Avec cette exploration du fascisme à la française de 1941 à 1945, Sylvain Creuzevault revient au Festival d’Automne avec une pièce en figure de procès des intellectuels de l’époque. Un spectacle érudit mais peut être trop divertissant sur la France des années noires.
Ici tout commence par la fin, en 1945. C’est le procès de Robert Brasillach. L’écrivain tente de se défendre, va jusqu’à chanter fébrilement a cappella une comptine de son enfance, mais finit fusillé pour « intelligence avec l’ennemi ».
Après cette ouverture, retour en 1941. Les pions de la collaboration se mettent en place. Au-delà de la structure administrative, la collaboration française s’appuie sur une structure intellectuelle. C’est d’elle dont il est question dans cette pièce dense aux allures de procès. Brasillach donc, mais aussi Rebatet, Drieu La Rochelle et Louis-Ferdinand Céline apparaissent successivement. A ces auteurs viennent s’ajouter quelques aspirants politiciens tels que Marcel Déat et Jacques Doriot, tous deux fondateurs de la Légion des volontaires français contre le bolchévisme (LVF) dont les membres s’engageront au sein des troupes allemandes sur le front de l’Est. On retrouve également des responsables de premier plan, à l’image de Pierre Laval, chef du gouvernement et d’Otto Abetz, francophile ambassadeur d’Allemagne alors en poste à Paris.
Ces figures d’un fascisme « à la française » défilent au grès de l’évolution du conflit : lois anti-juives et rafle du Vel d’Hiv, fin du pacte germano-soviétique, chute de Mussolini, entrée en guerre des États-Unis, etc. On a beau connaitre la fin de cette histoire, l’ensemble n’en demeure pas moins passionnant. Les amitiés se font et se défont, la haine des discours se fait plus virulente mais les dissensions qui peuvent exister entre toutes ces branches de l’extrême droite s’imposent également.

Éviter le cours d’histoire
Sylvain Creuzevault et son dramaturge Julien Vella parviennent à construire une pièce historique précise sans tomber dans le cours d’histoire assommant. Certes la quantité d’information est importante mais jamais le rythme du spectacle n’en pâtit.
Cela doit beaucoup à l’interprétation des acteurs qui jouent tous plusieurs rôles avec un engagement constant. C’est notamment le cas de Charlotte Issaly (stupéfiante Robert Brasillach) et Lucie Rouxel (terrifiante Lucien Rebatet). Aux côtés d’Arthur Igual ou Valérie Dréville, ils donnent tous chair à ces figures qu’on a parfois tendance à amalgamer. Le spectacle oblige à se questionner sur la responsabilité des intellectuels qui, à un moment donné, conçoivent leur action littéraire comme une arme et qui font de l’engagement politique leur priorité.
Ces dernières années, Sylvain Creuzevault a beaucoup monté Dostoïevski. Il le dit lui-même dans le programme du spectacle, cela lui a été d’une grande aide pour concevoir cette fresque historique aux ramifications complexes. La construction est tenue et les dialogues aiguisés n’ont rien à envier à ses adaptations des Frères Karamazov ou des Démons.
A ce travail sur la langue, il faut ajouter la fabuleuse attention portée au son. Du début à la fin, le musicien Antonin Rayon (présent sur scène) et Loïc Waridel assurent un accompagnement sonore et musical très immersif qui participe assurément à l’intensité de la pièce.



Peut-on rire de tout ?
Évidemment, les origines de cette pièce sur le « fascisme français » sont à chercher dans le contexte politique national actuel. Le spectacle s’amuse à citer Laurent Wauquiez et Michel Houellebecq à plusieurs reprise, comme pour dresser un parallèle avec la scène politico-intellectuelle du début des années 1940. Malheureusement, l’humour (un peu scatologique) dans lequel baigne l’ensemble à tendance à émousser la portée des observations politiques (par ailleurs parfois un peu faciles) énoncées. On avait pourtant bon espoir. Le programme cite en référence Theodor Adorno et son regret de voir les artistes trop souvent s’embourber dans des représentations comiques ou burlesques du fascisme. L’intellectuel allemand accuse les comédies sur ce thème de se rendre complices d’un cliché « bien léger », à savoir que le fascisme serait par nature voué à l’échec car il s’opposerait au sens de l’histoire universelle.
Et pourtant, c’est bien une comédie qui se joue devant le public. Les personnages sont tournés en ridicules, montrés sous leur jour le moins flatteur, le plus grotesque ou hypocrite. Certes, la pièce n’est jamais gênante moralement. Elle sait se positionner et on ne rit jamais avec les fascistes mais plutôt contre eux. On ne peut toutefois s’empêcher de penser qu’en faisant le choix du spectacle franchement divertissant – voire de la farce – Creuzevault renonce de lui-même à l’idée d’une « grande » pièce sur le fascisme français. C’est d’autant plus dommage qu’on les devinent lui et sa troupe tout à fait capables de livre une telle pièce.
Edelweiss [France Fascisme] de Sylvain Creuzevault, jusqu’au 22 octobre à l’Odéon-Théâtre de l’Europe (Ateliers Berthier 17ème) dans le cadre du Festival d’Automne. Durée : 2h10. Tarifs : 9-37€.