LITTÉRATURE

« Plus jamais » – Vie et mort d’un amour

Megan Nolan (c) Sophie Davidson
Megan Nolan (c) Sophie Davidson

Pour son premier roman, Plus jamais, l’Irlandaise Megan Nolan a choisit le sujet canonique de l’amour dévorant et destructeur. Évitant certains écueils, elle revisite le genre tout en interrogeant les relations patriarcales.

La narratrice de Plus jamais a depuis l’enfance remplacé l’amour par la religion. C’est pourquoi, le jour où elle aperçoit Ciaran dans une galerie d’art, c’est sa « grande foi en l’amour » qui lui dicte sa conduite. Elle file la métaphore, déjà dévouée : « de son corps j’allais faire un autel, déposer à ses pieds ma propre chair palpitante et me consacrer entièrement à la sienne ». C’est le coup de foudre avant le coup de blues. Ils décident de se revoir. Le début d’une longue descente aux enfers pour elle.

Il est hâtif de comparer Megan Nolan à Sally Rooney comme le font déjà certains critiques. Certes, les deux autrices partagent quelques points communs. Toutes deux sont des plumes émergentes de la littérature irlandaise et ont fait des relations amicales et amoureuses leur sujet de prédilection. Mais là où Sally Rooney excelle dans l’analyse et l’ironie, Megan Nolan propose au contraire une empathie débordante qu’elle a appris à maîtriser et à apprécier.

Comme elle le remarquait elle-même en 2020, avant ce premier roman, Nolan reprochait à ses écrits d’être « trop honteux, trop féminins » ou encore « humiliants du fait de leurs sujets féminins ». Elle ajoutait même : « une partie de moi, impossible à faire vaciller, voyait les hommes comme les seuls vrais humains, tandis que le reste d’entre nous n’existions qu’en relation par rapport à eux ». C’est paradoxalement la lecture d’un homme, Karl Ove Knausgård, qui lui a permis de se défaire de sa honte et d’en faire au contraire le principal matériau de son premier roman. La narratrice y suit une trajectoire similaire : tout miser sur les hommes avant de faire volte-face.

L’amour par nature alimente et accorde de la valeur à ces moments sans intérêt qu’autrement on gâcherait à tâcher de faire figure humaine, à tourner en rond dans un meublé de merde, à tuer le temps jusqu’à 19 heures, l’heure de déboucher une bouteille.

Megan Nolan, Plus jamais

L’art de la syncope

Plus jamais est de facture très classique. Le livre commence par la rencontre, se poursuit avec la relation et s’achève avec la rupture (tout est annoncé d’entrée de jeu et dans le titre). Rien n’existe dans l’univers narratif en dehors de cette relation à part quelques souvenirs d’enfance et les chapitres situés à Athènes en 2019. L’action elle, se passe entre Dublin et Waterford d’où est originaire l’autrice, d’avril 2012 à septembre 2014. Une petite période fragmentée en courts chapitres au rythme syncopé comme des petites vignettes.

Nolan innove lorsqu’elle traite d’un petit sujet par chapitre : la jalousie, l’alcool, la relation au père… Elle propose un portrait très vivant de sa narratrice, dont on saura quasiment tout excepté son nom. La jeune femme, loin d’être une infaillible héroïne, est une alcoolique patentée. Et les chapitres dans lesquels des parallèles sont faits entre elle et des personnalités, donnent lieu aux anecdotes les plus croustillantes. Le parallèle avec William Faulkner par exemple, très porté sur la bouteille. Ou celui, macabre mais étonnamment drôle, de ce médecin fou amoureux d’une patiente.

Au cours de la nuit, Faulkner s’était levé pour aller vomir et, s’effondrant contre un radiateur, il avait perdu connaissance. Sonné, il n’avait pas senti le tuyau lui griller gentiment le dos durant de longues heures. Le temps qu’on le découvre gisant par terre, il s’était brûlé au troisième degré.

Megan Nolan, Plus jamais

De quoi parle-t-on quand on parle d’amour ?

Le roman parle surtout de l’amour aveugle que porte la narratrice à Ciaran et de la progressive toxicité de leur relation. Elle se grime en conjointe modèle des années 50 pour plaire à son copain. Mais elle rappelle surtout que l’équation est perdante des deux côtés, puisque faisant ceci, elle lui retire son autonomie, « pour qu’un jour il ne parvienne plus à se rappeler comment il s’était débrouillé sans [elle] ». C’est le titre original, Acts of Desperation (actes désespérés) qui permet d’orienter une grille de lecture. La narratrice oscille, tantôt au bord de la folie, tantôt lucide ou très crue. Elle démolit méthodiquement le mythe du chevalier sauveur que semble incarner Ciaran au départ. Ne reste bientôt que la tristesse, lucide.

Si j’étais debout là, au-dessus de cet évier, c’est bien que je l’avais appelé de mes vœux, j’avais réclamé jusqu’à cette pomme de terre gluante, celle-là et pas une autre, qui me glissait entre les doigts.

Megan Nolan, Plus jamais

Malgré quelques poncifs, Plus jamais est un premier roman prometteur. Le style est fluide et le rythme rapide. Megan Nolan se sert de sa narratrice pour tracer un petit sentier : il n’y a pas que les hommes dans la vie des femmes. Une fois cette évidence rappelée, toute l’attention sera reportée sur son prochain roman. Quand on ne parle pas d’amour, de quoi parle-t-on ?

Plus jamais de Megan Nolan, traduit de l’anglais (Irlande) par Madeleine Nasalik, éditions de l’Olivier, 381 p., 22,50€

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