LITTÉRATURE

« Sale menteuse » – L’art de la supercherie

Après M. Je-sais-tout, livre autobiographique, le réalisateur John Waters revient avec un premier roman carnavalesque génial. Absent des écrans depuis vingt ans, ce texte devrait être le terreau scénaristique de son prochain film.

«  Le mensonge, c’est comme le sport  ; il faut s’y adonner un peu quotidiennement pour rester en forme  ». Cette romance feel bad suit les tribulations déjantées de deux délinquants, Marsha et Daryl, adeptes en tromperie et vol en tout genre. John Waters, cinéaste américain queer (Pink Flamingos, Cry Baby), parodie le motif de la course poursuite en réussissant à joindre la drôlerie au trash. Il érige en héroïne une menteuse compulsive dont la névrose et la sexualité seront au cœur. 

Tout ce qui est à toi est à moi

Control freak et reine du mytho, Marsha a la quarantaine, déteste tout le monde, et plus particulièrement les hommes. Elle forme avec Daryl, véritable obsédé sexuel, un duo de choc en vivant d’arnaques organisées. Elle, patronne, le paye «  en échange d’un rapport avec elle une fois par an  ». Spécialisés dans les grandes escroqueries, ils vivent en squattant des manoirs gigantesques («  Marsha ne tond pas son gazon, elle déménage  »), usurpent des identités, piquent les cartes bancaires et font de régulières descentes dans les aéroports pour voler les valises fraîchement sorties des avions. 

Le récit s’ouvre alors qu’une des descentes à l’aéroport tourne au fiasco. Les deux co-arnaqueurs, repérés par les vidéos de surveillance, font l’objet d’un avis de poursuite. Pour Marsha, c’est l’occasion en or de retourner voler l’argent de sa fille et de réussir à enfin larguer Daryl – qu’elle parvient à semer le jour où elle devait le payer en nature. Dans une prose provocante et imagée, l’auteur met à bas les principes de la propriété et modèle des personnages qui font fi de la bien-pensance.

Course-poursuite burlesque

Débute alors la folle cavale de Marsha dont John Waters s’amuse à déjouer les codes. Poursuivie par Daryl, surexcité après un an d’abstinence, ce dernier décide de s’allier à la fille (Poppy) et à la mère (Adora) de Marsha. Chacune la déteste profondément.  

L’auteur dresse le portrait de personnages vifs et saugrenus. Vivant dans un Trampoline Park, Poppy forme avec d’autres résistants le groupe des militants du Super Rebond. John Waters, au travers de cette secte d’accros au trampoline, invente une nouvelle minorité, qui ne peut s’empêcher de sautiller sur place et qui lutte contre la maltraitance statique de la société. Victimes des préjugés des intégristes antisauteurs, ils défendent la mobilité en dansant sur Jump Around. Adora, la mère de Marsha, est une médecin reconvertie dans la chirurgie esthétique pour chiens de riches de l’Upper East Side. Bienvenue chez Bistouri boutique où vous pouvez enfin faire lifter votre boule de poils !

Cette course-poursuite prend alors la forme d’une alternance entre les trajectoires de Marsha et celle de Daryl accompagnée de Poppy, Adora et d’une tripotée de sauteurs. Dans un mouvement incessant, les êtres volent des voitures à tire-larigot, font des réservations frauduleuses de billets d’avion, empruntent bus et trains. Ces situations ne sont pas le seul fruit de l’imagination de l’auteur. John Waters capture des fragments de réalité qu’il passe à la moulinette de l’exagération. Tout ça pourrait être vrai.  Ainsi, on croise en chemin une tête décapitée dans une boîte à gants, une bite qui prend l’indépendance de son propriétaire hétéro en faisant son coming-out, un être qui se transforme en alphabet vivant nommé Ellèménnopé.  

Irrévérencieux

De rebondissement en rebondissement, cette traque dévoile une Marsha qui échappe, joue des sentiments, se grime, change sans cesse d’identité, dissimule ses cheveux sous des perruques, prends des noms d’emprunt. Le vrai n’est pas plus digne de respect que l’artifice qui permet de prendre la fuite et de sauver sa peau. Mentir sur toute la ligne, n’accorder aucune importance à l’authenticité, duper pour survivre, ne pas plaire. Marsha met d’ailleurs à mal l’idée d’instinct maternel, elle qui hait sa fille et la maternité qui va avec. 

Elle n’a qu’une fille, Dieu merci, mais quelle erreur de la nature  ! Rien qu’à la vue de cette arrogante petite peste, Marsha a des flashbacks de son accouchement. Quelle expérience déshonorante. Depuis, elle s’efforce jour après jour d’être une mauvaise mère pour sa fille, mais cette vengeance ne lui a jamais suffi. 

Sale menteuse de John Waters

John Waters reconstitue avec une minutie d’orfèvre et une excentricité folle, un univers qui grossit à la loupe le caractère loufoque des comportements humains. Ce livre où tout le monde en prend pour son grade (avec amour) – les restos végétariens, les blindés aux as, les petits bourgeois en classe éco, les vieilles botoxées, les pères modèles – a le mérite de distiller, au gré de la lecture, du poil à gratter.

Sale menteuse de John Waters, traduit par Laure Manceau, Gaia Éditions, 22,80euros.

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