je ne savais pas si j’étais capable d’écrire. En tout cas, on en parlait assez souvent.

Puis, quand je suis partie vivre à Mexico il y a quelques années, c’est là que j’ai vraiment commencé à écrire. Je lui envoyais mes maquettes et c’est sur le morceau « Suddenly » qu’il m’a dit : « Viens, on finit la chanson ensemble ». Du coup, j’étais super contente de pouvoir travailler avec lui ! Il m’a aidée à choisir les morceaux, car j’en avais beaucoup plus que ça, à avoir une vision d’ensemble sur le projet et à faire ses arrangements. Il me disait que parfois, des artistes en veulent des tonnes, mais que moi au contraire c’était l’extrême inverse. (rires) Puis c’était pas facile pour moi « débutante » de lui dire non alors qu’il est reconnu comme artiste. Mais on est très contents du résultat ! Je ne me rendais pas compte à quel point c’était super d’avoir quelqu’un comme lui à mes côtés pour me donner un coup de main. 

Tu as parlé du Mexique où tu as vécu. Est-ce que tu peux m’en dire plus sur cette période ?

J’ai un cousin qui est architecte là-bas, dont je suis très proche. L’idée était de faire quelques projets ensemble. J’avais ma boite d’archi à Paris et je ne faisais que bosser depuis des années. En arrivant là-bas, j’ai eu un petit temps de transition sans client. J’ai attendu un ou deux mois avant de reprendre. La musique, j’avais toujours ce truc-là. J’avais commencé un petit projet de groupe avec un ami avant d’aller au Mexique, ça m’avait vraiment donné envie d’aller plus loin.

Du coup, en arrivant là-bas, j’ai pris un peu de temps pour ça. À partir de là, je me suis mise à écrire des chansons et j’ai commencé à mieux distinguer l’archi et la musique. Le Mexique m’a fait changer de perspective. Ça a été un pays super inspirant pour moi car il y a un gros mélange de culture, en acceptant toujours les choses qui viennent d’ailleurs. Il y a un côté un peu mystique chez eux, tout est permis, on peut penser ce qu’on veut, avoir les croyances qu’on souhaite et ça m’a pas mal portée artistiquement. Ça m’a donné des ailes d’être loin et de sortir de ce rôle d’architecte que j’avais auprès de mes amis.

Tu as commencé à quel âge la musique ? Et pourquoi t’être dirigée vers la folk ?

Mon père écrit des chansons françaises. Du coup, les repas familiaux finissaient presque toujours en chanson. Puis j’ai fait un peu comme tout le monde, j’ai appris à jouer du piano et de la guitare quand j’étais ado. Pour la folk, c’était plus les moyens du bord. J’avais ma guitare, j’avais surtout envie de chanter et de raconter des choses. J’ai fait des essais avec des logiciels comme Ableton Live mais je m’y suis moins retrouvée. Avec une voix et une guitare, je peux enregistrer n’importe quoi, ça va bien sonner. Cette envie vient sûrement de ces repas où je voulais que mes chansons puissent être chantées à la fin du déjeuner ou du dîner… Même si je vais avoir plus de mal à chanter moi-même mes morceaux que des chansons mexicaines.

L’EP est chanté en anglais sauf sur deux chansons. Il y a « Todo lo que busco » et « Dans la plaine ». Peux-tu nous expliquer ce qu’elles racontent ? Et pourquoi avoir changé de langue ?

Quand j’ai commencé à écrire, c’était donc à Mexico. Pour moi, le faire en français, c’était pas évident. Mais je ne me suis pas forcée non plus. Je n’étais pas en France et je ne me voyais pas écrire une musique que personne ne comprendrait. Je me suis laissée aller à la spontanéité. Je me suis pas limitée et c’est venu plus en anglais. J’étais contente d’être comprise.

La chanson « Todo lo que busco » part du principe que chaque langue a sa musicalité, et j’adore chanter en espagnol. Je n’ai pas beaucoup d’outils pour composer, donc les langues entrent en considération. Cette chanson parle de choses que je n’avais pas forcément envie de dire en français. Parfois, les mots qui existent dans une langue sonnent moins bien dans une autre. J’ai essayé de traduire certains morceaux mais ça ne marchait pas. On est des générations où on parle plusieurs langues.

Sinon, « Dans la plaine », c’est la chanson que j’ai écrite en deux minutes. Je m’étais mise au piano et presque en une prise, je l’ai écrite. J’en avais d’autres en français, mais en discutant avec Ambroise on a préféré garder celle-là.

Avec le premier titre « The Line », qui parle du fait de prendre des chemins différents, non linéaires, on voit comme une introduction à ton EP, avec tous les chemins que tu as pris… Est-ce que c’était voulu, ce sens ?

Je ne l’avais jamais vraiment mis en parallèle avec les langues. Mais en tout cas oui, ça parle d’un changement de vie, de s’autoriser à prendre des chemins de traverse. J’étais dans un moment de vie où beaucoup de choses changeaient, bougeaient. Comme mon envie de faire de la musique face à mon métier d’architecte. Je n’ai pas fait grandir ma boite pour cette envie-là. Accepter que parfois on s’était tracé un chemin et qu’en fait il y a d’autres choses qui nous appellent. J’étais très « J’ai un objectif » et concentrée dans l’archi… Mais au bout d’un moment, il y a eu trop de curiosité d’aller explorer à droite, à gauche.  « The Line » représente beaucoup les frontières. Les gens se désignent beaucoup par « On est ci, on est ça », on parle telle ou telle langue. J’ai toujours bien aimé dans la vie avoir des amis différents, rencontrer des gens d’ailleurs.

Je vois l’EP comme de jolies cartes postales. Avec qui aimerais-tu avoir une correspondance

J’ai lu les correspondances entre Camus et René Char. J’ai trouvé la façon dont ils se parlent superbe. Ces échanges sur l’art et la culture… Si il n’y a pas de limites sur la personne, je dirais Nick Cave. Parce que j’aime bien sa musique, sa façon d’écrire tous les jours. J’aimerais pouvoir lui écrire quelque chose et avoir son avis, peut-être.

Aure sera en show-case le 14 décembre à Balades sonores à Paris.

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