CINÉMA

« Voyages en Italie » – Les bonheurs de Sophie

Voyages en Italie, Sophie Letourneur © Météore Films
© Météore Films

Avec son cinquième long-métrage, Sophie Letourneur continue de travailler son style réaliste et singulier. Le résultat est une comédie romantique faussement nonchalante, qui révèle une fois encore l’acuité comique de la cinéaste.

Sophie (Sophie Letourneur) et Jean-Fi (Philippe Katerine), un couple fatigué, décident de partir en vacances pour perturber leur routine. Après quelques hésitations, il est décidé qu’iels iront en Sicile. Voyages en Italie documente les vagabondages touristiques de ces deux quadragénaires. 

Un couple à deux vitesses

Dès la séquence d’ouverture, où le couple débat dans un bus, masque sanitaire sous le nez, le ton est donné. C’est un plan simple, mais immédiatement parlant, captation fine d’une situation hyper contemporaine. La discorde entre les deux vient de ce que Sophie veut partir en vacances alors que Jean-Fi y tient un peu moins. Elle pense qu’il faut aller chercher l’extraordinaire pour résoudre leurs problèmes, lui, pense qu’il faut « résoudre les problèmes du quotidien dans le quotidien  ».

Dans ces quelques minutes est résumé tout ce qui fera la tension directrice du film : Sophie cherche la mise en mouvement, Jean-Fi est un principe d’inertie. Elle veut aller sur le volcan Stromboli – dont iels s’étonneront deux fois qu’il entre en éruption toutes les vingt minutes – il se fait une entorse. Elle veut faire l’amour, il veut dormir. C’est de cette conflictualité douce qu’émerge la force comique du film. Les deux pourraient d’ailleurs évoquer le duo de son avant-dernier film, Gaby Baby Doll. Avec une structure narrative minimaliste, Sophie Letourneur se permet de glisser ses deux personnages dans différentes situations pour observer comment ielles les négocient. Pour le spectateur, c’est ce qui fait que le film ne s’essouffle jamais, même quand il se répète.

Joies ordinaires

Le talent de Sophie Letourneur, dans tous ses films, est sa grande attention au réel. L’originalité de Voyages en Italie, est qu’il fait apparaître son propre processus de fabrication. Le dernier tiers du film montre le couple au lit, en train de raconter la fin de leur voyage, en s’enregistrant en prévision d’un prochain film, ce qui est la réelle méthode de la cinéaste. Ce côté méta, loin de complexifier le film, le simplifie encore plus ; il met la cinéaste, et les personnages, à égalité avec les spectateur·ices.

La joie que procure le film vient aussi de cela, la frontalité de la méthode Letourneur. Voir rendue à l’écran quantité de minuscules éléments du réel, de morceaux de phrases, de répétitions, de contradictions aussi. Sans pouvoir réellement savoir jusqu’où va l’autofiction, Voyages en Italie porte cette impression d’honnêteté légère et d’autodérision intense. Elle réalise un portrait intime, mais aussi sociologique. La cinéaste se moque de ses personnages, mais laisse affleurer à l’image la réelle tendresse qui les lie. Elle parvient à trouver le bon équilibre, faisant que son film laisse la place à toute l’ambivalence du réel. Leur conjugalité n’est jamais une puissante aventure dramatique, ni une routine exclusivement rébarbative et asphyxiante ; c’est toujours un peu autre chose.

Finalement, une réplique prononcée par la cinéaste dans le film cristallise tout ça : «  Donc la question, est-ce qu’on fait quoi ?  ».

Irrésistible duo

Sophie Letourneur a compris quelque chose au sujet de Philippe Katerine ; tout excentrique et iconoclaste soit-il, il n’est jamais aussi drôle que quand il est profondément banal. 1h30 de film suffisent à rendre évident que Katerine est sans doute l’acteur Letourneurien par excellence. Il a tout de l’inertie tranquille de la cinéaste, le refus du drame et un sens très fin du burlesque ordinaire.

D’ailleurs, la rencontre des deux à l’écran a aussi le goût de l’évidence. Leurs deux phrasés se répondent où se chevauchent avec une complicité et une complémentarité jubilatoire. Ielles semblent aussi partager un goût pour le comique trivial et puéril, délectable à l’écran. Comme lorsque le personnage de Sophie est pris d’un fou rire en voyant le mot «  Bibite  ». 

Avec Voyages en Italie, Letourneur poursuit son œuvre en conservant la fraîcheur et l’originalité qui font de chacun de ses films un petit bonheur. 

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