LITTÉRATURE

« Vövöl » – Voyage en terre onirique

© Astrid Jourdain

Avec une intrigue atemporelle et écologique, Bérengère Cournut suit le rêve éveillé d’une femme métamorphique qui partage un amour charnel avec un esprit. Ce roman-poème prend la forme du rite initiatique où les personnages doivent revivre, en boucle, morts et résurrections.  

Bref et halluciné, Vövöl reprend les codes du récit des origines et propose un poème sur l’amour fou qui lie deux êtres et la naissance de leur enfant. Un dialogue s’initie entre ces deux entités qui ne cesseront, tout au long du texte, de changer de forme et d’aspect.

Cette fable pourrait être le rêve d’une femme qui aurait formulé ce désir  : «  Je voulais expérimenter toutes les métamorphoses de la matière – du végétal au minéral, et aussi un peu celles de l’air  ». En réponse au Créateur qui avait décidé de la créer à son image, elle affirme avec défi et courage préférer les états transitoires. Femme démembrée, cachée dans une grotte, elle refuse de répondre à la demande de l’esprit qui lui conseille d’en sortir. Elle erre, morcelée et éparpillée, dans cette excavation. Sa peau recouvre la paroi, ses yeux se promènent indépendamment, les os flottent et donnent, en se cognant, une mélodie. 

Romancière, Berengère Cournut invente des histoires qui imbriquent le vivant et le rêve. Elle explore les façons de faire de la littérature autrement notamment en lisant des ouvrages de géologie et en s’immergeant  dans d’autres cultures comme celle de la tribu amérindienne des Hopis (Née contente à Oraibi) ou celle des Inuits (De pierre et d’os).  

Je ris. Du moins, ma bouche rit, loin de mes oreilles. Ma bouche rit tellement, découvrant quantité d’incisives, que l’esprit se protège les tympans et cherche à éviter mes coups de dents. 

Vövöl, Bérengère Cournut

Les corps à toute épreuve

L’autrice déploie les contours d’une expérience chamanique où les êtres ne cessent de mourir et de renaître dans des corps autres voyageant ainsi à différents niveaux de la strate du vivant. Elle mêle descriptions sensuelles et retranscriptions d’échanges dialogués entre les deux amants.  Leurs corps s’aimantent, magnétiques, entre douceur et acrimonie. C’est le cas lors de la première rencontre du couple originaire qui, avant d’être projeté sur terre, vivait dans l’eau à l’état de poisson et de coquillage  :

Il songe à l’époque où j’étais un coquillage, et lui un poisson. Je vivais là depuis fort longtemps, posée sur le fond sableux de la mer et bercée par les courants, quand il était passé, jeune, imprudent. Avait-il fait exprès de glisser sa nageoire dans l’interstice qui me servait à filtrer l’eau comme d’autres respirent ? En tout cas, sa caresse m’avait surprise et mes valves, brusquement, avaient claqué. Mes centaines d’yeux s’étaient trouvés aveuglés et, dans le noir ainsi fait, je restais contractée.

Vövöl de Bérengère Cournut

Dans ce monde, tout est labile. Les corps n’ont pas de délimitation. Les règnes s’entremêlent. Le paysage, théâtre des renaissances, n’a lui aussi de cesse de se transmuer de grotte, en fonds marins, de forêts en montagnes. Condamnés à une interminable série de transformations, Bérengère Cournut décrit des êtres en proie aux changements de formes qui laissent les corps dans tous leurs états. Comment pourront-ils échapper à cet infini recommencement  ?

En une centaine de page, ce texte, pareil à un récit de rêve, fait de ses logiques propres et de ses symboles puissants une pensée de la cyclicité entre vie et mort. Usant d’images sensibles qui frappent émotionnellement, ce conte gagne à être lu à haute voix pour poursuivre la tradition d’une transmission orale, performant l’idée d’une métamorphose qui se produit aussi sous l’effet de la lecture. Histoire sans âge, Vövöl ne prescrit aucune interprétation mais laisse ouvert le champ de la signification à l’imaginaire. 

Vövöl – ou les Métamorphoses de Bérengère Cournut, Éditions Le Tripode, 13euros.

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