Dans Perdre Léna de Mathilde Profit, le spectateur partage la complicité impuissante d’une jeune fille face à des violences conjugales. Un coup de fil, un trajet en voiture et quelques mots, éveillent le soupçon. Olga Milshtein, actrice principale et lauréate au Festival Jean Carmet 2023, nous accorde un entretien. Rencontre.
Un samedi matin, à l’arrêt de bus près de son lycée, Cécile rencontre Léna et lui vient en aide. Entrainée dans une histoire qui n’est pas la sienne, Cécile voit lentement la trajectoire de sa journée bouleversée.
Bonjour Olga Milshtein. Comment vas-tu ?
Bien, merci, je suis contente d’être ici ! C’est stimulant de rencontrer autant de gens sympathiques, intéressés par le même domaine. J’ai remarqué une certaine jeunesse ici, pas seulement en termes d’âge, mais également dans le rapport au cinéma. Ça donne lieu à des conversations très ouvertes, ce qui est très agréable : de véritables discussions pendant lesquelles tout le monde a la même légitimité à prendre la parole.
À mon arrivée au Festival, j’étais un peu stressée parce que Mathilde Profit, la réalisatrice de Perdre Léna, n’est pas là. Je suis donc arrivée seule pour parler du film. Finalement, c’est très convivial, le monde est bienveillant et avenant. J’ai hâte de découvrir les courts-métrages de toutes les personnes que j’ai rencontrées.
Qui est Cécile, le personnage que tu incarnes dans Perdre Léna de Mathilde Profit ?
Cécile est une lycéenne assez introvertie, très bonne à l’école, très studieuse. Mais c’est un peu comme si la vie n’avait pas encore commencé. Elle est dans l’attente, elle est dans la passivité de la vie. Elle observe.
Comment es-tu arrivée sur ce projet ?
Un ami m’a envoyé le casting sur Instagram, alors j’en ai parlé à mon agent et je me suis présentée sur place. C’était la première fois que je jouais dans un court. Un tournage de court-métrage c’est vraiment condensé, donc tout va vite, d’autant plus comme j’étais présente sur le plateau tous les jours.
On vit des émotions tellement fortes en très peu de temps, donc c’est très intense. Avant Perdre Léna, je ne regardais pas beaucoup de productions de ce format. Mais depuis, je découvre tout un pan de la cinématographie, auquel je prends goût. Le court-métrage, j’ai l’impression que c’est plus ouvert, qu’il y a plus d’énigmes : il laisse plus de place au spectateur, pour se perdre dans son imaginaire.
Qu’est-ce qui t’a donné envie d’en faire partie ?
C’est assez comique, parce que la description du personnage disait quelque chose comme « jeune fille assez calme ». Et je ne sais pas pourquoi, mais j’ai fait abstraction de cette information sur le casting, comme si j’avais oublié cette caractéristique en me présentant. Alors, je suis arrivée en étant moi-même, plutôt joyeuse et pas tout à fait calme (rires). C’est en rencontrant Mathilde Profit au casting que j’ai eu très envie de faire partie de cette réalisation.
L’histoire aborde à la fois une forme de complicité et d’impuissance chez Cécile. Le tiraillement entre la volonté d’agir d’une part, et le respect de la vie privée de l’autre. J’ai trouvé qu’une phrase importante du film était « Mais papa pourquoi tu veux toujours que tout le monde soit gentil ? ».
Les enfants ou adolescents ont une sensibilité différente des adultes et je pense que même s’ils n’arrivent pas à l’exprimer, à la traduire en mots, ils peuvent ressentir des émotions très fortes et parfois très mûres. Ils savent peut-être même mieux déceler lorsque quelque chose de grave est en train de se passer.
J’ai l’impression que Cécile ne met jamais un pied dedans. C’est une fille qui n’a pas énormément d’amis, qui n’a pas de vie sociale, dont le quotidien est un peu monotone. Par conséquent, dès qu’il se passe quelque chose, qu’elle rencontre quelqu’un, c’est un événement. Donc forcément, son attention est plus particulière après sa rencontre avec Léna.
