De natura florum est le malicieux herbier littéraire de Clarice Lispector, illustré avec douceur par les dessins d’Elena Odriozola Belastegui. Une lecture qui convoque chacun de nos sens.
Herbier poétique, De Natura florum propose une collection de poèmes en prose dédiée à différentes fleurs évoquées par les mots de Clarice Lispector. Si aucune fleur séchée ne se laisse découvrir à l’ouverture du livre c’est parce qu’elles éclosent au fil des pages, comme un printemps coloré, grâce au trait d’Elena Odriozola Belastegui, illustratrice jeunesse.
Publié la première fois en avril 1971 dans Jornal do Brasil, De natura florum est ensuite intégré au livre de chroniques A Descoberta do Mundo en 1984. Il vient d’être réédité par les éditions des femmes-Antoinette Fouque qui ont publié la quasi intégralité de l’œuvre de Clarice Lispector. Autrice et journaliste brésilienne, Clarice Lispector (1920-1977) est née en Ukraine avant d’émigrer au Brésil avec sa famille juive pour fuir les pogroms. Elle écrit des nouvelles et des romans – Près du cœur sauvage (1954), Le Bâtisseur de ruines (1970), L’heure de l’étoile (1977) … où les personnages sont aussi proches des choses du monde et du vivant que de celles de l’esprit. Dans son univers, l’écriture fait s’intriquer des scènes du quotidien avec des tergiversations psychiques dans un mélange de lyrisme et de métaphysique. Elle a donné un unique entretien télévisuel puissant où elle parle de son rapport vital à l’écriture.
Avant la récolte imaginaire, Clarice Lispector dissèque la fleur en mots. Elle liste d’abord les définitions botaniques des organes de la fleur : nectar, pistil, pollen. Puis, elle compose un bouquet poétique d’une vingtaine de fleurs : le jasmin (« il est aux amoureux »), l’immortelle (« une toujours morte »), l’orchidée (« exquise et antipathique ») …
Qu’y a-t-il dans ton bouquet fleuri ?
Sensuelle et existentielle, l’écriture de l’autrice évoque le processus de fécondation, la tactilité, les couleurs, la vie et la mort. Souvent, elle personnifie ces plantes cherchant à traduire le caractère végétal singulier de chaque fleur. Si elle prête la féminité tout particulièrement à la rose, c’est à la fleur de l’oiseau du paradis qu’elle attribue quelque chose de la masculinité. La timidité est à la violette, la spiritualité à l’azalée et l’agressivité à l’œillet.
Elena Odriozola Belastegui a joué de cette perspective poétique pour la mise en images. Elle fait voyager les fleurs sur les corps, les place souvent à proximité des têtes. Les fleurs prennent alors la forme de la chevelure, ornent une coiffure ou apparaissent dans le pli du vêtement comme motif ou accessoire. Les filles-marguerite ont des robes vertes. Elles portent un bonnet jaune sur la tête pour le cœur et une collerette blanche pour les pétales.
Une fleur vit solitaire ou groupée. Ainsi, la tulipe est cultivée en massif : « une tulipe seule simplement n’est pas ». L’illustratrice met alors en regard une bande de femmes, bien serrées, en rang, avec différentes couleurs de fichus sur la tête. Ces dessins au crayon de couleur contiennent tous un sol hachuré rouge où s’enracinent, jusqu’aux genoux, les jambes des êtres-fleur ; sauf celles des nénuphars, immergées dans l’eau. Et parfois, un animal, ici où là, apparaît au crayon bleu.
Bel objet, De natura florum fait cohabiter poèmes et dessins comme dans le souvenir actualisé de nos albums d’enfance. Evitant l’écueil de l’illustratif, ce face-à-face ouvre les mots aux images par association d’idées. On glisse ce livre dans les poches amies, et c’est comme si l’on offrait un jardin imaginaire toujours à portée de main !