CINÉMA

« The Wild One » – Jack Garfein, l’inclassable

The Wild One
© Petite Maison Production

Réalisateur, scénariste et producteur, Jack Garfein fait partie de ces précurseurs qui sont longtemps restés dans l’ombre. En 2015, la réalisatrice Tessa Louise-Salomé le rencontre à New York. The Wild One, son premier documentaire cinématographique, dresse un portrait intimiste et authentique d’un cinéaste à contre-courant.

The Wild One : la contraction des titres des deux longs-métrages de Jack Garfein, The Strange One (1957) et Something Wild (1961), décrit fort à propos cet homme qui n’a cessé de se battre contre différents rejets sociaux. Comme pour d’autres, drames et succès ont jalonné sa vie et façonné ses perspectives artistiques. À une enfance brisée par la Shoah succède une carrière que balaye en partie le consensus hollywoodien des années 60. En fond, des relations familiales et amoureuses parfois tumultueuses touchent personnellement le cinéaste. Garfein aurait pu flancher. The Wild One montre à l’inverse un personnage à l’optimisme et au sourire désarmants. L’on se demande alors d’où lui vient cette force. Tessa Louise-Salomé ne cherche pas à donner une réponse unanime : elle raconte une sensibilité. Son documentaire est ainsi une véritable immersion dans les émotions et réflexions d’un artiste qui tente d’unifier ses mille visages.

Un chassé-croisé temporel et émotionnel

Structurellement, The Wild One alterne entre les séquences d’une interview-fleuve de Jack Garfein, des plans filmés lors du tournage mais aussi des vidéos d’archives. Cette diversité de supports permet de rythmer le long-métrage qui, s’il n’est pas linéaire, reste cohérent et équilibré. Visuellement, c’est audacieux. Et innovant. Si l’on en doutait – documentaire et septième art sont encore trop peu placés sur le devant de la scène, la réalisatrice montre que ce genre a toute sa place au cinéma. Ici, le format documentaire se moule avec justesse au service du récit livré par Garfein et les quelques membres de son entourage présents pour témoigner. C’est là tout l’intérêt du genre : mettre le réel en images. Au cinéma, cela s’accompagne de visuels denses, d’angles originaux et de grandes profondeurs de champ permettant de donner de l’ampleur à l’objet choisi. Tessa Louise-Salomé manie ces différents éléments avec habileté.

L’interview-fleuve de Garfein est filmée dans l’une des immenses salles des célèbres studios Babelsberg (Allemagne). Souvent assis, parfois debout, le cinéaste est plongé dans l’obscurité. Seules quelques lumières éclairent son visage que captent parfois des plans très rapprochés. La réalisatrice sait indubitablement capter les émotions. Les prises de parole de Garfein deviennent une immersion dans son schéma de pensée. Le cinéaste alterne entre une certaine nostalgie, de grands éclats de rire et une confiance en l’avenir.

Tessa Louise-Salomé avait prévu d’autres séquences mais le 30 décembre 2019, le décès de Garfein lui demande de repenser son scénario. L’interview-fleuve devient la trame principale du long-métrage, donnant à l’immersion davantage de réalisme.

© Petite Maison Production

Garfein, l’intégrité avant tout

Rapidement censurés par le code Hays en vigueur à l’époque, les deux-longs métrages de Jack Garfein livrent une approche unique de faits brutaux et douloureux – l’éprouvante scène de viol dans Something Wild, par exemple. Des mois passés dans onze camps de concentration durant son enfance, la perte de sa famille, la fin d’un premier mariage passionnel avec l’actrice Caroll Baker : ces événements ont forgé une personnalité tenace, résolue, engagée. Le cinéaste explique que la mise en péril de sa propre liberté a construit son regard particulier sur l’oppression et l’abus de pouvoir, quel qu’il soit. C’est certainement parce qu’il a vécu ces épreuves qu’il peut en raconter d’autres de manière tangible à l’écran.

Rejeté par Hollywood, Jack Garfein ne se plie pas davantage au cinéma mainstream. Ce sera tout ou rien : chez lui, pas de création au rabais. Désormais, des films, il n’en fera plus. Avec entrain, il retourne alors à son premier amour, sa vocation première : le métier d’acteur. À la caméra qui le filme dans le camp de Flossenbürg (Bavière), il explique qu’il a appris ce métier dans ces lieux tragiques. Faire semblant : le seul rempart au harcèlement sexuel dont faisaient preuve certains soldats allemands. Des quintes de toux, il en a simulé des dizaines, évoque-t-il, souriant. À l’Actor’s Studio West qu’il co-fonde à Los Angeles, il forme de nombreux acteurs – entre autres, James Dean et Steve McQueen.

Jack Garfein est entier. Il fuit l’inachevé, l’avant-goût. Tout au long du documentaire, ses différentes prises de parole ainsi que la voix (off) de Willem Dafoe illustrent cette intégrité. The Wild One parvient à transmettre l’authenticité du personnage. Pour parachever le tout, le piano de la bande originale composée par Gael Rakotondrabe accompagne avec justesse les différents plans et réflexions du cinéaste.

© Petite Maison Production

La vie mouvementée de Jack Garfein n’amène chez lui aucune sorte de présomption, de surfait, de surjoué. Au contraire. Sa simplicité est éloquente. Il n’a qu’une quête : parvenir à trouver une harmonie, une cohésion générale. Pour l’atteindre, il lui faut probablement cesser de lutter contre lui-même et accepter l’être qu’il fut par le passé. À travers ce long-métrage à l’intelligence tant visuelle que scénaristique, Tessa Louise-Salomé offre un regard aiguisé sur ce réalisateur méconnu et parfois insondable. Difficile à classer, certes. Mais a-t-il seulement besoin de l’être ?

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