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Festival d’Avignon 2023 – « All of it » : Une heure et trois vies

All of it
© Christophe Raynaud de Lage

All of it, c’est trois monologues façon flux de conscience pour trois vies de femmes qui ne demandent qu’à mieux se comprendre. La comédienne, Kate O’Flynn, est remarquable.

A tous les non bilingues : attention, il va falloir s’accrocher pour suivre. Cette année et pour la première fois de son histoire, le festival d’Avignon (et son nouveau directeur, le metteur en scène portugais Tiago Rodrigues) font le choix de mettre à l’honneur une langue dans leur programmation. Cette année, ce sont nos amis d’outre-Manche, dont le travail a largement été invisibilisé par le Brexit, qui sont mis en avant.

Alistair McDowall est l’un d’eux. Jeune créateur de génie accompagné par le très prestigieux Royal Court Theatre (scène des écritures contemporaines britanniques, où ont été montés pour la première fois les pièces de Brecht, Ionesco et Beckett) le dramaturge prophète en son pays s’est risqué, pour les besoins de la mise en scène de Vicky Featherstone et Sam Pritchard, à l’écriture de monologues. Les trois sont assemblés dans All of it, nom du spectacle et du troisième texte. L’ensemble, récité par une Kate O’Flynn à l’énergie volcanique, est condensé en une heure trente de spectacle.

Précisons-le d’emblée, l’ensemble est inégal. Par sa taille, d’abord : les deux premiers monologues sont très courts, une vingtaine de minutes chacun environ. La comédienne, seule sur un plateau monté comme un aquarium (on la voit littéralement enfermée dans le décor, qui représente d’étranges pièces vieillottes), débite à une vitesse déconcertants des monologues façons flux de conscience, comme on en a connus chez Marguerite Duras, le sens en moins. De ces textes récités à une vitesse très rapide, dans une langue compliquée que les surtitres peinent à suivre, on comprend confusément qu’il s’agit de la vie d’une femme qui grosso modo, se demande ce qu’elle fout-là. Ses pensées sont livrées sans fard au spectateur un peu ahuri (et là, le Français moyen, de réaliser qu’effectivement sa maîtrise de l’anglais n’est pas formidable) sans filtre ni censure. Comme on pense dans la vraie vie.

La vie en quarante minutes

All of it, le troisième monologue, s’impose à cet égard comme le plus accessible – et le plus réussi. Après une courte éclipse, Kate O’Flynn revient sur scène tout de noir vêtue et s’assoit sur une chaise haute, micro à la main, façon scène de stand-up. Le dispositif reste le même que pour les précédents. Une vie de femme – ou plutôt ses pensées – distillées dans l’ordre chronologique. Bien assise sur son fauteuil, la comédienne commence avec les mirages de l’adolescence.
Le corps qui change, d’abord, puis l’obsession du sexe, la pression sociale autour de la première fois. Un premier rapport sexuel – pour se libérer de l’angoisse d’être encore vierge – complètement raté. Kate O’Flynn ne raconte pas, elle se souvient à haute voix par bribes, des évènements marquants. C’est vif et pur. Entre deux anecdotes, deux phrases, les pensées obsédantes reviennent. « Sex, sex, sex, sex, sex », déclame la comédienne entre deux lignes de dialogue, donnant ainsi corps à ses angoisses.

Les lueurs de l’adolescence s’éteignent progressivement dans le passage à l’âge adulte. Alistair McDowall, virtuose, restitue avec une justesse implacable les angoisses qui jalonnent une vie de femme. L’ensemble n’est jamais exhaustif, on passe d’une préoccupation majeure à une plus anecdotique. Notre personnage avance pas à pas dans la vie, ses angoisses existentielles évoluent avec elle. Se succèdent la peur de donner la vie – comment devenir l’adulte alors qu’on aimerait soi-même être encore l’enfant de quelqu’un ? – les premiers émois de la vieillesse, les rides, le corps qui se distend – sera-t-on encore désirable demain ? – les déceptions de la vie conjugale, la solitude, le sexe encore, et puis, évidemment, la mort qui approche à grands pas. Une vie.

All of it, trois textes d’Alistair McDowall, mis en scène par Vicky Featherstone et Sam Pritchard. Du 15 au 23 juillet au festival d’Avignon.

Journaliste

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