L’Arbre aux papillons d’or a fait une entrée remarquable au Festival de Cannes 2023, obtenant la prestigieuse Caméra d’or, une distinction réservée aux premiers longs-métrages. Le réalisateur, Pham Thiên Ân, originaire d’une petite ville vietnamienne où la spiritualité occupe une place centrale, a puisé dans ses propres expériences de vie pour réaliser ce premier long-métrage.
Le film raconte l’histoire de Thien, un personnage qui partage de nombreuses similitudes avec le réalisateur lui-même. Thien, comme Ân, est confronté à un conflit intérieur entre une foi négligée et une vie marquée par la frustration et le vide existentiel. Le film explore la quête de sens et de spiritualité à travers le retour de Thien dans sa ville natale. Ce voyage intérieur devient une métaphore des luttes personnelles et de la recherche perpétuelle de l’âme humaine pour quelque chose de plus profond, lié à nos rêves, nos passions et la réalité inéluctable de la mortalité. Ce qui distingue particulièrement L’Arbre aux papillons d’or est son style de narration unique.
Le réalisateur opte pour une approche mêlant onirisme et réalisme, adoptant parfois le style d’un documentaire. Pour obtenir cet effet, il a choisi de travailler avec des acteurs non professionnels, des résidents locaux, et de tourner dans des lieux authentiques, en utilisant un éclairage naturel. Cette approche immersive crée une expérience cinématographique captivante. Une méditation cinématographique sur la quête spirituelle, l’authenticité et le passage du temps, portée par l’expérience personnelle du réalisateur dans une approche artistique novatrice. Rencontre.
Quel a été le point de départ du film ?
L’idée d’origine est dans la première scène. C’était la vie à Saïgon, le bar, l’accident, le bruit, les paysages de la ville, la société très animée que j’ai voulue montrer dès le début du film, et qui est en contraste avec la vie que j’ai vécue avant à la campagne.
Comment avez-vous abordé le travail de mise en scène ? Vous avez réalisé un film particulièrement esthétique, mais qui est très tranché visuellement.
La mise en scène était capitale pour moi. J’avais imaginé toutes les scènes dans ma tête avant de tourner, et j’ai accordé une importance particulière au choix de lieux de tournage, par rapport à ça. Je pensais tout le temps à la bonne manière de combiner le son, le lieu, les mouvements des personnages, de la caméra… Une fois que le lieu était choisi, j’ai amené l’équipe, avec laquelle nous avons fait beaucoup d’essais, de repérages, pour pouvoir tester tous les mouvements de caméra et des personnages. Je laisse aussi beaucoup de place à l’improvisation.
Il y avait quelque chose de chorégraphié dans votre appréhension de l’image. L’enchaînement des scènes a un rythme très particulier. Leur longueur apporte une impression d’apesanteur, où la nature est omniprésente. Comment avez-vous travaillé ce tempo ?
Cela dépend. Toutes les séquences étaient prédéfinies dans ma tête à l’avance. Elles étaient déjà définies selon l’histoire et le voyage du personnage. Mais, une fois sur le lieu de tournage, chaque plan séquence était tourné plus lentement. Je décidais aussi d’arrêter les plans séquences, de couper en fonction de la suspension dans l’histoire. C’était important de laisser le film respirer, de permettre aux personnages et aux spectateurs d’avoir du temps pour se poser des questions.
Quel rapport entretenez-vous avec la fiction ?
En général, je pense que les films de fiction sont « trop faciles », parce que les cinéastes imposent leurs idées et ils ne laissent pas assez de place aux spectateurs pour qu’ils réfléchissent ou se posent des questions par eux-mêmes. Ce sont souvent des films très « remplis ».
L’arbre aux papillons d’or est à la fois préoccupé par l’histoire intime du personnage et de son neveu, mais aussi par le territoire vietnamien, qui est magnifié à chaque scène. Tout cela vient créer une expérience sensorielle très forte. Y a-t-il une forme de confrontation entre la vie intérieure des personnages et le monde réel que vous montrez ?
Oui, je voulais créer une opposition et une confrontation permanente à plusieurs échelles. Entre la vie en ville et celle de la campagne, entre la vie intérieure et extérieure du personnage, entre la spiritualité et une vie matérielle banale.
