L’Agendart c’est la sélection culturelle du mois par Maze. Au programme en novembre 2023 : Ivo Van Hove au Théâtre de la Ville, le portrait d’une youtubeuse par Susanne Kennedy et Markus Selg et de la peinture avec Issy Wood et Mark Rothko.
Ivo Van Hove explore Ingmar Bergman
Dix ans après sa création à Amsterdam, Ivo Van Hove reprend son diptyque bergmanien Après la répétition/Persona avec un casting français (Charles Berling, Emmanuelle Bercot et Justine Bachelet). Dans Après la répétition (1984) un metteur en scène échange avec son actrice principale dont il s’éprend et qui s’avère être la fille d’une comédienne avec laquelle il avait déjà eu une relation (un scénario qui n’a pas forcément bien vieilli…). Ici le théâtre est au centre, il est tout pour les personnages qui cherchent sans cesse à monter une pièce ou à jouer. Dans Persona (1966), c’est quasiment tout l’inverse. Une comédienne dépressive, mutique depuis une représentation d’Electre, se retire au bord de la mer. Elle est accompagnée d’une jeune infirmière qui, face au silence de sa patiente, se jette dans un flot de paroles et de confidences. Une intimité se tisse qui se transforme pourtant vite en rapport de force.
Si on comprend le désir d’Ivo Van Hove de faire dialoguer ces deux œuvres qui interrogent le rôle du théâtre, on s’interroge quand même face à la différence de niveau entre les deux scénarios de départ. D’un côté, Persona est un chef d’œuvre incontesté. Ivo Van Hove en donne d’ailleurs une très belle lecture. La scénographie de cette deuxième partie -très aquatique- est particulièrement sublime et Emmanuelle Bercot livre une magnifique performance de jeu. Silencieuse pendant 1h30, elle n’est qu’un corps qui écoute et observe. Parfois nue, elle semble incarner un tableau de Lucian Freud ou Francis Bacon.
En comparaison, Après la répétition apparait comme un film beaucoup plus secondaire. Surtout, on supporte mal les clichés sur la représentation des femmes (hystériques ou manipulatrices) et leurs relations avec les hommes (prêtes à se jeter au cou de n’importe quel génie, y compris s’il a l’âge de leur père). Un spectacle en deux parties et deux ambiances malheureusement très différentes…
Après la répétition/Persona d’Ivo Van Hove d’après Ingmar Bergman au Théâtre de la Ville jusqu’au 25 novembre. Durée : 3h avec entracte. Tarif : 8-38€. Informations et réservations : ici
Le mal-être d’une influenceuse selon Susanne Kennedy
C’est une metteuse en scène dont on va entendre parler. Avec Angela [a strange loop], présenté une première fois au festival d’Avignon l’été dernier, Susanne Kennedy dresse le portrait totalement loufoque d’une influenceuse rongée par un mal-être existentiel. Des décors numériques imaginés par le plasticien Markus Selg – un chien en peluche qu’Angela tient entre ses mains prend la parole sur grand écran pour narrer l’histoire de sa maîtresse – au jeu lent et étrange des acteurs, en passant par les sons qui viennent incruster les dialogues, la pièce entretien volontiers une sorte de malaise.
On mélange les genres, entre fable rétrofuturiste et dystopie étrange. On ne sait pas bien où l’on est, les personnages ne nous aident pas à savoir. Le numérique est partout, omniprésent, le temps se dilate. Angela se filme sur son smartphone, se roule en boule dans son lit. Difficile d’aimer cette Angela, trop étrange pour être appréciée. Son destin n’en fascine pas moins. Au moins autant que l’univers d’une incroyable étrangeté imaginé par Susanne Kennedy. Une pièce comme un voyage dans le temps, dont on ressort un peu béat et très intrigué.
Angela [a strange loop], un spectacle de Susanne Kennedy et Markus Selg, du 8 au 17 novembre à l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Informations et réservation.
