De passage à Pete the Monkey, Zaho de Sagazan nous a évoqué son hypersensibilité, sa passion pour le travail, son amour éternel pour Koudlam ou encore l’album à venir.
Un premier album sorti en mars, plus de 150 dates de tournée et un Zénith à venir. Avec La Symphonie des éclairs, et la splendeur énervée de ses textes, Zaho de Sagazan a rapidement conquis de nombreux cœurs. Quelques heures avant son concert normand, l’artiste s’est confiée à nous, un sourire contagieux aux lèvres.
Ta musique fait écho à l’âge d’or de la chanson française, c’est ce qui t’a bercée ?
J’ai eu beaucoup de phases à vrai dire ! Petite, j’ai eu une véritable obsession pour les comédies musicales. Vraiment toutes, de Mozart, l’opéra rock à Peau d’Âne en passant par Roméo et Juliette ou encore Les Choristes. Tom Odell a été mon premier choc musical, je voulais l’écouter à vie et surtout je voulais faire comme lui. Puis j’ai eu une grosse période rock, avec Janis Joplin, Nirvana, Pink Floyd, Led Zeppelin, tous les grands… Et bien évidemment la chanson française, j’en parle partout (rires) ! J’ai écouté beaucoup de genres différents, mais longtemps j’ai entendu la musique sans l’écouter. Typiquement, j’avais entendu Brel depuis toujours mais je ne l’avais jamais écouté avant mes 15 ans.
Et quand tu l’as vraiment écoutée, qu’est-ce qui s’est passé ?
Ça a changé ma vie. J’ai découvert le principe de raconter des histoires en chanson et j’ai trouvé ça fantastique. Puis vers mes 16 ans j’ai été plutôt vers l’électronique. J’ai découvert Koudlam, mon père m’a donné son vinyle et j’ai adoré. Je savais qu’on pouvait être touchés grâce aux mots et aux voix, mais je ne savais pas encore qu’on pouvait l’être grâce à des synthés. C’est là où j’ai compris qu’il y avait un monde vers lequel je devais aller. Koudlam est dans mon top 5 depuis des années et je pense qu’il n’en sortira jamais. Après j’ai découvert Kraftwerk, LCD Soundsystem… On peut trouver du bon partout, même chez Claude François (rires). J’adore la pop comme des BO de films d’horreur alors que tout le monde trouve ça bizarre.
À quel moment la musique est devenue une pratique, au-delà d’une passion ?
Lorsque je me suis mise au piano pour faire comme Tom Odell ! Je regardais tous ses live, puis j’ai vu le piano dans mon salon et je me suis dit « mais pourquoi je ne fais pas la même chose ? ». Je le voyais crier sur son piano, et j’avais toujours eu ce besoin aussi. Donc j’ai repris ses titres, puis très rapidement j’ai eu envie de raconter mes propres histoires. C’est devenu totalement obsessionnel, dès le premier jour. Dès que je n’étais pas en cours je faisais du piano. Et avec la musique électronique est venue la découverte de Garage Band, et le principe d’enregistrer quelque chose, de pouvoir faire une prod. C’était très mauvais mais je me suis lancée (rires).
Tu voulais déjà en faire ton métier ?
J’ai longtemps voulu être chirurgienne, travailler à l’hôpital en tout cas. C’est en terminale que j’ai réalisé que je ne bossais absolument pas mes cours pour jouer au piano. Je savais que je pouvais bosser 7h de suite sur une chanson sans problème, donc il s’agissait d’arrêter le déni ! Je ne savais pas comment j’allais en faire mon métier, mais j’allais tout faire pour. C’est là où j’ai rencontré mes producteurs, deux ans après le lycée, j’étais auxiliaire de vie à l’époque et je faisais de la chanson dans ma chambre. Je leur ai dis « bonjour, j’ai beau avoir une gueule de meuf qui fait de la chanson française j’aimerais bien aller beaucoup plus loin ». On est rentrés dans une grande amitié et on a fait beaucoup beaucoup de studio avant de sortir quelque chose, pour découvrir qui on voulait être ensemble.
