Les Autres d’Alejandro Amenábar fait partie de ces films à re(voir) pour son caractère psychologique. Par cette tendance horrifique, cette histoire de fantômes surprend, angoisse et marque l’esprit de ses spectateurs.
Les Autres commence par un premier plan d’ensemble sur une maison de l’île de Jersey. Dès les premiers instants, l’inquiétude fait place. Le temps est brumeux et la maison est isolée. Puis un cri, celui de Grace, interprétée par Nicole Kidman qui joue le rôle d’une mère stricte de deux enfants. Ses enfants à l’écran, Anne (Alakina Mann) et Nicholas (James Bentley), sont atteints d’une maladie rare et ne peuvent être exposés à la lumière du jour. Ensemble, ils habitent ce manoir. Tous les trois vivent reclus jusqu’à l’arrivée d’anciens domestiques qui recherchent un emploi. S’ensuit alors une série de phénomènes étranges, teintés par des histoires de fantômes, perturbant le quotidien monotone de cette famille.
Concevoir l’horreur
Dans de nombreux films d’horreur et films à suspense, on joue sur la peur accordée à la maison hantée qui est placée au premier plan. Tout comme dans Les Autres, la maison hantée est souvent reculée du paysage ordinaire. Par exemple, l’hôtel abandonné dans The Shining de Stanley Kubrick (1980) qui devient le lieu de vie de la famille Torrance où naissent l’horreur et la folie des personnages. C’est aussi le cas du château de l’Inventeur dans lequel vit Edward dans Edward aux mains d’argent de Tim Burton (1990).
Dans Les Autres, la maison révèle l’inhospitalité et l’inhumanité qui vit en son sein. Des forces extérieures semblent hanter ce lieu. Tel un décor expressionniste issu des films allemands du début du XXe siècle, les espaces sont immenses et sombres. Ils accueillent un danger certain. La maison se positionne donc comme un lieu inquiétant.
Ce huis clos appelle alors au paradoxe : au lieu d’être un espace protecteur du monde extérieur, la maison est source de peur pour ses habitants. Il faut attendre une confrontation entre les dimensions de l’inhumain et du surhumain, incarnée par la scène du médium, pour atteindre la vérité. Une vérité inattendue qui brouille les frontières entre le monde des vivants et celui des morts. Ce renversement de situation renforce ainsi une réflexion plus profonde des spectateurs, qui s’interrogent de nouveau sur l’entièreté du film.
Blancheur fantomatique
La thématique de la blanchité est intéressante à relever dans ce film pour diverses raisons. Entre symbole de vie et de mort, Amenábar questionne l’ambiguïté du blanc. La blancheur des habitants de la maison reflète, elle aussi, le malaise qui s’accorde avec l’ambiance du lieu. Ici, le blanc hégémonique est remis en cause par une dimension surnaturelle, presque maladive, reflétée par cette couleur. D’autant plus que cette famille de Blancs ne semble pas être si innocente. Grace cache un lourd secret qui est la clé pour comprendre l’intrigue du film.
La figure du fantôme renaît alors. Il est matérialisé par des corps dont la candeur frappe les spectateurs ; le fantôme est une figure humaine. La mise en scène – par exemple, les vêtements blancs ou le jeu de lumière – participent à cette corporisation du fantôme. Celui-ci est donc une figure suspendue entre deux états que les spectateurs, eux-mêmes, ont du mal à cerner. D’une peau blanche comme neige au regard noir, Nicole Kidman interprète un rôle complexe. Sa froideur expressive participe à ce malaise. De même, depuis le début du film, Anna et Nicholas sont malades ; cela s’exprime par la blancheur de leurs teints.
Au cours du film, le noir et le blanc s’affrontent donc pour créer une mise en scène de terreur et d’inconfort. Ces deux couleurs prédominent les plans et marquent ainsi une forte absence de couleurs plus joviales et vivantes. C’est par cela qu’on entre dans le sujet profond du film, à savoir cette confrontation entre la vie et la mort.
Les Autres et nous
De la scène montrant les photographies de personnes décédées à la scène de l’arrivée du mari de Grace, en passant par des plans montrant un cimetière ou lors de la scène finale avec la médium, tout au long du film, c’est la mort qui est observée différemment selon les personnages.
Si l’on regarde la scène de dénouement (attention, spoiler !), Amenábar met en scène les fantômes, invisibles pour les humains, bien qu’ils ne prennent pas conscience de leurs propres morts. Anna et Nicholas déclarent en chœur « Nous ne sommes pas morts » ce qui rend compte de cette idée, tandis que Grace s’énerve, telle une furie, quand la médium révèle la raison de leurs morts : Grace a tué ses deux enfants avant de s’enlever la vie à son tour. C’est seulement au contact des humains assis autour de la table que Grace semble retrouver la mémoire de cet évènement qu’elle a dénié depuis des années. Par ce biais-là, les spectateurs comprennent l’enjeu du film et repensent l’intégralité du film.
Par l’affirmation « C’est notre maison » que répètent sans cesse Grace, Anna ou Nicholas, la frontière entre le monde des vivants et des morts est bien flottante. Et c’est ainsi qu’Amenábar questionne le genre de l’horreur dans Les Autres en y donnant sa propre version et en jouant sur l’effroi des spectateurs. Il revisite le film de fantômes et amène son public à repenser l’intrigue du film grâce au twist final.
On peut retrouver ce film sur les plateformes de streaming tels qu’ Amazon Prime, le service français myCanal ou encore Apple TV. De plus, il est possible de louer le film sur YouTube.