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Rencontre avec Grand Blanc : « Halo raconte un monde un peu nébuleux, où la couleur se serait dilapidée »

© Labeks/Parages

Après deux albums et une tournée autour du monde, Grand Blanc a décidé de prendre du temps pour explorer de nouveaux territoires à apprivoiser.

Le quatuor Grand Blanc composé de Benoît David (chant, guitare), Luc Wagner (arrangements, pad), Camille Delvecchio (chant, claviers) et Vincent Corbel (basse) s’isole dans une maison à l’orée de la forêt picarde pour muter, et trouve dans la contemplation quotidienne de la nature la matière pour imaginer un monde dystopique sans couleur, fil conducteur de ce troisième album, produit sur leur propre label, Parages. Au gré de balades brumeuses, porté par la suspension et la narration, Halo raconte avec des voix célestes et des arrangements minimalistes l’immensité et les grands espaces. Pour célébrer ce retour, Maze a discuté avec Benoît et Camille ; rencontre.

Pouvez-vous revenir à la genèse de Grand Blanc  ?

Camille : Grand Blanc ça a commencé en 2013/2014, le premier EP est sorti en 2014. On a commencé la musique en jouant avec des copains…

Benoît  : On est 3 sur 4 à venir de Metz, et quand on est arrivés à Paris on a un peu fait une team de messins relocalisés, on a rencontré Vincent Corbel notre bassiste, et on a monté le groupe  ! On a trouvé notre nom au bout d’une centaine d’essais avec Camille.

C : Parce qu’on avait un concert dans une semaine à Metz, et il nous fallait un nom.

B  : Et l’idée c’était un peu que c’était un moment où on a découvert de la musique qu’on n’écoutait pas trop, on avait quelques années de moins et on découvrait la musique synthétique, mais sans pratiquer quoi. On a commencé à ouvrir nos ordinateurs et à comprendre ce que signifiait produire de la musique. La découverte ce champ des possibles a vraiment signé le début du groupe.

Vous avez tous une formation musicale en background ?

C  : Pas forcément, Ludovic et moi on a été au conservatoire. Luc c’est celui qui joue de la batterie dans les autres albums.

B  : Il jouait du synthé et de la boite à rythmes sur le premier album aussi. Moi j’ai appris la guitare à 15 ans parce que je faisais du skateboard et je me suis cassé la jambe et je m’ennuyais trop (rires). Donc j’ai pris une guitare, et j’ai appris un peu comme un shlag, en prenant des cours. J’ai écrit des chansons assez vite, ça me plaisait beaucoup. Vincent notre bassiste a fait une école de musique. Il est guitariste au départ mais il est très fort en basse, et en pedalstyl aussi. C’est un instrument où tu glisses une barre en métal sur une dizaine de cordes

C  : C’est un truc de cowboy, hyper country. C’est comme un manche de guitare sur 4 pieds, et ça se branche sur un ampli.

Pendant le confinement vous avez créé Parages, votre propre label. En quoi est-ce important pour vous aujourd’hui de l’avoir  ?

C  : On a décidé de créer Parages parce qu’on voulait sortir de la musique comme on voulait, au moment où on en avait envie.

B  : On est aussi nos propres DA (directeurs artistiques). On fait de l’administratif, et plein d’autres trucs on qu’on ne faisait pas avant.

C : Absolument tout passe par nous dans la fabrication des disques. La réalisation des clips, c’est notre ami Jules qui les fait. En fait on ne fait pas seulement de la musique, on a vraiment tout le paysage qui gravite autour aussi. On est aussi aidés par notre entourage, notamment Adrien Pallot, qui a co-mixé le disque avec moi. Depuis le tout premier album il nous aide à préciser nos intentions artistiques, techniquement il est très fort.

B  : On a aussi rencontré Grégoire Bécot qui a fait l’identité graphique. Il est parti de photos des lieux sur lesquels on était pour les retravailler en paysages numériques, et ça raconte vraiment une histoire  !

D’où vient ce nom, Halo  ?

B  : En fait Halo c’est un disque qui a été assez long à faire, parce qu’on a pas mal changé d’idées, d’intentions de chant, de mise en forme… Pendant ce temps temps-là on a eu besoin de s’inventer une histoire pour faire tenir tous ces morceaux de chansons ensemble. On lisait pas mal de littérature d’anticipation, de fantaisie, de SF, ça a vraiment nourri notre imaginaire. On était en studio à la lisière d’un forêt, tout en ayant beaucoup de temps pour voir le temps et les saisons passer. De tout ça a germé un genre d’histoire, qui est que ce disque raconterait l’histoire de 4 personnages qui sont dans un monde où la couleur a disparu, et qui cherchent à la retrouver. C’est une communauté en quête, guidée par une sorte de lueur, qui traversent plein de couleurs.

