Premier jalon de la trilogie Kamoush, The Wasteland (2020) de Ahmad Bahrami puise dans la lasciveté du cinéma iranien et la grammaire de Béla Tarr.
The Wasteland est une chronique du quotidien ouvrier d’un briqueterie artisanale en Iran. De temps en temps, le patron (Farrokh Nemati) rend visite à ses employés pour rappeler que les affaires marchent mal et qu’il ne peut pas les payer. Au centre de cette micro-société, Lotfollah (Ali Bagheri) jouit du statut de contre-maître à la fois intime et ignorant des personnages qu’il côtoient.
Shantih shantih shantih
La trilogie Kamoush ouverte par The Wasteland s’intéresse aux laissés pour compte, les inadaptés qui n’ont pas su évoluer. La justification principale de l’existence de ces dix ermites est elle même dépassée. Le travail artisanal et besogneux de la terre et de ses fours sont dépassé par le saint béton. L’industrie n’est même pas montrée. Bahrami renforce l’exclusion de ses personnages en laissant la menace hors champs. Cependant, ce faisant, il justifie leurs présence. Les ouvriers sont intéressant non plus par leur actions, mais par l’action d’être filmé, cela alors que la terre est devenue vaine.

Enfin le couple formé par Lotfollah et Sarvar (Mahdie Nassaj) teinte The Wasteland de pessimisme. Malgré son désir pour Sarvar, Lotfollah refuse de forcer les choses tiraillé par ses passions et la conscience de son caractère intrinsèquement coercitif. Malade et désireuse d’un avenir meilleur, Sarvar décide de partir dans la ville avec le patron. L’objet du film n’est plus l’évasion physique, ni même la conscience de l’absurdité de l’existence menée. En fait, cette manière de vivre n’est jamais remise en causes par les personnages. La tragédie se fait surtout à l’échelon individuel, par inertie, espoirs dilapidés et promesses indues. La fuite de la briqueterie ne se fait par révolution ou révolte, mais presque par opportunisme. Par l’effondrement de son monde, la dernière oppression du cadre, Lotfollah se mure dans un dernier silence.
Sens et structure
La première impression marquante de The Wasteland reste la longueur de ses plans. Ressemblant à l’expression de Béla Tarr, l’intention n’est pas tout à fait la même. Les plans séquences du réalisateur hongrois sont linéaires. Ils permettent d’éprouver le temps, mais en allant d’un point A à point B. Finalement, cette utilisation est celle que l’on retrouve le plus dans le corpus cinématographique. Le plan séquence comme moyen immersif et se voulant le plus total. Tarr détourne cette doctrine en la poussant à l’extrême. La longueur des plans et leurs chorégraphies soulignent l’artificialité du procédé. La conscience du faux permet au spectateur de dépasser sa passivité et s’interroger, un peu comme la distanciation de Bertold Brecht.
Bahrami étire aussi ses plans avec une lenteur de mouvement de caméra et un augmentation de la durée filmée. De plus, l’histoire elle même se répète. On entend à plusieurs reprise le discours du patron mot pour mot. Cette fois, les prises de vue diffèrent tout le temps. La forme et le scénario constituent une prison dont les barreaux sont invisibles.
Lotfollah est la parfaite incarnation de l’emmurement personnel. Par sa position d’intermédiaire, il est le seul à pouvoir retrouver le patron à son adresse dans la ville. Seulement, la forme du film le rattrape cruellement. N’est montrée que la briqueterie. L’organisation en microsociété ouvrière avec ses problèmes entre familles, et l’isolement de cette dernière par rapport au monde imaginé renvoie aux films de prison. Alors le travail aussi obsolète que grandiose de la fabrique de briques à l’ancienne se rapproche de celui des forçats dans les films du vieil Hollywood.
Pour conclure, Ahmad Bahrami délivre un film maîtrisé quasiment post-apocalyptique. On peut se plaire à le comparer avec les Mad Max. Les enjeux essentiels, cependant triviaux comme la répartition des matières premières est remplacée par l’inégalité de naissance et d’existence.