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Rencontre avec Cyril Dion : « J’ai toujours l’impression de me débattre avec ce monde »

Cyril Dion
© Frank Loriou

Grand amateur de diverses formes artistiques, le militant écologiste Cyril Dion, accompagné par le musicien Sébastien Hoog, met en musique ses différents poèmes dans Résistances poétiques, un album chanté-parlé d’une grande beauté.

Depuis quelques années, les musiciens, écrivains et autres artistes sont de plus en plus nombreux à s’inspirer du réchauffement climatique. Devenu palpable, cet enjeu majeur de notre temps s’invite dans les œuvres. A commencer par celles du militant écologiste Cyril Dion, qui est aussi poète et maintenant presque chanteur. Dans son album Résistances poétiques, il renoue avec la poésie qu’il pratique depuis des années et donne à voir autrement ce genre littéraire tombé en désuétude ces dernières années. Rencontre.

Résistances poétiques, c’est une quinzaine de poèmes sous forme d’album, dont la musique est prise en charge par plusieurs artistes. Quelle est la genèse de ce projet ?

J’écris de la poésie depuis dix-sept ans. En 2017, lorsque nous avons tenté de parler d’écologie en période électorale avec le mouvement des Colibris, nous avons emmené en tournée une quarantaine d’artistes comme Jeanne Cherhal, Izïa Higelin ou Mathieu Chedid. Pendant ce spectacle, je lisais des poèmes et des textes pour que l’on ne s’ennuie pas pendant les changements de plateau. J’étais accompagné par des musiciens et plus spécifiquement Sébastien Hoog. C’est comme ça que l’on s’est rencontrés. Certains de nos camarades m’ont dit que c’était pas mal, que l’on devrait en faire quelque chose. Au sortir de la tournée, on a créé un spectacle qui est devenu un disque.

Êtes vous toujours en quête du moyen le plus « populaire » de nous faire entrevoir de nouveaux modes de vie ? Celui dont tout le monde pourra s’emparer ?

Soyons honnêtes, la poésie est l’un des arts qui intéresse le moins de gens. J’espère que plein de gens écouteront, mais ce n’est pas un projet grand public. On voulait faire un projet avec des artistes, avec des textes et de la musique qui nous plaisent. Ce qui m’intéresse, c’est surtout d’explorer tous les canaux artistiques que je peux, qu’il s’agisse d’écriture, de réalisation de films, de musique. Si tout cela peut porter un message, tant mieux.

Dans ces poèmes, vous nous parlez du monde qui nous entoure. Vous dites « nous ne voulons pas de ces écrans qui vomissent des écrans, burgers et baskets », « nous ne voulons pas de ces jobs empestés qui ne nous promettent rien que pelouse, pavillons, rayonnages et caddies pleins ». Assumez-vous aujourd’hui de mener une bataille politique contre un modèle ? De mener une guerre peut-être plus frontale qu’avant ?

Il y a un malentendu qui fait que l’on me prête tout le temps l’intention de faire de l’art pour faire passer un message. En réalité, quand on fait de l’art, on ne le fait pas pour ces raisons-là. Si on essaie à tous prix de faire passer un message, on fait un mauvais livre ou une mauvaise chanson. L’art doit nous échapper. Et si ça nous échappe, il y a une petite chance que ça porte. Ça n’a rien à avoir avec la réalisation de documentaires ou l’écriture d’essais, là on cherche délibérément à défendre une thèse. L’exercice n’est pas le même.

Ce que j’ai dit pendant très longtemps, en revanche, c’est que se contenter d’être contre ça ne suffit pas. En tant que militant, il faut créer de l’enthousiasme et de l’élan sinon une forme d’impuissance et de résignation s’installe. Je pense toujours à ça. Cet album est traversé par plein de choses différentes, les chansons empruntent ces deux voies. Mais ce n’est pas quelque chose de délibéré et stratégique. Ce serait triste de faire de la poésie en voulant être stratégique.

Cyril Dion
© Fanny Dion
Vous évoquez « les images qui dévorent nos cerveaux, la cage minuscule de notre esprit », comme s’en défaire ? Comment vous êtes-vous défait de l’imaginaire capitaliste, vous ?

Je ne m’en suis pas défait complètement. On vit dans ce monde-là et je continue à me sentir très souvent enfermé, aliéné. J’ai toujours l’impression de me débattre avec ce monde. C’est comme pour le féminisme ou l’antiracisme, j’essaie de me déconstruire, de comprendre comment le capitalisme fonctionne et comment vivre autrement. Cela se fait à force de lire, de regarder des films, d’observer. Quand j’étais adolescent, je m’intéressais beaucoup à la culture contestataire des années 50-70, les débuts de l’écologie, la lutte contre la ségrégation aux États-Unis, la Beat Generation… Autant de mouvements qui refusaient la société de consommation telle qu’on nous la proposait et qui a inspiré toute une génération de rockeurs et le mouvement hippie.

