CINÉMA

« Années en parenthèse 2020-2022 » – Sursauts collectifs

Années entre parenthèses 2020-2022 © Copyright Cinéma Saint-André des Arts
Années entre parenthèses 2020-2022 © Copyright Cinéma Saint-André des Arts

En 2020, Hejer Charf, réalisatrice canadienne d’origine tunisienne, voit ses projets brutalement annulés par le confinement. Elle en fait alors le point de départ de son prochain film, Années en parenthèses (2020-2022) qui sonde cette période si particulière.

C’est désormais une partie de l’Histoire  : en 2020, le COVID-19 se propage et met le monde à l’arrêt. Le passage à une réalité confinée, régie par le virus, permet de «  faire un état des lieux de la survie du monde  » pour la réalisatrice qui croise récits populaires, témoignages, luttes politiques, citations, extraits de films et de poésies. Il est difficile de saisir tous les courants et les idées qui traversent le film, tant sa matière est riche. Difficile également de choisir quoi ou qui citer, tant chaque extrait donné à voir, chaque voix et personne entendue traduit une histoire complexe, dépeignant un monde qui l’est tout autant. Les luttes se propagent et se diffractent, les voix se succèdent et se mélangent, et l’on ressort du film en portant la cartographie ample qu’il dessine.

Le monde éclaté

L’étendue du film est l’une de ses plus belles réussites. Sa géographie est éclatée et multiple (Canada, Liban, Tunisie, France, États-Unis, Algérie…) tout comme sa temporalité. La question de la définition et des contours de cette période historique soulève ainsi une question, car si le film se resserre autour de la période de 2020-2022, les incursions dans le passé sont nombreuses. Le présent porte en lui la mémoire douloureuse d’un passé irrésolu.

Face à un matériau si dense, un rapport immersif à l’image s’installe, une immersion par moment difficile à supporter. Mais cette immersion permet de restituer une forme de rapport au monde très spécifique à cette période du confinement : l’expérience d’un empêchement dans le monde et en même temps d’une réintégration très forte à celui-ci. On se souvient de l’appel du philosophe Bruno Latour à « (re)devenir terrestre ». Les frontières entre intérieur et extérieur se brouillent, et c’est cet intrusion du monde à l’intérieur de soi que restitue avec justesse Hejer Charf. Tout est lié  : la couleur du ciel, la nourriture, la musique, les secousses politiques, l’art.

La possibilité d’une révolution

Beaucoup d’images de mouvements populaires entrecoupent la narration du film (Black Lives Matter, la révolution libanaise…) . Le film est porté par la citation de Walter Benjamin, que l’on peut retrouver sur l’affiche : «  Il n’existe pas un seul instant qui ne porte en lui sa chance révolutionnaire  ». La possibilité d’une révolution relie chaque image et témoignage entre eux. Le montage dynamique du film permet d’engendrer à l’écran cette tension révolutionnaire.

Ces années Covid-19 ont surtout été marquées par l’omniprésence de la mort. Dans le film, c’est sous la forme d’un in memoriam continu qu’elle est montrée, signalant surtout les décès d’artistes, penseur.euse.s et intellectuel.le.s marquant.e.s du XXᵉ siècle  : de Sal Masekela, à bell hooks et Etel Adnan, en passant par Jean-Luc Godard. Leur visage et travaux traversent le film et permettent de fournir des outils conceptuels et intellectuels pour penser ces premières années 2020. D’autres morts sont aussi présentes, syndromes du racisme systémique au sein de la police et de l’hôpital : celle de Georges Floyd tué à Minneapolis à la suite des son arrestation et celle de Joyce Echaquan, maltraitée par le personnel hospitalier québécois. Tous ces visages qui ponctuent le film sont autant d’appels à continuer de résister, à penser, à ne pas oublier.

Alors que le monde a résolument repris sa marche d’antan, Hejer Charf réexamine à chaud les années 2020-2022 pour voir les bouleversements qu’elles nous ont apportés. Le film se termine avec une question  : la vie va continuer, mais comment  ?

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