Coauteur du cinéaste belge Lukas Dhont (Close, grand prix du Festival de Cannes en 2022 et Girl, 2018), Angelo Tijssens passe à la littérature. Au bord est un premier texte incisif sur le retour d’un jeune homme dans sa ville natale.
Angelo Tijssens entre en littérature par l’enfance. Dans ce texte court aussi synthétique que les scénarios qu’il a écrit autrefois, le primo romancier narre le parcours d’un jeune homme aux prises avec son passé. À l’occasion d’un retour dans sa ville natale, le narrateur se remémore sa jeunesse et une histoire de cœur survenue à l’adolescence. Un retour aux origines qui ouvre la voie à des interrogations sur l’amour, la honte, la violence, la relation entre une mère et son fils et la fragilité des trajectoires queers.
Vous êtes scénariste pour le cinéma. Pourquoi avoir choisi la littérature pour raconter cette histoire ?
La chose la plus importante pour moi était la perspective. Or, lorsqu’on écrit un scénario, il faut que le récit soit objectif. Pour raconter cette histoire, je n’avais pas envie de faire quelque chose d’objectif. J’avais envie d’écrire à la première et à la deuxième personne. C’était un moyen de créer de l’empathie en racontant quelque chose de très violent. Quelque part, j’étais plus libre parce que pour les scénarios il y a des éléments techniques qui contraignent l’écriture. Dans un scénario, il n’y a pas de place pour les pensées, pour les mémoires, on montre les choses mais on ne les dit pas. Ici, avec une phrase, je peux voyager.
Ce souhait de raconter « comme dans la vraie vie » est perceptible dans votre écriture.
Je voulais vraiment que ce personnage et cette histoire soient honnêtes. J’aime la langue simple, claire sans trop d’adjectifs ni de métaphores. Quand on écrit comme cela, il n’y a rien pour se cacher. Quelque part, je fais de la littérature que j’aime en tant que lecteur. Je pense souvent à Marguerite Duras et Annie Ernaux, qui sont des références pour moi.
Ce roman parle de l’enfance, tout comme les scénarios que vous écrivez. Cette thématique est-elle le cœur de votre travail ?
En tous cas, elle m’intéresse. Notamment parce que ce n’est pas une période fixe. L’enfance influence tout ce qui vient après. Ça ne part jamais, c’est toujours là. Je voulais raconter deux histoires d’amour dans mon livre, celle entre une mère et un enfant qui ne marche pas, et celle de deux amants. Avec ces deux histoires, j’essaye deux fois de raconter l’amour difficile, l’amour qui peut-être n’existe pas.
Ces amours sont difficiles et parfois violents. L’amour et la violence vont-ils forcément de pair ?
J’avais trente-six ans lorsque j’ai écrit ce livre et pour être honnête, je pense que je n’aurais pas été capable de le faire à vingt. Ce qui était important pour moi, c’était de ne pas romancer la violence. Si on parle d’amour, on doit également dire la violence. C’était primordial de raconter cette histoire de manière claire. De souligner sa violence et sa dureté.
Il y a notamment la violence homophobe, qui vient de la mère. Ses propos déclenchent chez votre héros un sentiment de honte qui le suivra longtemps…
Je ne crois pas que quelqu’un puisse naître homophobe, on le devient. C’est en cela que la langue est violente. Pour un enfant qui sait qu’il est différent, c’est presque aussi violent que de se faire frapper. J’ai conscience que l’identité est un élément central de mon travail. Les films que j’ai faits avec Lukas sont pleins d’histoires que nous avons vécues. C’est pour cela que j’admire Annie Ernaux. Elle essaye de construire une identité par l’intermédiaire des histoires et de la mémoire. Elle ne fait pas que raconter des histoires, elle tente de se trouver elle-même en racontant.
Vous accordez une place centrale au lecteur, en laissant de nombreux éléments libres d’interprétation.
Je ne voulais pas tout expliquer. Je crois que dans les histoires c’est trop facile d’expliquer les personnages. Dans la vie, il n’y a pas d’explications, il n’y a pas de manuel pour décoder les autres, leurs comportements… C’est au lecteur de finir l’histoire. Ne pas tout dire, c’est une invitation.