À la UneCINÉMA

FFA 2023 – Nadir Moknèche : « J’ai essayé de casser les clichés »

Nadir Moknèche au FFA 2023 © Léïna Jung pour Maze

Présenté au Festival du Film Francophone d’Angoulême, L’air de la mer rend libre est une croisière sur le fleuve de la tradition. Ce long-métrage questionne la place centrale du mariage dans les sociétés. Rencontre avec son réalisateur, Nadir Moknèche.

Né à Paris, de parents algériens, Nadir Moknèche est un réalisateur dont le cinéma est empreint d’un questionnement à la fois genré et culturel. Ayant amorcé des études de droits, il se tourne finalement vers l’art dramatique — poursuivant notamment une formation au Théâtre national Chaillot — avant d’étudier le cinéma à New York. L’air de la mer rend libre est son sixième long-métrage. Présenté en avant-première au Festival du Film Francophone d’Angoulême 2023, le film fait partie de La Compétition.

Comment présenteriez-vous L’air de la mer rend libre et son enjeu  ?

C’est l’exercice le plus compliqué (rires) ! C’est l’histoire de ces deux protagonistes, Saïd et Hadjira, qui forment un couple improbable : ils vont se retrouver ensemble à cause d’un mariage arrangé. Et cette mauvaise rencontre va leur être bénéfique. Elle va aboutir à une forme d’épanouissement, leur permettre de vivre ce qui est essentiel : les relations amoureuses. S’empêcher de vivre son amour, c’est s’empêcher de vivre une grande partie de sa vie.

D’ailleurs pourquoi on est sur terre si ce n’est pas pour ça  ? Leurs parcours sont difficiles, parce qu’ils sont provoqués par des familles, leurs traditions, leurs interdits. Puis comme une sorte de baptême de feu, ce mariage va les pousser à prendre des décisions. J’ai trouvé important de représenter ce genre d’histoire. Ce parcours, c’est un peu mon propre parcours, un peu celui d’autres gens. C’est cette idée qu’à un moment donné, il faut prendre une décision. Et dans nos milieux, dans nos sociétés traditionnelles — même si extérieurement, elles peuvent ne pas paraître traditionnelles — c’est toujours le groupe qui domine l’individu.

Ce projet, comment est-il né  ? Quelle a été la construction de cette histoire ?

L’élément déclencheur, mais qui n’est pas le sujet du film, c’est le regard de la majorité sur la minorité. En France, je sais qu’on peut ne pas vouloir parler de minorités ethniques religieuses parce que «  nous sommes un seul et même peuple  ». Mais cette phrase me revient tout de même «  Montrez-moi l’état des minorités, je dirais l’état de votre démocratie  ». L’enjeu, alors, c’est « quel est le regard de la majorité sur la minorité finalement ».

J’ai toujours travaillé autour des a priori. Dans mes films, j’ai essayé de casser les clichés, ce qui ne veut pas pour autant dire, qu’ils n’existent pas. Mais pourquoi uniquement les mêmes images et pourquoi pas d’autres images qui existent  ?

Je prends toujours cet exemple  : prenons le jeune Saïd (Youssouf Abi-Ayad) de 17 ans qui va aller sur un moteur de recherche parce qu’il a des questionnements par rapport à sa sexualité, son orientation, le sentiment d’être attiré par les garçons. Pour essayer de comprendre, il va taper sur un moteur de recherche «  arabe homosexuel gay  ». Il va tomber sur des images pornographiques. Alors que le François de 17 ans, il va mettre la même chose dans un moteur de recherche et tomber sur des films d’art et d’essai par exemple. Ça pourra le nourrir, l’instruire.

Et donc c’est parti un peu de cette injustice-là  : essayer de montrer ce jeune homme de classe moyenne issue de l’immigration après la Deuxième Guerre mondiale. D’entrer un peu dans cette famille, dans le conflit qui l’anime à ce moment-là. Par peur de quitter sa famille, par peur de rompre avec sa famille, Saïd va accepter un mariage arrangé. C’est une façon de contourner cette peur qui est l’inconnu.

Pour avoir vu Lola pater avec Fanny Ardant, votre cinéma aborde fréquemment la question du genre et celle de la place de la tradition, dans l’acceptation de soi et des autres.  Comment déterminez-vous les sujets que vous défendez ou que vous abordez  ?

Il y a déjà le point de vue de la justice et une partie autobiographique. Alors ce n’est pas biographique, j’emploierai plutôt le terme de bio-fiction. Il y a aussi mon rapport à la société française, mon rapport en tant que citoyen, en tant qu’individu. Également le regard que la majorité pose sur moi, parce qu’on est toujours pointé du doigt. On a peur du faux pas, on se dit «  ça y est, j’ai fauté ». Voilà, c’est mon rapport à cette société et mon rapport à ma propre famille. C’est une façon d’être à l’écoute de son entourage aussi sans doute.

