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Rencontre avec Tal Madesta : « La transition de genre est un déplacement dans le monde social »

Portrait de Tal Madesta, de face
© Photo Adeline Rapon pour La Déferlante

Journaliste indépendant, spécialiste des enjeux LGBTI, Tal Madesta publie La Fin des monstres, aux éditions La Déferlante. Un récit bref et poétique sur sa propre « trajectoire trans », à rebours des récits médiatiques hégémoniques.

Avec La Fin des monstres, Tal Madesta revient sur sa transition de genre. Mais alors qu’il mène son récit à la première personne, l’auteur s’émancipe du schéma du récit autobiographique. Tal Madesta prend ainsi pour point de départ l’expérience intime et singulière de sa transition pour faire écho à d’autres trajectoires trans. Car ce que révèle la lecture de La Fin des monstres, c’est que la transition de genre n’implique pas seulement une redéfinition du rapport à soi. Elle bouleverse aussi profondément l’expérience que l’individu fait du monde.

En politisant de la sorte son propre parcours, Tal Madesta offre avec La Fin des monstres un très beau livre qui sait s’adresser à un large public. La clarté et la précision de l’auteur en font en effet un excellent petit manuel à offrir aux parents, proches et ami·es de personnes trans. La luminosité de son style, de son côté, ouvre un horizon qui parlera à celles et ceux qui font l’expérience de la transitude. Un horizon qui est celui de l’autonomie politique des personnes trans, et où les monstres n’existent plus.

Tu es déjà revenu à plusieurs reprises sur le lien entre le titre de ton livre, La Fin des monstres, et la phrase prononcée en 2019 par Paul B. Preciado  : «  Je suis un monstre qui vous parle  ». Pour changer un peu, est-ce que tu pourrais revenir sur ton sous-titre, «  Récit d’une trajectoire trans  »  ? 

Dans ce sous-titre c’est le mot «  trajectoire  » qui compte. Quand on parle de transidentité, nos opposants, mais pas que, en parlent toujours sous l’angle du sentiment individuel, de l’identification. C’est un vocabulaire que je n’aime pas du tout. Pour qu’on puisse comprendre nos parcours, je considère qu’il est très important de les ramener à ce qu’ils sont. C’est-à-dire  : une trajectoire de mobilité sociale. C’est toute la thèse du sociologue Emmanuel Beaubatie dans son ouvrage Transfuges de sexe (La Découverte, 2019). 

L’idée c’est de dire que ce n’est pas quelque chose d’ésotérique, qui se passerait uniquement dans nos têtes. C’est un déplacement social dans le monde. C’est donc quelque chose de très matériel qui implique des violences spécifiques, des besoins spécifiques, un accès à des droits spécifiques, un rapport à la sphère du travail spécifique. À peu près tout dans le monde social change avec la transition. C’était donc important pour moi de ramener cela à cette dimension. 

C’est vrai que tu opères un déplacement de focale  : tu ne parles pas tant des causes psychologiques que des conditions matérielles d’existence des personnes trans. C’est pour toi la façon de penser leur autonomie politique ? 

Complètement. Pour moi, le discours psychologisant est un récit de l’assignation des personnes trans à l’impossibilité d’être autonomes. Parce qu’on a toujours ce prisme de la maladie, ou de la déviance à corriger. Je ne vois donc pas comment on peut penser les conditions de libération avec cette grille d’analyse là. C’est pour ça que je reviens constamment aux conditions matérielles de nos vies. Pour moi, c’est sur ça qu’il faut agir. Et on peut le faire. Alors que l’assignation à la maladie essentialise complètement les parcours trans. 

C’est vrai qu’on a aussi, dans une certaine mesure, intériorisé ce discours  ; quand on dit «  je m’identifie en tant que  » plutôt que « je suis » par exemple. Mais pour moi, c’est un discours qui provient de la sphère médicale et qui s’inscrit dans l’histoire de la psychiatrie et de la domination.

