LITTÉRATURE

« Georgette » – Une nounou d’enfer

Georgette, Dea Liane © Éditions de l'Olivier
Georgette, Dea Liane © Éditions de l'Olivier

Qu’il est dur, en grandissant, de découvrir que la bonne n’est pas une deuxième maman dévouée mais bien une employée. C’est le propos que développe Dea Liane dans son premier roman Georgette, conjuration non dénuée de style mais très auto-satisfaite d’une mauvaise conscience bourgeoise. 

Et si Chanson Douce de Leila Slimani finissait bien ? Ou du moins, dans un statu quo confortable pour tout le monde ? Si la brutalité du clivage de classe n’était pas poussé à ses conséquences les plus extrêmes ? S’il consolait tout le monde ? Lorsque Dea Liane se souvient dans son premier roman de la bonne qui s’occupait d’elle, pas de grands élans dramatiques ni narratifs. Au contraire, une ambition naturaliste, décrire dans un présent le plus précis possible les gestes et les présences de Georgette.

Pour trouver une qualité d’observation, Liane place au cœur de son texte un dispositif de caméra vidéos. Le chapitrage se fait au rythme de différentes cassettes de films de famille visionnés par l’autrice. Cette dynamique est au cœur du roman. Il y a l’autrice réminescente, il y a la nourrice souvenue, et entre les deux un écran, une surface. Un dispositif chic et dans l’air du temps, un an après Aftersun de Charlotte Wells. Cette distance permet tout de même à Liane de livrer certains de ses plus puissants passages.

Tout ce que les mains de Georgette manipulent du matin au soir : vaisselle, casseroles, éponges, légumes, bocaux, cheveux, élastiques, barrettes, jouets, gants de toilette, aspirateur, serpillère, pelle, râteau, terre, seau, raclettes, cigarettes. 

Georgette, Dea Liane

Puisque l’intériorité de son sujet – Georgette – échappe à Liane, elle développe en solitaire une phénoménologie de la nourrice. C’est par l’observation de ses manifestations extérieures, de ses gestes dans le réel, qu’elle va représenter et s’interroger sur Georgette. Manifestations trompeuses car toujours réduites à la bi-dimensionnalité de l’écran, trahie par l’intermédiaire de la mère metteuse en scène, réalisatrice. La force du texte est dans l’examen factuel de cette présence étrange et tarifée dans le noyau familial bourgeois. Mais si un écran est une surface de représentation, où une observation phénoménologique est possible, c’est aussi une surface de projection. 

Tout remplir

Plutôt que de laisser échapper aux lecteur·ices et à elle-même tout ce que la caméra et la prose ne peuvent ressaisir de Georgette, l’autrice essaie d’imaginer ce qui peut bien passer par la tête de sa nourrice. Cette manie d’essayer de remplir tous les trous et interstices est présente tout au long du texte. Dea Liane passe ainsi à côté de ce qui était pourtant l’élément le plus puissant de son récit : la béance en son cœur et l’étrangeté banalisée. Lorsque Liane ne projette pas dans les trous du texte ce qu’elle imagine de Georgette, elle y glisse sa propre mauvaise conscience bourgeoise.

Ce n’était pas viable, c’était socialement inacceptable, ce n’était même pas vraiment nécessaire.

Georgette, Dea Liane

L’autrice a conscience de sa classe sociale et n’hésite pas à le rappeler sans cesse. Surtout, elle rappelle en permanence qu’elle n’est plus d’accord aujourd’hui avec ce qu’il s’est passé. Dea Liane semble ainsi se racheter – et offrir – une bonne conscience à peu de frais, de la même manière qu’en sortant d’un film des frères Dardenne, les spectateur·ices sont satisfaits d’avoir pris des nouvelles des pauvres. L’autrice s’adonne à une jouissance de l’auto-dénonciation et de la prise de distance idéologique avec son milieu. Il est primordial pour elle que les lecteur·ices ne doutent à aucune seconde de sa position. Elle a péché, se repent, et rejoue toujours ce mouvement.

Cruauté neutralisée

Pourtant, la possibilité d’une cruauté affleure dans le texte. À un moment, une jeune Dea Liane est embarrassée par la présence de Georgette face à deux de ses amies. La bonne s’épile les jambes assise dans sa chambre. Mais les sentiments négatifs ou répréhensibles que pourraient ressentir l’autrice sont immédiatement neutralisés quelques lignes plus tard. La cruauté change de camp, et passe du côté de ses amies qui se moquent de la bonne. 

J’ai honte d’elle et au même moment une haine violente monte en moi à l’égard de mes copines françaises, leur hilarité méchante me remplit d’une colère qui me fait trembler.

Georgette, Dea Liane

La honte ressentie laisse sa place a une colère vertueuse contre celles qui se moquent de l’opprimée, contre « l’hilarité méchante », vilaine, pas belle. Le roman rejoue en permanence cette dilution de tout ce qui pourrait être compliqué, inavouable ou inconfortable, dans une vertu de la culpabilité et de la saine indignation. Bien plus que d’observer Georgette, le roman aura en dernière instance surtout consisté à laver la conscience de son autrice.

Dans Chanson Douce, Slimani ne cachait pas le mépris ni le dégoût que pouvaient avoir les parents pour la nounou, et poussait le vice jusqu’à interroger ces mêmes émotions chez la·e lecteur·ice. Ici tout est balisé : nous sommes du côté du bien, les méchants sont méchants, les gentils gentils, et il est tellement dommage qu’il y ait des riches d’une part et des pauvres d’autres part. Les premiers sont bien désolés de dominer les seconds et rêveraient qu’il en soit autrement. Comme la vie est injuste !

Georgette, Dea Liane, Éditions de l’Olivier, 17 euros.

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