Issy Wood, jeune sensation de la peinture britannique à Lafayette Anticipations
L’exposition ouvre avec un tout petit format sur lequel se dessine le mot « NO » enveloppé de fleurs. C’est l’œuvre qui donne son nom à cette exposition « Study for No » visible à Lafeyette Anticipations jusqu’au 7 janvier 2024. Un tableau qui donne aussi le ton de cet accrochage oscillant entre féminin, gore et résistance. En 2020, Issy Wood a refusé d’être représentée par le galeriste Larry Gagossian, probablement l’homme le plus influant du monde de l’art. Elle est aussi revenue sur ses relations avec le producteur de musique Mark Ronson qui la représentait au début de sa carrière en expliquant qu’il lui avait toujours fait comprendre qu’il lui faisait une faveur.
À 30 ans, Issy Wood, qui est aussi chanteuse et compositrice, en a fini avec tous ces « hommes blancs » et n’est plus là pour rigoler ou s’excuser. En 60 œuvres, la jeune peintre nous embarque dans une plongée au plus profond de son intimité de femme et d’artiste.
Progéniture d’un couple de médecins qui laissaient trainer les revues médicales sur la table du petit déjeuner, Issy Wood en a tiré une fascination pour les images médicales. Ses peintures hyperréalistes de procédures et d’appareils dentaires fascinent tout autant qu’elles dégoutent. Wood dresse aussi le portait d’une société obsédée par l’argent et les apparences dans une série de fascinants tableaux sur velours d’intérieurs de voiture de sport, de doudounes criardes ou de manteaux de cuir.
La trentenaire sait aussi faire preuve de plus de légèreté en s’attardant sur des aspects plus amusants de nos névroses contemporaines (obsession pour les petits chiens ou les bibelots en porcelaine). Issy Wood porte également un regard très lucide sur son propre statut de femme artiste. Dans une série d’autoportraits, elle évoque son obsession pour son propre reflet qu’elle dit pourtant détester. Une exposition très réussie qui permet de découvrir une artiste à la maturité déjà fascinante.
« Study for no » d’Issy Wood à Lafayette Anticipation jusqu’au 7 janvier 2024. Entrée libre. Informations : ici
Mark Rothko à la Fondation Louis Vuitton
À la Fondation Louis Vuitton, une exposition exceptionnelle en chasserait presque une autre. Certes, l’accrochage précédent sur Warhol et Basquiat n’a pas laissé un souvenir impérissable mais, depuis son ouverture, le lieu a hébergé une série d’expositions impressionnantes : la Collection Chtchoukine en 2016, Egon Schiele en 2018, Charlotte Perriand en 2019 ou encore la Collection Morozov en 2021. C’est dans la continuité de ces « super-expositions » que s’inscrit la rétrospective Mark Rothko à l’affiche jusqu’au 2 avril 2024.
Au total, 115 œuvres du grand maître américain de l’abstraction et de la couleur sont présentées au public. Un assemblage exceptionnel qui permet de retracer toute la carrière du peintre né en 1903 dans l’actuelle Lettonie. Une occasion sans nulle autre pareil pour ceux qui n’avaient pas pu admirer la dernière rétrospective parisienne de 1999 qui lui avait été consacrée de découvrir la diversité de l’œuvre de Rothko bien au-delà de ses « carrés ». Le parcours, très aéré, fait découvrir la première période de celui qui s’appelle encore Marcus Rotkovitch. Les peintures sont figuratives ou surréalistes même si semble déjà se dessiner une appétence pour l’abstraction.
Il faudra attendre le milieu des années 1940 pour percevoir le tournant vers ces grands aplats de couleurs qu’on lui connait. S’enchainent alors les toiles qu’un œil inattentif pourrait qualifier d’identiques alors qu’elles sont toutes très singulières. Variation de couleurs, de formes et de formats, l’une émeut quand l’autre laisse indifférente sans qu’on puisse vraiment dire pourquoi. Rothko n’aimait pas qu’on dise de sa peinture qu’elle apaise mais c’est pourtant ce sentiment qui l’emporte. En particulier dans la salle qui reprend les toiles conçues pour le restaurant Four Season’s, finalement jamais exposées et données à la Tate de Londres. Neuf toiles immenses, sombres et d’une densité impressionnante. Cette installation est si puissante qu’on regrette presque de ne pas terminer là-dessus même si la dernière salle consacrée à la rencontre Rothko-Giacometti s’avère particulièrement réussie.
Mark Rothko à la Fondation Louis Vuitton jusqu’au 2 avril 2024. Tarifs : 0-32€. Informations et réservations : ici