Revenir aux conditions matérielles de nos vies permet aussi de sortir de toutes les paniques morales instrumentalisées contre nous. Les TERFs (« Trans-exclusionary radical feminist » ou « Féministe radicale excluant les personnes trans », ndlr)  adorent dire par exemple que «  femme n’est pas un sentiment  ». Mais personne n’a dit que c’était un sentiment. C’est une position sociale qui fait que tu vis de la misogynie. Il ne faut vraiment pas connaître de femmes trans pour considérer qu’elles ne vivent pas de misogynie. Être une femme, c’est se considérer comme telle, et être perçue comme telle par le reste du monde, ce qui dépasse largement, au passage, la question du passing. Les femmes trans s’en prennent bien plus dans la gueule au début de leur transition que les hommes trans. C’est bien la misogynie qui est en jeu : le corps des femmes est bien plus scruté que celui des hommes.

Alors quelles stratégies mettre en place pour contrebalancer ces discours psychiatrisant et essentialisant  ?

Je pense que les associations le font déjà. Il y a une différence entre la façon dont certaines sphères militantes emploient ce genre de termes et la façon dont en sociologie, depuis bien longtemps, on parle de trajectoires sociales. Mais c’est déjà quelque chose qui existe. Il y a plein d’assos qui bossent non pas sur des enjeux de termes, mais qui s’organisent autour de questions extrêmement matérielles.

On peut penser à Acceptess-T par exemple. L’association bosse pour mettre en avant les conditions spécifiques des travailleuses du sexe trans, notamment sud-américaines. 

Donc j’ai l’impression que la question c’est plutôt : comment faire pour qu’on nous écoute  ? Plutôt que comment faire pour dire les choses avec ce prisme-là. Le problème c’est de trouver une résonance. C’est tout l’enjeu de trouver notre place dans la sphère médiatique. Place qui est très compliquée à prendre. Notamment en regard du fait que ce sont surtout nos opposants politiques qui prennent cette place-là. 

Tu parles de l’apprentissage du deuil, de la perte. Mais en regard de ça tu mets en avant tous les réseaux de solidarité qui naissent, la constitution d’une famille choisie. Ce qui permet aussi de sortir du récit de trajectoire individuelle, et s’inscrit dans la suite de la réflexion que tu déployais dans Désirer à tout prix (Binge Audio). 

Pour moi c’est fondamental de parler de ces sujets. Parce qu’on n’a pas le choix. C’est ce que je disais déjà dans Désirer à tout prix. Quand tu es complètement isolé·e, que tu galères à trouver un logement, que ta famille t’a viré·e, que tu ne trouves pas de boulot, heureusement qu’on a la communauté. Et heureusement qu’il y a des personnes qui se font le relai de nos droits pour les défendre d’une manière ou d’une autre. Sinon on ne s’en sort pas. 

À partir du moment où on manque de beaucoup de droits, il y a forcément un gros travail de lobbying qui est fait de la part des assos. Et un travail de lobby associatif ça veut aussi dire création d’une communauté. C’est-à-dire des gens qui se battent pour un groupe social donné. 

À côté de ce versant «  communauté militante  », il y a aussi toute la question de la famille choisie. À partir du moment où ta mère, ton père, ton frère, ta sœur, tes grands-parents t’ont dit au revoir, tu te trouves très vite forcé·e à explorer d’autres sphères de sociabilité. C’est un impératif de survie. 

D’ailleurs la condition trans est beaucoup marquée par l’isolement. Le taux de suicide chez les personnes trans est très élevé. Et il me semble que la cause principale de ce phénomène c’est justement cet isolement. Parce que nous on est à Paris, on a l’impression que tous les trans sont ensemble. Mais il y a aussi des questions de territoire, de classe sociale, de race, qui font qu’on ne vit pas tous les mêmes parcours.

Comment penser l’auto-organisation une fois posé ce constat de l’hétérogénéité des trajectoires trans  ? 

Je pense que c’est une question qui peut s’appliquer à n’importe quel groupe social qui veut défendre ses droits. De fait, quand on voit le travail associatif aujourd’hui, il y a quelques assos généralistes mais globalement elles ont un public cible. 

Je ne sais pas si, à partir du moment où on a des trajectoires très différentes, on peut apporter une réponse universelle. Je pense que c’est pour ça qu’il y a plein d’assos différentes et ce n’est pas parce qu’elles sont nombreuses qu’on n’est pas fédéré·es. Il s’agit simplement de prendre en compte les spécificités des parcours de chacun·e. 

Le plus efficace je pense, ce serait donc de viser l’interassociatif puisque tout cela implique des savoirs et des compétences très spécifiques. Je reviens encore à Acceptess-T. Il y a un pôle médical, avec des séances psy, des médecins, un pôle d’accompagnement juridique en cas de changement d’état civil, sur le dépôt de plainte en cas de violence, en cas de refus de changement d’état civil, des activités sportives etc. Ce sont des compétences très spécifiques et très précieuses qui sont mobilisées à chaque fois.  