C  : Il faut un Gollum dans chaque histoire, sinon ça ne marche pas (rires).

B : Dans ce monde un peu nébuleux où la couleur s’est dilapidée, les quatre personnages sont un peu perdus, ils ont du mal à se retrouver, jusqu’au moment où ils rencontrent cette lueur. Là ils se rendent compte que c’est un être bienveillant, et ils le suivent.

C  : Halo c’était un peu la chose qu’on poursuivait pendant tout ce disque, qu’on a envisagé comme une longue quête. On est arrivés à la fin du disque, sans avoir de titre, et on s’est dit qu’en fait le titre ça devait être le chemin qu’on a fait pour en arriver là, d’où Halo.

Pendant que vous aviez toutes ces idées qui étaient nourries par ce que vous lisiez, en plus de créer musicalement, est-ce que vous avez eu besoin de créer d’autres types de supports  ?

C  : Complètement ! Au début on a fait écouter l’album à très peu de gens, genre 3 ou 4 personnes. On leur envoyait une mixtape de 1h20, qui était une sorte de journal de bord acoustique du disque. À chaque fois qu’un morceau devenait plus abouti, on reprenait cette session et on rangeait la nouvelle version du morceau dedans. Parfois on remplaçait la version précédente aussi. Évidement on a pas réussi à tenir ça jusqu’au bout, mais ça nous a beaucoup guidé.  Et il reste pas mal de cette idée dans Halo, et je pense que c’est en partie grâce à ça que c’est un album très horizontal.

B  : Il y avait aussi des boards avec les photos que Camille prenait, quelques poèmes que moi j’écrivais, un peu de bibliographies, des livres qui nous suivaient… Il y avait en particulier un livre de Derek Jarman, un peintre et un cinéaste anglais qui est décédé dans les années 90. Il a écrit un livre qui s’appelle Chroma. À la fin de sa vie quand il était malade, son éditeur lui a commandé un livre sur sa propre perception de la couleur. Il a même écrit des chapitres alors qu’il perdait la vue a cause de sa maladie. La situation d’écriture est super intense, et c’est un livre intéressant parce que c’est comme une mini encyclopédie mais à taille humaine. Il a juste écrit tout ce qu’il avait comme souvenirs personnels et comme connaissances techniques sur la couleur.

C’est vraiment beau parce que c’est comme un fil sur lequel il se remémore sa vie, en passant du bleu au jaune, du jaune au rouge. Il y a autre chose d’intéressant, c’est qu’aujourd’hui le rapport au savoir il est assez particulier, sur ton téléphone tout fourmille d’infos hyper précises, alors que dans ce livre l’auteur se réfère juste à lui-même.

C : Et cette histoire qu’on te racontait avec la quête de la couleur, elle nous a surtout servi à ne pas se perdre quand on écrivait le disque, mais on n’a pas fait un concept album avec. Si tu écoutes le disque sans être au courant de ce fil conducteur, tu ne peux absolument pas deviner qu’il y a 4 personnages qui sont à la recherche de la couleur et qui les traversent et tout ça. Mais nous on avait besoin de cette longue timeline avec des évènements. Un jour avec Ben on a pris les storyboards et les photos de mon iPhone que je récoltais depuis le début de l’enregistrement du disque, et puis on s’est dit bon, on va développer cette histoire. Et notre ambition un jour ça serait d’en faire un petit livre d’images qui puisse être lu par des enfants comme par des adultes.

B  : Puis avec Parages, vu qu’on a déjà fait de la vidéo en plus de faire de la musique, on se dit qu’on pourra aussi faire un livre. C’est vraiment l’idée du label, de pouvoir faire plus de choses ensemble sans se limiter à la musique, comme les clips. Avant c’était très satellite, on faisait des clips pour nos morceaux, ce qui nous a fait rencontrer plein de gens, c’est super intéressant. On a toujours tout fait en communauté, en étant très centrés sur le groupe, quand on s’est mis à travailler sur les clips, on a rencontré plein de gens, des décorateurs, des chefs opérateurs, des réalisateurs… qui ont tous du talent et des personnalités intéressantes.

C  : Et c’est ça l’avantage de ce label, comme tout transite par nous, les choses prennent beaucoup plus de sens parce qu’on les voit vraiment du début à la fin. C’est juste trop beau de voir un truc terminé alors qu’il est parti de rien, et que tu as pu le suivre tout du long. Le rapport direct avec les autres aussi, sans avoir d’intermédiaire, c’est génial ça.