Qu’est-ce qui vous a guidé dans le choix de l’accompagnement musical du film ?
Il y a deux choix pour deux morceaux de musique. D’abord, pour la scène de l’enterrement, j’ai choisi une musique de Schubert, parce qu’elle correspondait vraiment à la scène où les gens sont réunis pour prier la tante décédée. Si cette musique avait la parole, elle glorifierait sans doute le fait de prier. Pendant tout le film, il y a un morceau de guitare, qui revient durant tout le film. C’était un peu un hasard, je l’ai découverte en regardant un film documentaire sur Mossoul, et j’ai trouvé que cette musique, dans sa simplicité, correspondait bien à l’esprit du film que je voulais faire. Donc j’ai cherché le morceau et j’ai demandé l’autorisation du compositeur pour l’utiliser dans mon film.

On peut interpréter (ou pas) une certaine dimension politique dans votre film. Selon vous, le cinéma est politique par essence ? Est-ce qu’il doit l’être ?
Je ne peux pas vraiment donner un avis tranché. Est-ce qu’il faut absolument intégrer la politique dans le cinéma ? Je pense que c’est vraiment un choix personnel, d’aborder ou non cette question. Mais il faut dire que pour ce film, au début, j’avais mis un peu plus d’éléments qui sont en lien avec la politique, et puis progressivement, ç’a diminué. Mais je pense qu’au Vietnam, c’est un sujet qu’on aborde beaucoup. C’est intéressant, mais ça peut vite être sensible.
Il y a un parallèle frappant entre votre premier court-métrage Stay awake, be ready et L’arbre aux papillons d’or. Vos films forment-ils une fresque, une continuité ?
Oui, c’est fait exprès ! En fait, le court métrage était comme un essai de ce film. Je voulais voir si j’étais capable techniquement de monter un film, de tester mes idées. J’ai développé le long-métrage à partir du court.
Vous semblez vraiment très précis et méthodique dans votre manière de créer !
Oui (rires), on peut dire ça !
Dès la première phrase de la bande-annonce du film, le petit questionne son oncle à propos de la foi, de spiritualité. Pourquoi est-ce une question centrale dans vos créations ?
Je pense que c’est le questionnement du personnage sur la foi, sur la religion, notamment catholique, sur l’existence de Dieu… Je pense que c’est important dans la vie de se poser des questions sur la foi. Ce concept est présent en chacun de nous, moi, je considère le cinéma comme mon propre “appel du divin”.
Votre film invite le spectateur à y penser par lui-même ? Il ouvre un chemin de réflexion ?
Oui, je pense que c’était aussi une idée de lecture du film, que les gens soient amenés à se questionner sur la foi ou leur foi. Mais pour moi, une fois que les spectateurs sont sortis de la salle, s’ils se posent des questions d’ordre spirituel, ou bien sur leur propre spiritualité, c’est de l’art.
Votre film a été très bien reçu à Cannes. Comment ça s’est passé au Vietnam ?
Au Vietnam, les avis sont très partagés ! Pour les critiques de cinéma, les gens qui aiment le cinéma et les films d’auteurs, il y avait un enthousiasme général. Par contre, pour le public dans un sens plus large du terme, il y a une plus petite partie des gens qui ont aimé le film. Les autres ont quitté la salle pendant le film, ou se sont endormis (rires). Je crois que c’est trop lent, peut-être trop difficile pour eux. Les gens de profession catholique ont pour la plupart beaucoup aimé, parce qu’ils se sont reconnus dans les rituels, dans l’ambiance du film. Mais ils ne représentent que 10 % des habitants du Vietnam.
Et puis, au Vietnam, il faut dire que les estimations étaient assez restreintes, elles n’ont été faites que dans les grandes villes, à Saigon et à Hanoi. Je ne sais pas quelle a été la réaction des spectateurs qui habitent dans de plus petites villes de province.
Comment appréhendez-vous la manière dont L’arbre aux papillons d’or va vivre en France ?
Je suis plutôt confiant. Pour le moment, les retours sont très, très positifs.