© La Déferlante éditions
Est-ce que tu pourrais revenir sur ce que tu appelles «  éthique de la masculinité  » et que tu penses dans le cadre de ce «  no man’s land du devenir homme  »  ? 

Comme j’ai un rapport hyper traumatique aux hommes, c’est forcément une question que je me suis posé  : pourquoi devenir un homme dans ce contexte-là  ? On ne va pas se mentir, on n’a pas trop de modèles attractifs. Mais à mesure que la transition avance, l’expérience du monde change. Et quand on commence à être traité comme un homme, se pose forcément la question de savoir que faire avec cette nouvelle expérience du monde. C’est très étrange quand on a évolué de l’autre côté de la barrière, et qu’on a plutôt été victime des hommes qu’autre chose, de rentrer dans des dynamiques de boy’s club par exemple.

Sans dire que je fais de ma transition une expérience politique, car ce n’est pas le cas, je me pose quand même la question de comment faire pour ne pas devenir comme eux. Les hommes de merde que j’ai eu dans ma vie agissent en contre-exemple et m’aident à me rappeler d’où je viens. Je pense que ce que je veux essayer de faire de ma position d’homme, c’est vraiment garder en tête qui j’étais avant et ce que ça fait dans le corps, le viol, le harcèlement de rue, le fait de se faire couper la parole en permanence. Je n’ai pas envie d’oublier ça. Comme je le dis dans le texte, oublier ça c’est déjà devenir un homme comme les autres, c’est déjà trahir les femmes. Mais on s’habitue vite à ça. Et c’est pour ça qu’il faut faire attention. La socialisation dure toute la vie, et on s’habitue vite à être socialisé comme un homme. 

En ce sens, quels liens garder avec les espaces féministes quand on connait une telle mobilité sociale  ? 

Là je ne peux parler que depuis mon expérience personnelle. Disons qu’à mesure que je transitionne, je ne considère plus avoir ma place dans les milieux féministes. Ça dépend des sujets, c’est du cas par cas (voir l’article «  Paroles de mecs trans  » dans Matérialismes trans, éditions Hystériques et AssociéEs). Par exemple, j’ai commencé dans les collages où tout l’enjeu c’est la reprise de l’espace public et le fait de se sentir à l’aise dans la rue. Bon globalement quand on est un homme dans la rue, tout se passe bien. Si tant est bien sûr qu’on n’ait pas l’air trop pédé et qu’on soit blanc. Dans mon cas personnel en tout cas, je ne trouve plus forcément de sens à aller coller dans la rue avec plein de meufs qui y sont effectivement harcelées. 

Comme nos conditions de vie changent, nos positions au sein d’un groupe changent et donc nos intérêts militants changent aussi. 

Tal Madesta

Ce que je constate c’est que les mecs trans qui militent, au fur et à mesure de leur transition, désertent les milieux féministes et se retrouvent dans les sphères trans ou queer. Il n’y a certes plus d’oppression sexiste mais une pathologisation constante, un rapport aux sphères médicale et familiale très violent.

Je suis vraiment contre le truc de non mixité sans hommes cis. Ça veut dire quoi  ? Certes les mecs trans peuvent avoir, potentiellement, un vécu de la féminité avant. Et j’insiste sur le potentiellement parce que nombre de mecs trans n’ont pas du tout ce vécu-là. Je pense donc que ça a beaucoup plus de sens de penser selon les objets, plutôt que de faire quelque chose d’assez général sans hommes cis.

C’est une position qui est en plus très souvent un boulevard vers la transmisogynie. Si des meufs trans ne sont pas assez avancées dans leur transition elles seront assimilées à des hommes et seront donc exclues. Quand il y a ce genre d’événements de non mixité, on ne va pas se leurrer, il n’y a que des mecs trans et des meufs cis, et de personnes non binaires assignées femmes à la naissance. Ce qui fait encore un boulevard vers l’essentialisme en assimilant le bien aux vulves et le mal aux pénis.

Que faire de la misandrie politique dans ce cas  ? 

