ART

« Viva Varda ! » – (Auto)portrait à la Cinémathèque

Cinémathèque française

La Cinémathèque célèbre la réalisatrice Agnès Varda dans l’exposition Viva Varda ! Portrait d’une artiste polymorphe, avant-gardiste et engagée.

Depuis le 11 octobre, ce sont les grands yeux rieurs d’Agnès Varda qui accueillent les visiteur·ices à la Cinémathèque. Ce collage, tranchant avec la façade d’entrée austère, se fait le reflet de celle qui a porté un regard critique et joyeux sur le monde. Jusqu’en janvier 2024, la Cinémathèque française nous emmène à sa rencontre, dans une exposition ludique et foisonnante.

Que vous soyez fan éperdu·e de Cléo de 5 à 7, amoureux·se des chats, intéressé·e par le mouvement des droits civiques, passionné·e de photographie ou féministe farouche, vous allez certainement trouver votre bonheur dans cette exposition consacrée à la célèbre cinéaste française. Viva Varda ! se conçoit comme une porte d’entrée de découverte de l’œuvre d’Agnès Varda, mais aussi une tentative d’en éclairer les aspects contemporains. Son parcours est ludique, ponctué de cartels courts et clairs accompagnés de dessins de Varda façon Moomins. À l’image de la réalisatrice, le ton est résolument malicieux, avec une scénographie composée de murs peints aux couleurs de sa robe à fleurs formant un long labyrinthe dans lequel il est bon de se perdre.

On y entre comme dans un salon accueillant, présentant de multiples (auto)portraits aux murs dans lesquels Varda affirme son identité d’artiste. Varda partout… Jusqu’à en faire une icône  ? L’exposition réussit à éviter cet écueil  : les nombreux (auto)portraits permettent de ne pas figer l’artiste dans une seule identité, en montrant qu’elle n’a cessé de se réinventer. L’exposition s’attarde aussi sur son image médiatique et à sa manière de jouer avec les représentations, aidée par sa formation en histoire de l’art.

De l’enfance à la Nouvelle Vague  

Viva Varda ! s’écarte habilement de la traditionnelle trame linéaire et biographique. Un choix d’autant plus pertinent pour une artiste femme. L’expo contre ainsi le facheux penchant d’un pan de l’histoire de l’art, qui se concentre davantage sur la biographie des artistes femmes plutôt que sur l’analyse de leur œuvre. Quelques éléments biographiques sont toutefois donnés, éclairant le parcours de la cinéaste jusqu’à ses premiers pas avec une caméra. Le reste de cette partie est consacré à ses relations. Loin de faire un simple résumé réducteur de ses rencontres, cet angle met en lumière des pans importants de sa création. D’abord, son ancrage pluridisciplinaire  : avec le cinéma bien sûr, mais aussi le théâtre (Varda fut photographe officielle du festival d’Avignon), la photographie (son amitié avec William Klein), puis l’art contemporain.

C’est également par cet angle qu’est abordée sa place dans la Nouvelle Vague. L’exposition délaisse l’idée d’une véritable «  filiation  », affirmant son statut «  à part  » en tant qu’artiste femme ayant des convictions politiques distinctes du reste des cinéastes. On reste un peu sur notre faim avec ce choix de présenter ces dynamiques avec le mouvement avant-gardiste comme de simples «  amitiés  ». Cela occulte un peu les préfigurations du mouvement dans son œuvre, dont elle sera surnommée la «  grand-mère  ».

L’exposition retranscrit néanmoins bien sa posture singulière, à la fois à la marge et reconnue, collaborative et indépendante (comme avec son mari Jacques Demy).  Loin d’être sensationnaliste, ce passage par la vie privée est utile pour comprendre la façon dont celle-ci s’entremêle avec son œuvre. Ses films sont aussi des supports de narration et de mémoire. C’est le cas des Plages (2008), où elle s’interroge sur la notion de reconstitution des souvenirs. La cinéaste a aussi souvent fait jouer ses enfants, comme une façon d’interroger les frontières entre documentaire et fiction.