Tu as rencontré le succès assez vite, est-ce qu’il y a un moment particulier où tu l’as réalisé ?
Je pense que de l’intérieur on ne réalise pas trop. Et c’est plutôt sain, parce que si tu commences à te dire « wow on parle de moi partout » tu peux vraiment prendre la grosse tête. Je pense que là où j’ai eu un déclic c’est quand j’ai écouté l’album mixé et que j’ai réalisé que je l’aimais bien. Ça faisait trois ans et demi que j’étais dans le doute permanent et c’était vraiment infernal, ça peut être très violent psychologiquement. J’avais l’impression d’être Gollum obsédé par son précieux. Je doute sans cesse, évidemment, mais maintenant c’est sur autre chose : le live, les clips… Après je ne réalise pas du tout, je profite. Pourtant j’ai longtemps rêvé de ça, en tant qu’artiste on a tous envie de poster une vidéo et d’avoir des millions de vues en deux jours. Nous ça va doucement mais c’est déjà extraordinaire. Ce qu’on réalise c’est que les gens connaissent les chansons, sourient, et ça c’est déjà merveilleux.
Tu évoques une forme d’hypersensibilité dans tes titres, et en même temps on a l’impression que tu gères tout, c’est quoi le secret ?
Je suis hypersensible mais j’ai un autre syndrome : celui de la bonne élève. J’ai vraiment envie que ma présence sur cette Terre soit bénéfique. J’ai envie de faire de belles choses et surtout de rendre heureux les gens. Parfois bien sûr que j’ai envie de craquer. Il n’y a pas longtemps sur un tournage j’avais envie de tout casser, de pleurer et de dire on arrête tout. Mais en même temps, je suis entourée de quinze personnes qui sont là pour moi, ça compte. Dans ce métier là tu es sans cesse avec l’autre. Donc si tu as un minimum de compassion tu ne veux pas être la meuf qui fait vivre un enfer à tout le monde. Le métier d’artiste demande beaucoup de qualités, et je m’en rends compte seulement maintenant. Quand j’avais 15 ans et que je voulais être chanteuse, je pensais qu’il fallait juste chanter. Et en fait non ! En plus, il faut avouer que dans le milieu l’artiste est un peu le petit roi donc tu peux très vite devenir capricieux. Si je deviens comme ça, autant mourir !
Beaucoup d’artistes ont la crainte du second album quand le premier a bien marché, c’est ton cas ?
Là je n’ai pas du tout le temps à vrai dire ! Après bien sûr que je pense à la suite, je me demande si je vais être à la hauteur. Vu que j’ai fait un album dont je suis fière, et que les gens ont tendance à dire qu’il est bien, typiquement les visuels et les clips je n’ai pas du tout envie qu’ils soient moins bien. Sauf que l’album on a eu trois ans et demi pour le faire, les clips les deadlines s’enchaînent alors que je suis à quatre dates par semaine. Ça me fait un peu peur, parce que je ne peux pas sortir des vidéos trois ans après l’album. Je n’ai même pas le temps d’aller voir ma coloc à Nantes, alors faire un clip (rires).
Comment est-ce que tu gères tout ce planning ?
J’essaye au maximum de mettre des rythmes, si tu écoutes le milieu c’est « si tu ne sors pas un clip tous les deux mois on t’oublie », et bah oubliez moi, je reviendrai ! S’il y a bien une qualité que j’ai c’est la conscience du temps. Ce qui est souvent compliqué avec le second album, c’est que les gens ont six ans pour faire le premier, toute leur vie pour l’inventer, et que d’un coup on demande de faire un second album en un an. Et c’est con mais faire de la musique tu peux passer dix heures devant ton piano et sortir que de la merde. Ce n’est pas juste remplir un formulaire. Je ne dis pas que l’art est au-dessus de tout, mais juste que des fois ça ne sort pas. Si je dois prendre six ans à faire le suivant je les prendrai.