La sortie de Halo a été précédée par quatre singles extraits de l’album, tous interconnectés graphiquement avec leurs pochettes. Ils forment une sorte de polyptique  ?

C : En fait sur les 4 singles, « Immensité », « Loon », « Pilule bleue » et « Orange » , trois forment un triptyque. Pour « Immensité », on a sorti une live session. « Pilule bleue », « Loon » et « Orange » forment un triptyque, leurs trois clips ont été réalisés par Jules Cassignol, qui est aussi notre ami. On lui fait entièrement confiance et on aime beaucoup son travail.

B : Il a fait partie des peu de gens à avoir écouté les maquettes pendant la création du disque. Il connait notre imaginaire, on connait le sien… Ça faisait longtemps qu’on avait envie de bosser ensemble, de croiser tout ça. Cette trilogie c’est un peu sa version de l’histoire à partir de notre histoire SF à nous. Et « Immensité » c’est nous qui l’avons réalisé, en travaillant avec Pauline Doméjean, la cheffe opératrice, et Lou Lavalette, la cheffe décoratrice.

C  : Et c’était notre premier objet vidéo qu’on réalisait avec Ben  ! C’est ça aussi qui est super quand tu as un label c’est que tu peux décider que tu vas réaliser toi-même ton clip  !

B  : L’idée de cette live session pour « Immensité », c’était de montrer pour de vrai le lieu où tout Halo a été créé. La maison-studio où on a écrit et vécu ensemble, celle où on a créé notre label. C’est pour ça qu’ «  Immensité  » n’est pas vraiment dans le triptyque. Ce lieu est vraiment important pour nous, autour de cette maison y a plein d’environnements proches qui ont été des éléments très présents dans la création de l’album.

C  : Une forêt, un jardin, un cerisier, le grenier par exemple, que l’on retrouve tout au long de l’album.

B  : Tout cet ensemble de lieux qui formaient notre environnement proche, c’est ça qu’on appelait les parages et c’est comme ça que le nom du label nous est venu. C’est un endroit où on sent qu’on est bien, et il y avait cette idée que plus on explorait ces lieux, plus ils étaient riches et intéressants.

C  :  Tu donnes des noms aux choses aussi. Nous on s’est fait une carte mentale juste avec les éléments qu’on avait renommé.

B  :  Il y avait l’arbre couché, une cabane construite par des chasseurs énorme, avec des marches en béton et tout.

Il y a comme une progression, un vrai virage qui est pris dans la musique de Grand Blanc avec ce dernier album, comment vous l’appréhendez ?

C  : Je crois qu’on n’a jamais réussi à rester dans quelque chose de fixe. Moi quand je fais de la musique j’ai toujours envie d’être surprise. En fait je pense que le changement c’est fondamental dans le processus de création. Il y a sûrement des disques qui se ressemblent un peu plus dans les quatre en tout qu’on a sorti, mais je pense que c’est très sain d’avoir envie de changer.

B  : On verra qui on sera et comment on aura évolué d’ici le prochain album. Puis on change aussi pas mal d’instruments  ; Camille s’est remise à la harpe, moi je suis passé à la guitare sèche, c’était un gros changement aussi…

C  : On a aussi beaucoup plus mis les mains à la pâte dans la production de notre disque, étant donné qu’on a tout fait tout seuls, avec Adrien. Ça c’est quelque chose de fondamental, qu’on ne perçoit pas forcément quand on écoute le disque, mais c’est des changements qui ont eu leur importance pour nous. Dans le premier EP on s’y connaissait beaucoup moins, parce qu’on avait fait moins de musique, on savait moins bien se servir d’un ordinateur.

B  : Puis c’est plus marrant comme ça, y a encore plus d’inconnu, ça nous permet aussi d’être plus créatifs parce que, mine de rien, il ne s’agit pas juste de faire de la musique et de l’enregistrer, il s’agit aussi d’être surpris parce qu’on fait. Être souvent amené à se dire «  tiens, je n’y aurais pas pensé avant  ».

C  : Y’a aussi le fait que quand tu essayes de faire quelque chose, tu es vraiment tout nu. C’est difficile et c’est ce qui rend la création excitante. En tout cas personnellement, ne pas mettre des kilos de reverb sur ma voix, c’est une mise à nu. Pour le premier EP, je venais de découvrir la reverb et je voulais en mettre le plus possible. Je trouvais ça trop beau, ça me mettait dans une perception de ma voix très différente de celle que j’ai aujourd’hui. Pendant la création de Halo j’avais trop envie de tester des choses où on entend tous les défauts d’une voix, mais aussi beaucoup plus les émotions, au travers des paroles, des inflexions de la voix sur un mot, ou le son du gras des doigts ou des ongles sur des cordes.