Renouveler le regard

Viva Varda ! propose un tour d’horizon de l’œuvre de Varda, de ses classiques à ses créations moins connues, comme ses documentaires touristiques. L’exposition s’attarde notamment sur la réception de sa première œuvre, La pointe courte (1955), jugée manifeste d’une «  avant-garde moderne  » (André Bazin). Varda fustige l’idée d’un cinéma d’auteur «  difficile  » réservé à une élite, et prône un cinéma populaire et de qualité.

L’exposition regorge de trésors d’archives, qui sauront satisfaire les curieux.ses comme les plus passionné.es. La Cinémathèque inclut des documents inédits comme son carnet de travail sur Cléo de 5 à 7 , où tout est décrit avec une extrême précision, des procédés aux effets recherchés dans un vrai travail de «  cinécriture  ». Certaines des ressources exposées sont publiques (extraits de films, affiches étrangères), d’autres davantage confidentielles (détails de coulisses, lettres à des acteurs). La collection présente aussi des accessoires de tournage et objets personnels comme le blouson similicuir porté par Sandrine Bonnaire dans Sans toit ni Loi (1985), ses badges contestataires ou sa collection de chats.

Tout au long du parcours s’égrènent aussi des représentations d’autres œuvres, proposant un dialogue constant avec l’histoire de l’art. Du fait de sa formation à l’école du Louvre, les références sont nombreuses dans ses films (du motif de la vanité dans Cléo à celui des glaneuses de Millet). Elle les utilise non pas pour «  l’anoblir  » mais pour renouveler son cinéma. Des clins d’œil joyeux que Varda se réapproprie, et s’amuse à subvertir. Les œuvres exposées révèlent comment ces parallèles ne se font jamais au détriment de sa conscience politique.

Engagements politiques

Viva Varda ! consacre une partie à la période des années 1960-1970. Elle met en lumière ses créations transnationales, de Cuba aux États-Unis, souvent occultées derrière ses succès nationaux. Les extraits choisis tracent les contours d’une œuvre ancrée dans les mouvements révolutionnaires et les contre-cultures, de la génération hippie aux Black Panthers. Loin de se résumer à ces grands mouvements culturels et politiques outre-Atlantique, son œuvre se fait davantage sociale et locale à partir des années 1980. Varda arpente les campagnes françaises pour filmer le quotidien, la richesse des territoires et la pauvreté, dans Les glaneurs et la glaneuse (2000) puis Visages Villages (2017).

«  J’essayais de vivre un féminisme joyeux, mais en fait j’étais très en colère.  »

Agnès Varda

Il aurait été surprenant d’occulter l’engagement féministe de l’artiste, alors que Varda ne s’est jamais cachée de son indignation face aux violences patriarcales. La dernière partie se penche sur les façons dont ce combat s’est incarné dans ses œuvres, notamment Le Bonheur (1965) et L’une chante, l’autre pas (1977). On découvre aussi ses liens avec le Mouvement de Libération des Femmes, et avec d’autres artistes engagées comme Delphine Seyrig. Se dévoile plus largement combien l’œuvre de Varda s’inscrit pleinement dans le combat féministe actuel. La réalisatrice propose des représentations d’expériences féminines complexes et variées, brise les tabous et explore les notions de choix, de désir ou de maternité. Les œuvres sélectionnées donnent à voir une attention particulière aux corps, comme le limpide ciné-tract Réponse de femmes (1975) ou un projet photographique inachevé sur le vieillissement.

Le clou final de l’exposition est une composition de vidéos en lien avec ce combat. Varda l’aura porté jusqu’en 2018 sur les marches du Festival de Cannes avec le collectif 50/50, œuvrant pour plus d’égalité dans le cinéma. Cette conclusion est d’autant plus importante que cette exposition est la première consacrée à une réalisatrice à la Cinémathèque.

Exposition du 11 octobre 2023 au 28 janvier 2024 à la Cinémathèque française (51 rue de Bercy, 75 012 Paris). Plein tarif 12 €, tarif réduit 9,50 €. Informations et réservations : ici

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