Elle est submergée par cet événement, qui va rythmer son quotidien, jusqu’à la chambouler d’une certaine manière. Sa journée en est bouleversée. Quand quelque chose de grave arrive, il faudrait que le monde s’arrête pour Cécile. Elle voit bien que la vie continue, que ses parents continuent d’agir normalement, en lui demandant si elle veut de la quiche par exemple. C’est d’ailleurs à ce moment-là qu’elle se rend compte qu’elle est peut-être passive dans sa vie.
Cécile ne parle que très peu. On lit ses émotions, ses réflexions dans ses silences, dans le regard qu’elle porte sur les choses. Est-ce une direction de jeu qui t’a été donnée par Mathilde Profit ?
Effectivement, quand j’ai lu le scénario, pour apprendre mon texte, je me suis fait la réflexion « Bon eh bien, ça va aller je crois » (rires).
Par contre, cette absence de mots ne signifie pas pour autant que le jeu en devient simplifié. Au contraire, il y a moins de dialogues ou de textes sur lesquels s’appuyer. On a eu beaucoup de conversations avec Mathilde, qui m’ont aidée. Mais pas forcément sur le scénario ou bien le personnage, puisqu’elle m’a laissée faire ma petite cuisine des choses.
Après, pour ce qui est du regard, c’est véritablement une indication de jeu de sa part. Je peux être assez maladroite au quotidien dans mon corps. Sur ce film, la première assistante Nadège Catenacci, était anciennement danseuse. Autant dire que le placement de mon corps a nécessité un gros travail d’ancrage. J’ai dû travailler ma tenue, la précision de mes mouvements, ce qui m’a mis dans un état très concentré, à faire attention à des choses dont je n’ai même pas conscience habituellement.
Comment se traduit le bouleversement du quotidien chez Cécile ?
Elle ne parvient pas à se retirer l’événement du matin de la tête. Pour passer à autre chose, elle essaie de retourner à sa vie normale, c’est-à-dire en reprenant ses activités du quotidien. Une routine rythmée d’habitudes : un seul ami, le même trajet journalier pour aller au lycée, les mêmes repas.
La peur, chez elle, se traduit en passivité. Elle essaie donc de revenir à ce qu’elle connaît : sa routine. Elle ne sait pas faire, elle ne sait pas agir, prendre des décisions, choisir pour elle-même. Ça a toujours été : aller à l’école, avoir de bonnes notes… C’est un mode de vie qui ne laisse place à aucun hasard.
Elle est assez hermétique. Donc cette rencontre la bouscule non seulement dans sa journée, mais également dans la façon dont elle prend conscience de son quotidien. Jusque-là, c’est comme s’il n’avait pas de pétillant.
En parlant de pétillant : peux-tu me parler de la figure de la jeune fille aux tâches de rousseur ? J’ai l’impression que c’est elle qui finit par libérer Cécile du souvenir que lui laisse Léna. D’où le titre Perdre Léna peut-être ?
À mon sens, elle représente sa liberté et une certaine forme de désir, que l’on retrouve en scène d’ouverture d’ailleurs. C’est l’émancipation de cet événement du matin, et de son quotidien routinier. Elle voit en cette fille un désir inatteignable, impensable. Cette fille est un peu son contraire : elle a de nombreux amis, s’amuse, fait la fête.
Qu’elle décide à la fin d’aller voir cette fille, pour moi c’est comme une façon de dire « Si je ne parviens pas à sauver Léna, au moins, je peux me sauver moi. »
Olga Milshtein Festival Jean Carmet 2023
Ce qui est une très belle conclusion ! Tu as commencé à tourner jeune, comment qualifierais-tu ton rapport aux plateaux ? Est-ce qu’on te verra prochainement sur les écrans ?
Les plateaux de cinéma pour moi, c’est un terrain de jeu. J’y ai mis les pieds très jeune, par le métier de mes parents. Et depuis, je n’ai qu’à coeur de retrouver cela. Aller sur un plateau, sur un tournage, c’était comme une fête. Pour moi le cinéma c’est une récréation, voilà, une célébration.
Je fais partie du long-métrage L’île de Damien Manivel, qui sortira au mois de mars 2024 et je joue également dans Spectateurs d’Arnaud Depleschin prévu pour 2024.