Dans ce nouvel essai, Claire Marin aborde la question des débuts, ceux qui s’initient dans nos vies et nos esprits. Comment percevoir ce quelque chose qui vient à poindre ? Existe-t-il de nouveaux départs ?
Après avoir publié Rupture(s) et Être à sa place, la philosophe Claire Marin prend cette fois pour objet de réflexion ce qui fait début dans l’existence. Elle ausculte, toujours par le biais de la littérature, du cinéma et de la psychanalyse, ce que commencer ou recommencer peut bien vouloir dire. C’est dans un livre chapitré que l’autrice nous propose d’avancer en tirant les fils que ce questionnement fait naître.
Le jaillissement du nouveau
Une étincelle ! Voilà comment Claire Marin illustre ce qui pourrait réunir et figurer nos commencements. Un début ouvre une possibilité et une nouveauté qui bouleverse notre train de vie. Dans le quotidien, quelque chose ronronnait, se répétait puis apparaît soudain une brèche. Elle redéfinit alors les contours d’une existence et d’une sensibilité en faisant rupture. Elle donne une nouvelle dynamique qui n’est pas sans demander un certain effort car elle bouleverse nos vies et nous modifie. Nous devenons autre quand le changement advient.
Le début, c’est quand le réel nous égratigne, nous provoque, nous bouscule.
Claire Marin, Les débuts
L’enfance et l’adolescence sont les parangons de la figure du commencement. Chronologiquement premières, ces périodes voient se déployer la joie et l’inquiétude des premières fois et des apprentissages où le développement permet d’acquérir de nouvelles capacités et une soudaine autonomie. Cependant, il n’existe pas d’âge pour commencer. Au beau milieu d’une existence, il arrive que l’on recommence à zéro délaissant un chemin emprunté pour un autre.
L’incertitude des débuts
Convoquant les écrits de romanciers comme Italo Calvino, Annie Ernaux, de penseurs tels que Jankélévitch, Bergson ou de cinéastes comme Sofia Coppola, Claire Marin décline une palette typologique des débuts. Nous retrouvons les toutes premières fois, les faux départs, les commencements en fiction, la naissance d’une idée ou d’un projet, le bouleversement d’une vie par un nouvel amour ou par la disparition d’un être cher.
Claire Marin approfondit le trouble qui guette notre volonté de définir et circonscrire ce que serait un début. La « radicale nouveauté » d’un début n’est pas toujours aussi bien délimitée, heureuse et tranchante que ce que l’on voudrait bien le penser. Ce qui commence ne se laisse pas si bien saisir. Quelque chose continue de se dérober. Il y a les débuts éphémères qui restent à leur stade liminaire, d’autres qui marquent le départ pour une nouvelle perspective ; les débuts dont je décide volontairement et ceux qui s’imposent à moi ; les débuts heureux et ceux qui plongent dans une noire mélancolie.
Un début marque-t-il alors une franche césure entre un avant et un après ou bien s’apparente-t-il davantage à une lente et imperceptible germination que l’on reconstitue après-coup ? Peut-être que de l’indéterminé reste intact quand il s’agit d’évoquer les débuts et Claire Marin n’occulte pas ces mille figures des commencements.
Recommencer
Cependant, dans son essai, la philosophe ne s’en tient pas aux expériences premières et originaires. Elle pense aussi la possibilité du recommencement dans nos existences. Certes, certains recommencements ont le goût de l’habitude et de ce qui se répète en perdant en intensité. Pourtant, et c’est un des passages réjouissants de l’ouvrage, il y a des recommencements qui ont tout d’une expérience déstabilisante et vivifiante. Reprendre et rejouer une expérience qui nous apparaît comme joyeuse et intense, peut ne pas entamer le plaisir qu’il y a à la retraverser encore et encore. On peut recommencer, aimer à nouveau, sans que ce recommencement ne soit ni premier ni qu’il perde de la force que contient un commencement.
Ainsi, des histoires commencent comme si c’était la première fois. Avec une intensité telle que les fois précédentes pâlissent s’effacent devant tant de splendeur. La première fois balaye le passé et toutes les autres premières fois. Alors quel que soit mon âge, je peux aimer comme si je n’avais jamais aimé auparavant, porté par une ardeur adolescente.
Claire Marin, Les débuts
Les débuts est un essai salutaire en tant qu’il expose la possibilité (éthique et joyeuse) de poursuivre la quête de ces renouveaux qui nous permettent d’inventer autre chose même quand ce à quoi l’on était rivé semblait irréversible.
Les débuts – Par où recommencer ? de Claire Marin, éditions Autrement, 19 euros.