ARTThéâtre

« James Brown mettait des bigoudis » – Vous avez dit réac ?

James Brown mettait des bigoudis
© Pascal Victor

Nouvelle pièce très attendue de la metteuse en scène star Yasmina Reza, James Brown mettait des bigoudis croit prendre le pouls de l’époque avec ses saillies sur l’identité. Malgré le talent des comédiens, difficile de voir autre chose dans ce texte qu’une métaphore transphobe, qui n’arrache jamais plus à son public que des ricanements malsains.

Nous sommes le 14 septembre. Il est 7h50. Face à Yasmina Reza, metteuse en scène star venue présenter sa dernière création, Sonia Devillers lâche : « Vous avez conscience du fait que selon la mise en scène, ce texte peut-être profondément réac ? » La mise en scène en question, personne ne l’a encore vue. Elle débute dans quelques jours au théâtre de La Colline, dans le vingtième arrondissement de Paris. En attendant, seul le texte de James Brown mettait des bigoudis, publié aux éditions Flammarion, permet de se faire une idée. Un mois plus tard, on peut le dire : cette pièce – texte et mise en scène compris – est un naufrage.

Jacob Hunter est un personnage que l’on a pu apercevoir dans Heureux les heureux, un autre recueil de nouvelles de l’autrice. Le jeune homme est dans une « maison de repos ». Si on était de mauvaise foi – ou simplement lucide sur le texte ? – on dirait un asile de fou. Et pour cause, depuis plusieurs années maintenant, Jacob est intimement convaincu d’être une femme. Et pas n’importe laquelle : il est Céline Dion. Ainsi, le jeune homme se laisse pousser les cheveux, s’habille en femme et n’oublie jamais de porter des foulards pour surtout protéger sa voix. Autant dire que Jacob a perdu la raison. Et ses parents, un couple de retraités, viennent le voir régulièrement, un peu désemparé face à ce mal étrange qui ronge leur fils. Comble de l’absurde, Jacob-Céline a rencontré sur place un ami, Philippe. Lui est bien en accord avec son identité. À un détail près, Philippe est convaincu d’être noir. Pourtant, c’est un homme blanc. Dans la maison de repos – un plateau nu – les deux hommes nouent des liens sous le regard bienveillant d’une femme médecin fantasque convaincue qu’il faut les laisser faire. Bienvenue chez les fous.

De qui rit-on ?

Le texte et la mise en scène adoptent largement le point de vue des pauvres parents, désemparés devant les bizarreries de leur fils. Le comique de situation, qui fait sourire au début, devient rapidement lourdingue. Dans la salle archi pleine lors de la première de la pièce, on ne s’esclaffe pas, on ricane. Entre les blagues ménagées par Reza et la moquerie, il n’y a qu’un peu. Ainsi aperçoit-on enfin, au bout d’un gros quart d’heure de spectacle, le fameux Jacob Hunter, convaincu d’être Céline Dion et niais à souhait. Incarné par le pourtant très talentueux Micha Lescot, le personnage parvient à peine à faire rire. Ce qui apparaît dès le premier coup d’œil, c’est le grotesque de la situation. Autant dire le jugement que l’autrice et metteuse en scène pose, elle-même, sur la situation. Le texte circule ainsi de blague en blague sans que l’on sache véritablement à quel point l’ensemble est à prendre au sérieux. Questionner le concept d’identité, après tout pourquoi pas.

Yasmina Reza franchit une ligne rouge lorsqu’elle imagine un monologue de la médecin de l’institution. La membre du personnel soignant de l’établissement fait référence aux contes de Disney pour appuyer sa conviction profonde : l’identité est un choix. Le discours pourrait être convaincant, à ceci près que son interprète surjoue volontairement et adopte l’air timbré de rigueur. Jusque dans la salle, on ne rit que très peu. Pourtant, le public est venu en nombre dans la grande salle assister à la première de la pièce, le 19 septembre. Aucun siège n’est laissé vacant. Un léger malaise flotte dans la salle et court jusqu’au moment des applaudissements, peu nourris pour une pièce de cette envergure.

Parce qu’après tout, de quoi voudrait-on rire, exactement ? De l’intime conviction de quelqu’un, d’être en ce moment même dans le mauvais corps. Avec sa démonstration par l’absurde – un homme qui se prend pour Céline Dion – la mise en scène suggère, à son insu, que cette conviction-là est ridicule. On rirait si l’on ne savait pas à quoi cela correspond : qui, dans la vraie vie, à l’exception des personnes trans, a la sensation d’être né dans le mauvais corps ? Ici, la transphobie ne prend même pas la peine de se nicher dans les détails. Elle est criante de la première à la dernière réplique. On est soulagé de constater que la moquerie n’amuse pas non plus les spectateurs de théâtre.

James Brown mettait des bigoudis, texte et mise en scène de Yasmina Reza, du 19 septembre au 15 octobre 2023. Informations et réservations.

Journaliste

You may also like

More in ART