Est-ce que ça se rapporte un peu à du feed recording  ?

B  : Il y a un petit peu de ça quand même dans le disque, après le feed recording c’est une discipline qui correspond à un pan de la musique en soi. T’as des gens qui passent leur vie à en faire. Dans Halo , il y a beaucoup de son direct, dès le début de l’album il y a une prise de guitare que Camille a fait dans le jardin chez ses parents. Là où Camille parlait d’entendre tous les détails de la voix, on a aussi fait pareil avec une guitare. Enregistrer tellement fort que le bruit de la corde glissée sous le doigt passe presque au-dessus de la note. Je pense que ça donne de la présence, ça permet que le disque soit le plus incarné possible.

Qu’est-ce qui vous donne envie de créer  ?

C  : Écouter et faire de la musique donne envie d’en faire. Écouter expérimenter écouter expérimenter… À certains moments, pendant l’année qu’on a passé ensemble dans la maison pour écrire Halo, j’écoutais aucune autre musique que celle que l’on était en train de faire. Mais comme on vivait tous ensemble, on avait quand même tout le temps de la musique dans la maison

B  : C’est dur de donner une réponse unique parce que la création de cet album s’étale sur deux ans, avec des périodes où on était à fond dessus et des périodes où on l’étais moins.

C  : Des périodes d’accomplissement très axées sur l’enregistrement, et des périodes où on était beaucoup plus sur le label.

B : Tu vois ce qu’il se passe, tu as une idée et tu la suis, et sur le long terme, il y a des morceaux que tu vas poncer pendant des mois, alors qu’il y en a d’autres, comme « Dans le jardin la nuit » qui ont été super rapides. Et ceux-là tu sais pas pourquoi, à un moment on a ouvert la session, on était tous les quatre, et tout s’est fait très rapidement… En tout cas j’ai l’impression que notre boulot quand on est au studio ensemble nécessite d’être attentif, d’écouter, de penser au moment, et c’est comme ça que les choses vont dans le bon sens.

C  : Le commencement du disque, c’était notre voyage en Roumanie. On a fait un trip dans le delta du Danube, dans des kilomètres et des kilomètres de marais. D’un côté il y a le Danube, et au bout la mer, tu comprends pas où tu es. Le Danube se ramifie en plein de bras, qui te perdent très vite dans des kilomètres de roseaux. La lumière est incroyable, et en fait au milieu il y a une station d’ornithologie. C’est sur un des bras principaux du Danube, mais dès que tu prends un bateau tu peux te reperdre dans les méandres du Danube très rapidement.

On était sur le perron de la petite maison où on vivait, en train de parler de musique, de paysages qui s’étirent, de l’eau et la terre qui se prolongent, on regardait les bateaux passer, c’était comme un énorme time stretch.  On avait notre enregistreur aussi, donc on pouvait écouter les sons d’un peu tout ce qu’on voyait. Et c’est là qu’on s’est dit qu’il fallait qu’on se remette à un nouvel album. Et ce moment-là est resté très présent dans nos têtes pour écrire le premier morceau de l’album, « Loon ». Et d’ailleurs dans « Loon » il y a le bruit du Danube, c’est ce qui ouvre le disque.

© Labeks

Comment vous sentez cette sortie d’album  ?

C  : On est trop contents  ! C’est un énorme accomplissement, surtout qu’on a commencé à le faire sans savoir avec quel label on allait le sortir, et finalement on a notre propre label  !

B  : On ne savait pas si le disque allait sortir, comment il allait sortir quand on l’a fait. Puis il y a eu cette phase d’apprentissage et de questionnement durant laquelle on avait notre label et le statut, sans trop connaître les étapes par lesquelles passer. On est contents qu’il sorte, contents quand les gens viennent nous en parler. Là on est en train de travailler le live et ça part trop bien, on est contents des clips, contents des visuels, contents de tout  !

Grand Blanc sera prochainement en concert :

12/5 Les Trinitaires – Metz (57)
17/05 La Maroquinerie – Paris
25/05 L’épicerie Moderne – Feyzin (69)
3/06 Les lendemains qui chantent – Tulles (19)
16/06 Maison Folie Hospice d’Havré – Tourcoing (59)
4/10 Le REX – Toulouse(31)

5/10 IBoat – Bordeaux (33)
30/11 La Gaîté Lyrique – Paris

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