Pendant le casting, plusieurs jeunes gens se sont identifiés au personnage, à son histoire. Les acteurs pourraient raconter tout et n’importe quoi pour obtenir un rôle, j’en suis conscient, mais certains ont vécu des histoires semblables, liées à leur homosexualité parfois. Et puis il arrive qu’on entende dire « je veux que notre fils épouse une fille bien choisie, qu’on lui a désigné, parce que c’est dans notre intérêt, dans l’intérêt de la famille ». En France, de nos jours.

D’autres jeunes gens qui m’ont dit que le rôle était nécessaire, mais qui ne se sentaient pas de le jouer, parce que c’est tabou. Ça suscite des questionnements, des réticences. J’accepte qu’il y ait des tabous, mais les tabous à un moment donné, on peut les casser parce que les sociétés évoluent.

Pour en venir à la distribution justement  : était-elle une évidence  ? Je pense notamment à la maman de Hadjira, interprétée par Lubna Azabal, qui parvient à porter un brin de comédie à l’histoire.

Pour moi, c’était une évidence que la mère d’Hadjira, soit Lubna. Lorsque j’écrivais dans le bureau, il m’est arrivé de regarder l’affiche de Viva l’Algérie, et c’est là que je me suis dit «  évidemment, c’est Lubna  ». J’ai la chance d’avoir un excellent rapport avec cette actrice, donc je sais comment la transformer, lui donner un peu ce look à la Kardashian. Dans le sud de la France, c’est un peu comme dans tous les Suds : on est davantage pour Kardashian que pour Catherine Deneuve, non ? (rires)

Est-ce une généralité ? Ce sont des cadres, parfois différents disons  !

Et j’aime beaucoup les deux ! 

On le ressent dans le film. Il n’a pas de mépris, seulement du questionnement, une interrogation sur les rapports entretenus. À ce sujet, le personnage de Kenza Fortas – Hadjira – paraît étonnamment clément par rapport à toutes les situations qui l’entourent tout au long de la narration. Vous a-t-elle été inspirée par quelqu’un  ? Comment est-ce que vous l’avez imaginée  ?

J’aime beaucoup cette question. Le personnage de Kenza possède une tolérance que l’on ne souligne pas assez. C’est comme si on ne la voyait pas, et pour moi, c’est très important qu’on la voie. C’est une construction.

Je ne les connais pas les filles d’aujourd’hui qui se voilent, se veulent spirituelles, parce que ce n’est pas une impulsion de leurs parents. Ces jeunes qui font une crise ou qui se tournent vers la religion parce qu’il y a eu une déception. Mais je m’intéresse à elles parce que je sais, encore une fois, qu’on les pointe du doigt. On leur dit comment agir, comment se comporter. Ce sont des pressions qui viennent de toutes parts.

J’aimerais essayer de les comprendre. On est tous passés par là, on a des crises d’adolescence, on n’est pas bien, dans sa peau. Et puis on pense se libérer en se tournant vers des choses  : on devient punk, pratiquant, on se tourne vers l’église…Hadjira fait preuve d’une grande tolérance, elle ne justifie rien, elle accepte. Elle ne va pas chercher d’excuses, ni d’autorisations. C’est ce qui me plaît chez elle. C’est un peu le message du film aussi  : pourquoi devrait-on toujours se justifier  ?

Comment s’est fait le choix de la ville, Rennes ? Son patrimoine s’offre admirablement à la réalisation cinématographique.

C’est une très jolie ville, en effet. La région Bretagne finançait le film. Je suis allé découvrir Rennes, qui m’a séduit. En écrivant le film, de nombreuses images me sont venues, et à la place de n’y tourner que de petites séquences, j’ai voulu délocaliser l’histoire, pour la faire complètement à Rennes.

C’était une sorte de challenge, car je ne connaissais pas la ville, je me suis demandé comment j’allais lui rendre justice. J’ai découvert la mairie, sa place et ce côté un peu dix-huitième, un peu moderne, qui me plaît.

Le sujet de la narration est lourd et pourtant, le film s’apparente davantage à une croisière à travers le quotidien de Saïd, notamment avec l’organisation en chapitres. Il faut attendre la fin du film pour comprendre le titre, l’aviez-vous d’emblée ce titre ?

L’air de la mer rend libre  : le titre, je l’avais. Il puise son inspiration dans un proverbe allemand du Moyen Âge  : «  L’air de la ville rend libre  ». C’était les serfs qui quittaient la campagne et retrouvaient une liberté à la ville. C’est parti un peu de cette idée-là.

J’avais donc ce titre, que je n’ai pas tout de suite choisi. Il faut dire que les longs titres peuvent susciter des peurs et des craintes auprès du spectateur. Et puis, c’est le rapport Miramas-Rennes, l’origine d’Hadjira et la ville dans laquelle elle s’installe au mariage. Le fait que les mers soient différentes. Je voulais finalement garder ce parallèle, ce rapport à l’horizon lointain. Un titre qui nécessite d’être écouté, répété, prononcé, c’était aussi une de mes volontés. Faire l’effort de le retenir. De le dire : «  L’air de la mer rend libre ».

L’air de la mer rend libre, en salles le 04 octobre 2023.

You may also like

More in À la Une