J’ai l’impression que c’est un mode défensif qui a son importance, et qui aide, à un moment donné, à formuler une volonté d’indépendance par rapport aux hommes. En ce sens-là je le comprends très bien. Et je suis passé par là aussi. J’ai souvent l’impression que c’est un moment de la réflexion politique. De réappropriation d’une colère et d’une volonté d’indépendance, de non mixité, d’auto-organisation. 

Je pense cependant que politiquement ce n’est pas très pertinent. C’est peut-être l’usage qu’on en fait qui me pose problème. Je pense que maintenant, personnellement, je suis à un autre endroit de ma réflexion militante. Il y a d’autres endroits à explorer. Et je ne dis pas que ce sont forcément des endroits de cohésion avec les hommes. Plutôt des endroits de vrais développements d’organisation avec les femmes. C’est ça la nuance. Dans le sens qu’être dans la misandrie politique, c’est encore vivre en fonction de son rapport aux hommes, même si c’est en creux. 

Est-ce que ça nous empêche aussi de penser l’intersectionnalité  ? 

Oui, en plus. Qui se dit misandre politique  ? Ce sont souvent des femmes hétéros ou lesbiennes blanches. Les femmes noires et/ou musulmanes parlent d’ailleurs souvent de la nécessité d’être solidaires avec leurs frères racisés, qui se trouvent aussi à un endroit subalterne dans la société. La misandrie politique ne prend pas forcément compte du fait que le groupe social « hommes » n’est absolument pas homogène.

Il y a donc quelque chose qui relève du milieu social aussi. Après je pense que ça peut rester un premier ancrage politique. Mais je suis très attaché à la fois au travail associatif et au fait d’avoir des projets concrets qui font changer la vie des gens. Pour moi c’est le cœur de la lutte. Ce n’est pas avoir un positionnement philosophique, par ailleurs très ancré dans un certain contexte socio-économique. 

Je pense que ce qui me gène le plus, ce sont tous les discours qui ont un sous-texte un peu essentialisant – qui est un boulevard vers la transphobie. Je pense que ça ne va pas au fond du problème. C’est déjà une pensée qui me semble trop universaliste. Le genre n’est pas le seul facteur d’ancrage dans le monde, il y en plein d’autres. Voir celui-là qui viendrait chapeauter tout le reste c’est une pensée qui me semble très blanche. On peut lire l’article de Joao Gabriel dans Matérialismes trans, «  Devenir l’homme noir  », dans lequel il écrit que dans le parcours des hommes trans noirs, la race est bien plus déterminante que le genre. C’est un point aveugle de la misandrie politique à mon sens.

Tu as évoqué certains ouvrages théoriques, quelles sont les œuvres qui ont marqué ton parcours  ? 

Côté fiction, il y a évidemment Stone butch blues (Leslie Feinberg). Manifeste d’une femme trans de Julia Serrano, Matérialismes trans (sous la direction de Pauline Clochec et Noémie Grunenwald), Transfuges de sexe (Emmanuel Beaubatie). Il y avait aussi un super blog, supprimé récemment, qui s’appelait les Guérillères. Et puis L’Art de la joie (Goliarda Sapienza). Quand je l’ai lu, je me suis dit «  c’est ça la liberté  ».

Après l’œuvre originelle super culte c’est L’Empire contre-attaque  : un manifeste posttransexuel (1987) de Sandy Stone. C’est un essai qu’elle a écrit en réponse au livre de Janice Raymond, L’Empire transsexuel (1979) – véritable Bible de la transphobie. C’est un ouvrage qui a pavé la voie à tous les arguments TERF utilisés aujourd’hui. 

Et du côté des productions audiovisuelles ?

Du côté des séries, je pense au couple lesbien entre une femme cis et une femme trans dans Sense 8. C’est la première série que j’ai vue qui mettait en scène une femme trans, dont l’identité n’était pas le sujet. Je me suis dit  : «  on peut être autre chose que ça  ». C’est super important, car on a souvent l’impression qu’on ne peut être que trans. Que ça doit être la trame narrative de nos vies. 

On peut voir ça dans le documentaire Netflix, Disclosure qui revient sur cent ans de représentations des personnes trans dans le cinéma hollywoodien. Globalement les mecs trans n’existent pas, ou très peu. Et les femmes trans sont représentées sous l’angle du piège – comme un gimmick narratif.  