Dans une précédente interview tu disais qu’il était facile de sombrer et d’avoir des démons, surtout dans ce milieu, ça te fait peur ?
Non car je suis extrêmement bien entourée. Je sais que je peux avoir ce côté démon, je le raconte dans l’album d’ailleurs, j’ai un côté très fort à l’addiction. Je suis bonne vivante, j’adore manger, fumer et boire. Mais je pense aussi qu’il n’y a pas besoin de ça pour être heureux. Et ce rythme-là te le prouve, parce que si tu es trop bon vivant tu es mort (rires). J’ai la chance d’être avec des gens qui le sont un peu moins que moi, qui sont bons vivants aussi mais dans d’autres choses, et plus saines. Addict au sport c’est bien aussi !
Ton moment préféré pour composer est au piano, seule, comment fais-tu en tournée ?
On a fait 130 dates en van, c’est-à-dire assis dans un siège pendant 7h à côté de ton copain, et là c’est impossible pour moi d’écrire. Mais depuis quelque temps j’ai un tourbus, et c’est juste la révolution de la tournée. On a plusieurs endroits pour s’isoler, c’est beaucoup plus spacieux, j’ai l’impression d’être une rockstar (rires). Et pour le coup moi tu me donnes n’importe quel endroit clos, seule, je peux écrire. Rien qu’en 24H dans le tourbus j’ai déjà écris un petit truc !
Est-ce que tu as l’impression que ce sont les moments les plus tristes, comme les ruptures ou autres qui t’inspirent ?
Les moments positifs peuvent m’inspirer aussi. « La symphonie des éclairs » je l’ai écris dans un moment très beau, j’étais dans l’avion, je voyais le paysage depuis le hublot et je trouvais ça splendide. Puis on est descendus dans les nuages et ce refrain m’est venu. Après effectivement je pense que quand je suis heureuse il me suffit de l’être, alors que quand je suis malheureuse j’ai besoin de l’exprimer, de le comprendre. J’adore les musiques joyeuses mais je n’arrive pas trop à faire ça. Mais ce n’est pas parce qu’on parle de quelque chose de triste que c’est plombant. Il y a tellement d’énergie dans la tristesse ! Quand je chante « Tristesse » je lui dis d’aller se faire foutre d’ailleurs, je ne pleure pas en boule. Comme avec mes amis, je préfère connaître leurs sentiments que leur résumé d’un restaurant. De toute façon j’ai toujours rêvé d’être psy moi (rires). Je trouve que les gens sont encore plus touchants dans leurs faiblesses, dans leurs travers.
Est-ce que tu sais pourquoi tu touches autant les gens ?
Sûrement le mariage de la chanson française et de l’électronique. On peut réunir quelqu’un de 60 ans qui a toujours aimé Barbara et quelqu’un de 25 ans qui n’écoute que de la musique électronique. Pendant le live, l’un et l’autre peuvent être surpris. Puis les textes jouent aussi, sans me vanter le moins du monde. La « Symphonie des éclairs » c’est l’histoire de ma vie, mais j’ai toujours cherché à aller vers l’universel. J’aime bien dire « je » sans tomber dans l’égocentrisme. Je me rappelle d’un tweet qui disait « ah ça je ne peux pas les artistes qui parlent à la première personne », mais au contraire, en disant « je », tout le monde peut s’identifier. Quand toi tu vas entendre « je », tu vas t’identifier à ce « je ». Je suis persuadée que c’est dans notre plus grande intimité qu’on est le plus universel. C’est ce qu’on a tendance à ne jamais dire, parce qu’on a honte, qui nous rend le plus similaire. Les problèmes de confiance en soi, la peur de l’abandon, le rapport au corps ou à la cigarette, énormément de personnes sont touchées par ça. On a tendance à se sentir très éloignés de tout le monde mais la musique prouve que non.