La 12ème édition du Champs Élysées Film Festival se tient du 20 au 27 juin. Il met à l’honneur le cinéaste américain Ira Sachs, qui y présente son nouveau film en avant-première.
À la fête de fin de tournage de son propre film, Tomas (Franz Rogowski) en couple avec Martin (Ben Wishaw) se met à danser avec Agathe (Adèle Exarchopoulos), jeune institutrice. La fête se prolonge et Tomas et Agathe passent la nuit ensemble. Le lendemain, Tomas annonce la nouvelle à Martin, inaugurant le début de sa nouvelle histoire. « Je veux que tu sois content pour moi » assène Tomas.
L’usure et la nouveauté
Pour cette nouvelle étude de l’intime et de ses déclinaisons, Ira Sachs plante le décor de son histoire à Paris. Ce que l’on en retient ici, ce sont surtout ses intérieurs, ses chambres, ses restaurants, ses halls d’immeubles. Une façon de cloisonner les espaces pour redoubler la charge émotionnelle qu’ils abritent. Le Paris de Passages enveloppe le spectateur dans ces intérieurs bourgeois, permettant de façonner un réel à la lisière du fantasme, dans une forme sublimée et stylisée de naturalisme. Paris semble toutefois plus incarné, allant au-delà de la simple picturalité du décor que le film précédent de Sachs, également tourné en Europe (Frankie, sorti en 2019 et filmé dans la ville de Sintra au Portugal).
La forme du triangle amoureux choisi par Sachs (et son co-scénariste, Mauricio Zacharias) permet de simultanément mettre en scène l’exploration d’un nouveau désir, l’érosion du couple et l’insécurité émotionnelle qui le traverse. L’intimité représentée correspond donc à ces deux territoires, ceux de l’usure et de la nouveauté. Tomas passe donc d’Agathe à Martin, conférant au récit une grande charge sexuelle. À travers l’éclatement de sa vie amoureuse, Tomas tente d’écrire un futur commun à trois. Mais ce sont surtout son narcissisme et sa toxicité qui s’imposent. Ainsi que son incapacité à voir au-delà de son propre désir. Tomas s’avère être un personnage de plus en plus monstrueux en passe faire tout disparaître autour de lui.
La menace de disparaître
Passages devient alors particulièrement intéressant lorsqu’il met en lumière les dynamiques de manipulation de son protagoniste. À l’instar de Tár (Todd Field), le film interroge les effets du pouvoir sur les personnes à qui l’on attribue le statut d’artiste, le déni qui les anime et l’inconséquence de leurs actes. Toutefois, Passages semble avoir moins la volonté de parler activement de son époque – et d’une supposée cancel culture, par exemple. Il resserre son intrigue sur ce triangle amoureux et le fragile équilibre émotionnel qui le constitue. Comme toujours chez Sachs, les personnages sont traités avec une grande délicatesse, sans jugement, laissant au spectateur sa liberté d’analyse dans les mouvements du désir auxquels il assiste.
Le film poursuit une question qui semble hanter le cinéma d’Ira Sachs : qu’est-ce vraiment que l’amour ? Une responsabilité morale ? Une souffrance que l’on endure ? Une émotion si forte qu’elle peut elle aussi tout faire disparaître ? Il y a dans Passages, une façon très touchante pour les personnages de renégocier leur statut d’amoureux·se, quitte à choisir de disparaître.
Le film Passages inaugure une rétrospective de l’œuvre d’Ira Sachs, une partie de ses films seront montrés (The Delta, Forty Shades of Blue…) et une masterclass donnée le vendredi 23 juin à 18h30, au cinéma Le Balzac.