Un film qui m’a marqué, mais pas dans le bon sens, c’est le Silence des agneaux (Jonathan Demme, 1991). Le serial killer, Buffalo Bill, est littéralement une femme trans  : il tue des femmes, veut récupérer leur peau pour la mettre sur lui, et dans son histoire il est dit qu’il a demandé à vivre en tant que femme, que ça lui a été refusé et que c’est donc pour ça qu’il a pété un plomb. C’est l’enfer. Car forcément, comme c’est une femme trans, ça ne peut qu’être un serial killer. 

Quand on grandit avec ce genre d’images là de ce que sont les personnes trans, c’est compliqué d’évoluer. Tu grandis soit en te disant «  je ne suis même pas envisageable dans le monde puisque je suis un mec trans et que ça n’existe pas ». Soit en te disant que tu vas crever ou tuer quelqu’un si tu es une femme trans. C’est à peu près tout ce qui existe. Même si ça change de plus en plus aujourd’hui.

Ce qui pose la question de la visibilité des personnes trans dans la sphère publique.

Sur la visibilité, j’ai l’impression d’être un peu en désaccord avec la façon dont on traite le sujet habituellement. Je suis assez contre la visibilité. Bon c’est un peu paradoxal de dire ça, sachant que je suis un mec trans qui sort un livre sur la transidentité. 

En tout cas, je suis en désaccord avec la façon dont on la présente comme un truc par essence émancipateur. Je pense qu’être visible c’est avoir une cible dans le dos. C’est être extrêmement vulnérable. Et surtout, on n’obtient pas les avancées en étant visibles. On ne les obtient pas en disant au public «  ne vous inquiétez pas, on est gentils et normaux, tout va bien  ». On les obtient avec du travail associatif qui se fait dans l’ombre depuis des années. La loi de 2016 est passée grâce au lobbying des assos. On ne parlait pas encore des personnes trans à ce moment comme on en parle aujourd’hui, constamment dans la presse et les émissions TV. Et pourtant c’est grâce à cette loi qu’on a eu la facilitation du changement d’état civil par exemple, qui ne le conditionne plus à une stérilisation obligatoire. 

La visibilité n’a pas d’efficacité politique ?

Disons que la visibilité peut être bien pour les personnes trans qui grandissent sans aucun modèle. Mais sur le plan politique, je pense que c’est plutôt une catastrophe. Parce que le problème c’est de trop rester sur l’idée que «  nos identités sont politiques  ». Bon d’accord, mais après  ? On ne va pas se libérer à coups de slogans  !

Et dans ce cas, le plus important c’est de produire des images sur nous, avec nous. De fait aujourd’hui, on est très visibles. Mais avec quel regard  ? Il y a évidemment des productions explicitement transphobes. Mais il y a aussi plein de documentaires qui se veulent bienveillants, et qui sont en fait hyper misérabilistes. On y est encore dépeints comme des êtres pathétiques. Dans Petite fille (Sébastien Lifshitz, 2020), c’est exactement ça. L’enfant n’a pas la parole. Le film s’appelle Petite fille, mais le personnage principal c’est sa mère.

On oscille entre pathos et discours explicitement antitrans. Donc au final on est aujourd’hui survisibles, mais on n’a jamais été aussi violenté·es – sur certains points. 

Et ce ne sont pas les voix qui manquent, comme en témoigne la liste d’artistes et de travaux produits par des personnes trans à la fin de ton livre.

Oui. Le problème c’est à la fois de faire des choses par et pour nous. Et d’être écouté·es et entendu·es. C’est toujours la même question. Les voix ne se mettent pas à parler d’un coup. C’est simplement, à quel moment on les écoute et à quel moment on les met en avant. 

Et dans ce cas, comment négocier au sein d’un individu, la conviction collective que c’est important de politiser nos identités, et l’aspiration individuelle au repos  ? 

La façon dont j’essaie de résoudre ça, et c’est toujours compliqué, c’est de faire un récit sur moi mais qui ne parle pas de moi. C’est ce que j’ai voulu faire avec La Fin des monstres. Je donne à voir l’image de mon parcours comme exemple, pour illustrer. Mais je n’aurais jamais pu écrire ce livre sans parler des femmes trans, sans parler du travail associatif. Je pense que c’est bien de partir de soi, mais comme un moyen, pas comme une fin. J’estime que parler de soi c’est plutôt se faire le relai d’autres paroles.

La Fin des monstres de Tal Madesta, La Déferlante éditions, 15 euros.

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