LITTÉRATURE

« La Foudre » – Pierrick Bailly frappé par la grâce

La Foudre
© Cafuego/Wikimedia Commons

Dans La Foudre, l’écrivain originaire du Jura met en scène un triangle amoureux en pleine montagne dans un style obsédant.

John n’est pas le genre à se compliquer la vie. Avant, ce berger du Jura un peu misanthrope sur les bords, se faisait appeler Julien. C’est son prénom. Mais le temps passant, il est monté dans les hauteurs garder les troupeaux comme le faisait John, son grand-père. Maintenant, John, c’est lui. Tout le monde l’appelle comme ça. Du haut de son chalet, toujours accompagné de ses deux chiens, John repense parfois à sa jeunesse. Ou plutôt, sa jeunesse se rappelle à lui lorsque, dans le journal local, il voit passer une brève. Un fait divers un peu sordide. Dans un village à quelques dizaines de kilomètres de là, un vétérinaire vient d’assassiner un jeune chasseur. Le meurtrier est un ami d’enfance. Alexandre. Ils étaient au lycée ensemble.

L’intrigue part du meurtre. On image le récit d’un fait divers. Pierrick Bailly n’a pas peur des virages à cent quatre vingt degrés. John se souvient de son adolescence et de l’obsession qu’il avait pour Alexandre à cette époque. Le jeune homme était différent. Il irradiait d’une lumière spéciale, impossible de ne pas l’aimer. Sensible, plutôt beau garçon, engagé dans la défense des animaux. Le genre qui plaît aux filles mais qui ne s’en rend même pas compte. John se souvient sa gaucherie à lui, le rire communicatif de son ami, qu’il lui a « volé » en grandissant. Il rêvait de pouvoir rire comme Alexandre. Son entourage s’est-il rendu compte de cet emprunt ?

Après le meurtre, le procès. John, dont la vie se caractérise par sa stabilité – une vie dans les hauteurs, quelques descentes pour retrouver sa copine prof d’anglais, avec qui il prévoit de déménager et, pourquoi pas, avoir un enfant – est bousculé. Il voudrait écrire à Nadia, une fille du lycée plutôt discrète avec qui Alexandre s’est marié. Difficile de trouver quelque chose d’intelligent à dire. Il n’y a pas de formule de politesse pour les femmes de meurtrier. Il écrit un message un peu gauche. Elle lui répond instantanément. Propose de se rencontrer. Il accepte.

L’obsession, l’amour

La Foudre, c’est un roman surprenant. Pierrick Bailly déploie avec habileté, au fil des pages, une intrigue qui prend de l’ampleur. La pauvre histoire de fait divers s’étend rapidement aux obsessions de jeunesse d’un personnage principal dont on épouse le point de vue. On pense que le récit, hyper maîtrisé, accroché comme une caméra aux paysages du Jura, sera celui de cette amitié. Et puis débarque Nadia, cette fille transparente que John connaît à peine. L’intrigue vacille, prend une nouvelle dimension. Les rebondissements sont légion. Notre personnage vacille. De l’obsession, on passe soudainement au récit d’un amour inexplicable, impossible, dévorant. C’est un amour marqué du sceau de l’adolescence qui dévore John.

« Je n’avais plus rien à lui reprocher, comme s’il était mort et que je ne gardais de lui que le meilleur. Je pensais à lui tous les jours, tout le temps, sans que personne n’en sache absolument rien. Une relation secrète dont il n’était pas au courant lui-même. »

Pierrick Bailly, La Foudre

La prose de Pierrick Bailly, simple d’apparence, devient rapidement addictive. Avec son personnage, on passe d’une obsession à une autre. Les retournements d’intrigue, multiples, tiennent jusqu’au bout en haleine. Il ne s’agit même plus de savoir comment l’intrigue va finir (comment expliquer le meurtre d’Alexandre, lui qui s’est toujours posé en chantre de la non violence ?), mais jusqu’où l’intrigue ira. L’auteur ressuscite, dans des descriptions très réussies, ces émotions intenses qui habitent les ados et disparaissent au passage à l’âge adulte. L’impression fugace de n’être pas suffisamment bien par rapport à son ami, qui, au fond, n’a jamais vraiment quitté le corps de Julien. Le sentiment de n’être pas assez, l’envie d’être un autre. De se travestir, jusqu’à devenir, pourquoi pas, lui.

Peu à peu, ces sentiments fous investissent l’intrigue jusqu’au virage final. L’auteur ressuscite le genre, très couru, du triangle amoureux. À mesure qu’il revient par le biais de son ancien ami, dans le passé, John développe des émotions adolescentes. Chaque page déchire ce personnage, dont on suit les pérégrinations mentales. Lui qui aimait tant observer la foudre descendre sur les arbres et cogner contre sa montagne semble avoir été touché aussi. Et Pierrick Bailly, lui, comme frappé par la grâce.

La Foudre de Pierrick Bailly, éditions P.O.L, 24 euros.

Journaliste

You may also like

More in LITTÉRATURE