CINÉMA

« Lost Country » – Cercles de liberté

Lost Country © KinoElektron, Easy Riders Films
Lost Country © KinoElektron, Easy Riders Films

Quatorze ans après son premier long-métrage Ordinary People, le réalisateur serbe Vladimir Perišić renoue avec la mise en scène des tiraillements auxquels la jeunesse se trouve confrontée. En toile de fond, les manifestations contre le régime de Milošević. Subtile et bouleversant.

Belgrade, 1996. Les Serbes sont appelés aux urnes pour les élections municipales. Une victoire des démocrates se profile, face au « Parti », à la tête duquel se trouve Slobodan Milošević. Alors que les manifestations étudiantes prennent de l’ampleur, Stefan (Yovan Ginic), 15 ans, forge ses premières opinions politiques. Il tente de trouver sa voie, d’être lui-même. Mais il se heurte à l’engagement — et profession — de sa mère Marklena (Jasna Djuricic), porte-parole du gouvernement.

Thriller politique et familial

Présenté en compétition à la Semaine de la critique au Festival de Cannes 2023, Lost Country mélange les genres, entre thriller politique, drame familial et récit de « coming of age  ». L’imbrication de ces genres confère au long-métrage un discours plus vivant, plus réel, voire actuel. Un récit qui, transposé aux mouvements sociaux du XXIe siècle, s’avèrerait étonnant de justesse et de transparence. 

Centrée sur le point de vue de l’adolescent, l’intrigue se déroule dans plusieurs cercles. À l’échelle nationale, tout d’abord, alors que les manifestations embrasent le pays. Dans un cercle personnel et semi-privé ensuite, dans le lycée de Stefan, avec ses amis. Enfin, dans le cercle intime, avec la relation fusionnelle que Stefan entretient avec sa mère. Un environnement doux qui, progressivement, devient de plus en plus rugueux. En entrechoquant ces différents cercles, Vladimir Perišić explore tous les aspects de la vie quotidienne de l’adolescent, sans en occulter, même partiellement. Le spectateur est plongé dans l’histoire, en disposant d’emblée de toutes les clés pour comprendre les sentiments traversés par Stefan. Ce dernier, interprété par Jovan Ginic, non-professionnel, livre une folle prestation. Ce qui lui a valu le prix Fondation Louis Roederer de la Révélation pour cette même Semaine de la critique.

© KinoElektron, Easy Riders Films

Des accents autobiographiques

En ayant recours à de nombreux plans fixes, longs et assumés, le réalisateur serbe — qui a coécrit le scénario avec la cinéaste française Alice Winocour — donne une certaine intensité aux tabous qui peuvent exister dans la relation parent-enfant. Des non-dits qui font écho à l’histoire personnelle de Perišić, dont la mère travaillait pour le régime de Milošević, à la Culture. Bien qu’il reprenne des traits communs avec son histoire personnelle, le réalisateur s’éloigne malgré tout de son propre traumatisme pour construire une fiction analogue, débordante de sincérité. Le grain utilisé, à la manière d’une caméra de la fin des années 1990, renforce l’authenticité de l’histoire et donne à la fiction des airs de documentaire.

Alors que le contexte collectif dans lequel s’inscrit le film apparaît comme porteur d’un meilleur espoir, d’un meilleur avenir, l’histoire personnelle de Stefan et sa mère, elle, sombre dans le désespoir. Un décalage qui symbolise toute la complexité de Lost Country : parvenir à un idéal ne pourra se réaliser pleinement qu’avec l’assentiment des proches, et passer outre expose à l’abandon. Un long métrage poignant, sensible et sans artifice.

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