LITTÉRATURE

« Le grand feu » – Léonor de Récondo embrase la lagune

© éditions Grasset
© éditions Grasset

Mêlant son amour du violon et de l’écriture, Léonor de Récondo propose avec Le grand feu le roman d’apprentissage d’une musicienne. Le tout dans la Sérénissime Venise du 18ème siècle.

À sa naissance, Ilaria est confiée par ses parents à la Pietà, une institution normalement réservée aux orphelines. Dans l’enceinte du bâtiment, les nouvelles-nées sont élevées par des religieuses et ont la chance d’y recevoir une éducation musicale. Née en 1699, la petite Ilaria – comprendre hilare et allègre, ou allegro pour le tempo musical – va être initiée au violon aux côtés d’Antonio Vivaldi. Très vite cet instrument va faire naître en elle un grand feu d’allégresse.

Violoniste de profession, il n’est pas étonnant que Léonor de Récondo ait choisi de situer son nouveau roman dans la Pietà de Venise. Grande institution musicale de la ville et du monde, elle a accueilli de nombreuses élèves et Monteverdi et Vivaldi y ont été Maîtres de chapelle. Mais alors que d’autres auraient orienté leur récit autour d’une de ces deux figures historiques, Récondo choisit d’écrire le roman d’apprentissage d’une petite inconnue. L’autrice de Point cardinal (2017) renoue avec ses premiers amours en transmettant toute son affection pour cet instrument de musique et les « vies minuscules ».

Sortez les violons

Dans Amours (2015), Léonor de Récondo glissait son récit dans l’intimité d’une maison bourgeoise du XIXème siècle. Le piano y jouait un rôle discret mais marquant, puisqu’il servait à la maîtresse de maison, Victoire, à étouffer les pleurs de l’enfant de la maisonnée. Elle plaçait le nouveau-né sous le piano pour assourdir ses vagissements de ses notes. Cet enfant né hors mariage du viol de la bonne Céleste par le maître de maison Anselme, était au départ un point de discorde avant de devenir un point de rapprochement pour les deux femmes. Deux types d’amours naissaient alors : un amour filial et un amour passionné entre Victoire et Céleste.

Le Grand feu nous plonge quant à lui dans la très fermée Pietà du XVIIIème siècle. Les lieux résonnent des bruits de violons que l’on accorde, des gammes que l’on apprivoise, des arpèges que l’on maîtrise. L’apprentissage de la musique y est collectif et ne sert pas à étouffer des cris d’enfants mais à porter le chant des jeunes filles. Il s’agit de communiquer avec les anges et de tutoyer les cieux. Dans cette enceinte très close – les jeunes filles ne sortent jamais dans Venise et n’ont pour la plupart jamais vu la lagune – Ilaria grandit persuadée qu’elle apprendra à chanter elle aussi. Mais ce n’est que lorsqu’on lui met un petit violon entre les mains, qu’elle prend la mesure de son amour pour la musique. Grâce à son professeur Vivaldi, elle deviendra violoniste virtuose.

Les ombres s’étirent, le soleil se penche sur la lagune, les martinets, les mouettes, la faune et la flore se suspendent à la voix qui s’élève. Un éclat qui déchire le temps et qui, aussitôt passé, se recoud, ne laissant comme souvenir qu’un point, minuscule suture, dans leurs cœurs à toutes.

La beauté, certains soirs, désarme la mélancolie.

Léonor de Récondo, Le grand feu

Bien sûr il y la métaphore du feu dévorant que l’autrice file tout au long du roman – dès le titre. Ce grand feu, c’est celui d’Ilaria pour le violon, mais c’est aussi son amour pour la vie. Dans ce roman d’apprentissage, c’est un peu elle-même que Léonor de Récondo met en scène. « Le grand feu, c’est celui qui m’anime, et me consume, lorsque je joue du violon et lorsque j’écris » confie l’autrice en quatrième de couverture. Un désir brulant qui continue de se consumer, une fois le livre refermé.

Le grand feu de Léonor de Récondo, éditions Grasset, 224 p., 19€50

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