QUINZAINE DES CINÉASTES – Huit ans après son dernier long-métrage, Michel Gondry propose cette année Le Livre des solutions. Retour au cinéma, et retour aux stars : cette comédie faussement légère est portée par Pierre Niney et Blanche Gardin.
Nombreux sont les cinéastes à s’être prêtés à l’exercice de l’autobiographie ou de l’autofiction ces dernières années. James Grey, Paul Thomas Anderson, Steven Spielberg, on pourrait même considérer que le dernier Kelly Reichardt, Showing Up, entre dans cette catégorie. Si c’était une pratique plutôt anglo-saxonne, et à vrai dire états-unienne, jusqu’alors, Le Livre des solutions de Michel Gondry amène cette tendance en France.
Le film raconte l’histoire de Marc Becker (Pierre Niney), réalisateur accompagné de sa monteuse Charlotte (Blanche Gardin) et de sa productrice Sylvia (Frankie Wallach). En virée interdite dans les Cévennes, iels doivent finir le tournage d’un film aux vivres coupées par ses financeurs. Variation assumée autour de la figure de Gondry lui-même, le personnage de Marc est un artiste à l’univers loufoque. Il s’avère que sa créativité a des revers psychologiques beaucoup plus sombres que ses solaires inventions.
Don’t worry…
Le film commence comme une comédie bon enfant. Personnage sautillant et bricoleur, Marc doit terminer son film, mais ne supporte pas d’en regarder le montage. S’engage alors une formidable entreprise de procrastination, où le personnage lance mille projets farfelus en fonction de ce qui lui tombe sous la main, plutôt que d’avancer sur son film. Le protagoniste a en charge la narration : ce sont ses activités qui construisent la structure du scénario, qui est par conséquent erratique. Mais ce sont aussi ses errances créatives qui déterminent le régime d’image du film. Avec la grande originalité que l’ont connait chez Gondry, les étranges jeux de montage alternent avec de purs moments d’animation.
Passé ces premiers moments, quelque chose perturbe la comédie légère. Le personnage s’enfonce encore dans ses délires, mais son entourage semble trouver cela de moins en moins drôle. Progressivement, Gondry insuffle un trouble. Ce cinéaste fictif est un génie frénétique, d’autant plus remarquable à travers le contraste donné par la tranquillité de sa tante, interprétée par Françoise Lebrun. La caméra se fait hésitante. De charmant, le personnage de Niney est toujours à la limite d’être effrayant, voire carrément violent.
Be creepy
Ainsi, sans ligne narrative définie, le film avance au rythme de son personnage, en comédie burlesque réussie. Un contrepoint est assuré par la voix-off de Marc. Voix intérieure qui commente son état d’esprit, l’artiste semble à la fois paranoïaque et persuadé que son génie influence les autres.
Difficile de ne pas penser au très beau film de Joachim Lafosse, Les Intranquilles. Le père campé par Damien Bonnard, diagnostiqué comme bipolaire, y avait également une énergie qui s’avançait au fil du film vers la terreur.
Prise en charge par Gondry, cette plongée est perturbante. Lui, l’artiste candide et charmant, serait un créateur pathologique. Plus encore, ses œuvres finies qui parviennent au public ne seraient que la cime de montagnes d’angoisses et de détours, autant pour lui que pour son entourage.
Auteur d’un cinéma qui a pu jusqu’ici apparaître comme doux et enfantin, l’auteur produit ici une représentation de lui-même en personnage anxieux, frôlant de près le pervers narcissique par moments. Le Livre des solutions se transforme alors en œuvre trouble, toujours sur la ligne. Le rire devient parfois jaune, et la voix-off du personnage moins charmante qu’inquiétante.
Tout ceci culmine dans une séquence où Marc dirige un orchestre de manière tout à fait improvisée, sans partition. La musique joue, et sonne bien, mais la mise en scène rend clair que tout est à deux doigts de s’effondrer à chaque seconde. En permanence, le génie pourrait s’avérer être un dangereux imposteur.
Autoportrait ambivalent, Le Livre des solutions est un opus surprenant et bienvenu dans la carrière du réalisateur d’Eternal sunshine of the spotless mind.