Comment avez-vous travaillé avec Sébastien Hoog pour mettre en son la routine capitaliste et au contraire, ce à quoi l’humanité aspire, le beau, la nature, user la semelle de ses chaussures, etc ?

On a fait comme si on faisait une chanson, on a choisi les textes ensemble. Pour chaque texte on a recherché une couleur musicale, on cherchait parfois un rythme, d’autres fois des accords de guitare. Parfois, on allait écouter des références du chanter-parler, comme Patti Smith, Gainsbourg, Feu ! Chatterton, Kae Tempest ou Mélodie Nelson. On s’est aussi inspiré de la musique que l’on aime, comme les Beatles, Neil Young, Jimi Hendrix, Pink Floyd et Bob Dylan. Il y a forcément un peu de références qui vont dans ce sens. Enfin, on a cherché à mettre des sonorités plus urbaines et contemporaines sur les morceaux.

Pourquoi jouer ces poèmes sur scène ? Est-ce un moyen de créer un élan collectif ? De rétablir la beauté ? De faire du beau à partir d’une situation dramatique ?

En tous cas, beaucoup de gens ont été embarqués par le spectacle. Il y a plus de personnes que ce qu’on s’imagine qui aiment entendre de la poésie. C’est un art oral qui mérite d’être pratiqué de cette façon-là. On a souvent des préjugés sur la poésie qui datent de l’école. Moi, je me souviens que ça me cassait les pieds quand on récitait des poèmes classiques. On est mal éduqué à la poésie. Au lycée de mon fils, on leur fait lire Les fleurs du mal comme si c’était un roman. Mais la poésie ça se lit, il faut laisser les trucs résonner, reprendre le livre plus tard. Ce n’est pas quelque chose de linéaire. C’est assez dramatique qu’on soit pas encore capable en 2023 d’accompagner les plus jeunes pour apprendre à découvrir la poésie.

Ce travail est-il le plus politique de tous vos ouvrages ? Est-ce un moyen de nous faire ressentir que notre modèle n’est pas le bon ? S’agissait-il de nous faire ressentir tout ce à côté de quoi nous passons ?

La poésie, c’est une forme de jaillissement. Il n’y pas d’intentionnalité particulière. Il s’agit d’exprimer ce qui vous traverse au moment où ça vous traverse. Si vous vous traversez des émotions en créant, il y a quelques chances, même si ça ne marche pas toujours que d’autres puissent les ressentir aussi. Pour les poèmes Debout et Rien à l’horizon, je suis toujours dans une sorte de sentiment d’enfermement et d’aliénation. Je me sens aliéné à cause de ce monde pour lequel on a défini des règles arbitraires auxquelles il faut se plier, où le fait de travailler pour gagner sa vie est le premier élément d’aliénation. On subit chaque jour un chantage au salaire, un devoir gagner de l’argent pour vivre qui conditionne toute notre existence. D’ailleurs, les gens me disent souvent « on sait ce qu’il faudrait faire  », mais avec le travail, on est trop fatigué en fin de journée. C’est toute cette énergie mobilisée par le travail qui nous empêche d’agir.

Quel est le poème qui vous touche le plus ? Pourquoi ? Pouvez-vous m’en dire quelques mots ?

J’aime bien Rien à l’horizon. Je trouve que j’ai réussi avec ce texte une sorte d’alliance entre littérature et musicalité. Le poème est très musical en lui-même, même sans le support de ce que Sébastien a composé. C’est un texte qui a gardé une certaine ambiguïté, qui n’est pas univoque. Et à la fois, il traduit bien cette ambivalence dont on souffre tous : le fait que l’on souffre de ce système, mais que l’on continue à y participer. Je trouve que c’est réussi quand il y a de la complexité.

Vous alertez sur le réchauffement climatique depuis des années. Après avoir parlé à notre intellect, vous vous adressez à notre sensibilité, à l’imaginaire. Pensez-vous que ce travail commence à porter ses fruits ?

Ce qui porte ses fruits, c’est que le changement climatique est de plus en plus tangible. Les gens le voient dans leur vie de tous les jours. On vient de vivre une sécheresse hivernale de 32 jours, subir des records de canicule dans le sud de l’Espagne. Dans la Corne de l’Afrique, c’est 25 millions de personnes qui sont menacées de ne pas pouvoir se nourrir. Dans le même temps, des centaines de villes risquent de n’avoir plus d’eau au robinet. La situation devient terrible et les gens prennent conscience que le climat se dérègle. De plus en plus d’entreprise et de responsables politiques se rendent compte qu’il faut faire quelque chose, même si la réponse est extrêmement faible par rapport à la gravité des problèmes. Là où ça ne porte pas ses fruits, c’est que les changements sont toujours à la marge. Il n’y a pas de remise en question profonde de notre modèle lui-même. On continue notre course effrénée à la croissance et au consumérisme.

Résistances poétiques, un album de Cyril Dion et Sébastien Hoog, à retrouver sur toutes les plateformes d’écoute. Cyril Dion et Sébastien Hoog ont également réalisé un podcast de leur spectacle.

Journaliste

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