Pour les vingt ans de sa troupe Vivarium Studio, Philippe Quesne revient au Festival d’Avignon et réouvre la carrière de Boulbon. Il s’inspire du triptyque de Jérome Bosch Le jardin des délices et livre un spectacle poétique sans ignorer les angoisses de notre monde.
En 1985, Peter Brook montait le Mahabharata dans la carrière de Boulbon, faisant immédiatement de ce lieu naturel un espace mythique du Festival d’Avignon. La carrière a ensuite accueilli une série de spectacles avant de fermer en 2016, jugée trop chère à entretenir. Sous l’impulsion de la nouvelle direction de Tiago Rodrigues, elle réouvre cette année avec le succulent Jardins des délices de Philippe Quesne. On a beau réfléchir, on ne voit pas qui aurait pu aussi bien relever le défi. C’est un plaisir total de voir se déployer pendant deux heures la fantaisie de ce metteur en scène si sensible à la nature et aux décors dans ce cratère de roche somptueux.
Comme les spectateurs, les huit comédiens du spectacle arrivent bus. Le leur est conçu par Philipe Quesne donc il est forcément un peu plus mignon que la flotte de bus scolaires qui affrète le public depuis le parking. Il a l’air d’un gros jouet et les personnages qui en descendent ressemblent un peu à des poupées dont on aurait mélangé les habits. Santiags et chapeaux de cow boys côtoient jean slim, perruques et blazer oversize. A peine le temps de se demander qui peuvent bien être ces gens qu’ils déposent un oeuf géant en plein milieu de ce qui fait office de scène. Le ton – étrange et merveilleux – est donné, la plongée dans cet univers parallèle peut officiellement commencer.
Joyeux bordel
En 500 ans, le tableau de Jérome Bosch a fait l’objet d’innombrables interprétations. Exposé au Musée du Prado de Madrid, il est composé de trois panneaux. Dans le premier, un couple nu dans un jardin calme et plein d’animaux. Au milieu, le même jardin mais parsemé de scènes plus bizarres les unes que les autres (porcs énormes, oreilles et fraises géantes etc.). Le dernier panneau est le seul sur fond noir, il semble signifier la fin tragique de ce qui a précédé.
Plutôt que de tenter de donner « sa » vision du triptyque, c’est cette philosophie du « joyeux bordel » que retient Philippe Quesne pour son spectacle. Ses personnages se retrouvent dans une sorte de jardin où les scènes de plus en plus étranges se succèdent. On pense d’abord que les huit énergumènes sont en excursion touristique. Puis ils se lancent dans un « ovale » de lecture avant de proposer des intermèdes musicaux au violoncelle. Il faudrait aussi citer la lecture de poèmes au sens pas forcément évident ou la performance dans une moule géante… L’humour n’est jamais loin évidemment (magnifique moment où on « éteint » les grillons qui sont les compagnons de toutes les pièces nocturnes présentées en extérieur à Avignon). A la nuit tombée, c’est l’inquiétude qui rôde et tous, public comme comédiens, regardent soudainement avec angoisse les immenses murs de pierre de la carrière.
Apocalypse poétique
Pour les spectateurs, cet enchevêtrement de malice et d’inventivité, d’horreur et d’humour est forcément délicieux à voir. Evidemment, c’est un spectacle cher à produire. Et pourtant, tout donne l’impression d’être facile, comme si cela été rendu possible par la simple imagination débordante d’amateurs de génie.
Comme chez Bosch, le spectacle se termine sur une note plus sombre. En lieu et place d’un fond noir dans le tableau, la pièce se conclu sur un énorme faux. Mais chez Quesne, cette apocalypse semble plus douce et poétique que chez le peintre. Après leurs aventures, les huit personnages, décidés mais pas résignés, font finalement le choix de « rentrer dans la montagne » (un portail figuré par un triangle lumineux projeté sur la pierre). On voudrait pouvoir les suivre.
Le jardin des délices de Philippe Quesne. Au Festival d’Avignon (Carrière de Boulbon) jusqu’au 18 juillet puis en tournée. Spectacle en français, anglais et portugais. Durée : 2h. Tarifs : 10-40€.