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LE FILM CULTE – « La La Land » : La Fureur de vivre de sa passion

La La Land © SND
La La Land © SND

Chaque mois, un·e rédacteur·ice vous propose de revenir sur un film qu’iel considère comme culte. Classique panthéonisé ou obscure pépite disparue des circuits traditionnels de diffusion, le film culte est avant tout un film charnière dans le parcours cinéphile de chacun·e. Après Mysterious Skin (2004) le mois dernier, retour sur le fruit défendu d’une étoile montante de Hollywood : La La Land (2016).

Une ville. Deux personnages. Des ambitions différentes, et pourtant, deux réussites. Mia (Emma Stone), serveuse dans un café situé à côté des studios de la Warner, est désireuse de percer dans l’industrie du cinéma en tant qu’actrice. Sebastian (Ryan Gosling), jeune musicien, n’a qu’une motivation  : faire revivre le jazz traditionnel en devenant propriétaire de son propre bar. La La Land (Damien Chazelle), c’est un Jacques Demy à l’Américaine, qui prouve que l’impossible est possible en peignant une histoire poétique, un hommage aux comédies musicales et un beau rêve d’enfant.

Mia et Sebastian sont deux personnages que tout oppose. Du style vestimentaire aux décorations de leurs appartements, en passant par leurs goûts musicaux, tout les sépare. Pourtant, la rencontre entre ces deux personnages est inévitable. La couleur est un élément de la mise en scène pour appuyer cette idée. En effet, celle-ci est radicalement différente pour Mia et pour Sebastian. Une exception est faite par l’emploi du bleu traduisant leur même désir de réussite artistique. Mia est un personnage moderne, Sebastian plus vieux jeu. La chromatique de départ des deux personnages est donc franchement différente. Pour autant, les couleurs se rencontrent au cours du film, faisant naître de nouvelles couleurs. Celles-ci expriment des émotions naissantes entre les deux protagonistes. La couleur est aussi le marqueur d’un monde imaginaire et fantasmé tout le long du film.

Emma Stone et Ryan Gosling se tenant la main de dos
La La Land © SND

Une comédie musicale à inspiration classique

Telles les comédies musicales classiques hollywoodiennes, La La Land représente l’apogée de la comédie musicale «  conte de fées  », où tout apparaît comme un parfait rêve éveillé. De la relation amoureuse entre Mia et Sebastian ou par la représentation idéalisée de Los Angeles – notamment par l’épilogue – le film rend hommage au genre. Il divertit les spectateurs par sa structure simple et entraînante.

Dans la comédie musicale, le protagoniste masculin possède souvent les caractéristiques d’un véritable gentleman. Celui qui séduit une femme qui, aux premiers abords, ne semble pas réellement intéressée. Dans le film de Chazelle, Sebastian adopte une attitude similaire. Il a, tout d’abord, une prestance vestimentaire (rôle du costume et de la cravate). Sa répartie, en référence aux paroles du chant « A Lovely Night », prolonge le jeu de séduction avec Mia.

L’épilogue est aussi un élément intéressant du film. Par un même dynamisme dramatique, il reprend de façon imaginaire les scènes importantes dont les spectateurs ont pu être témoins tout au long du film. Il s’organise en trois parties. La première rappelle la rencontre rêvée entre Mia et Sebastian. La deuxième montre leur accomplissement professionnel réciproque à Paris. La dernière partie couvre un autre film, à savoir une représentation fictive de ce qui aurait pu être la vie de couple de Mia et Sebastian. Cet autre film reflète le désir intense des spectateurs de vouloir croire en l’histoire entre Mia et Sebastian. Ils se sont accomplis ensemble, aussi bien sur le plan personnel que professionnel.

Ce «  conte de fées  » est également illustré par la manière dont La La Land idéalise la vie mondaine. Cette mise en lumière d’une idéalisation de la vie à Los Angeles où priment le mode de consommation et le privilège de faire partie de l’élite, est frappante. Le stylisme culinaire (traduit : food stylism) met en relief cette idée de « vie utopique ». Ce métier a pour but de montrer des plans comprenant des éléments gastronomiques (nourriture et/ou boissons) dans une optique d’embellissement des plans. Deux moments dans le film illustrent cette réflexion sur le stylisme culinaire. Tout d’abord, le rôle des inserts sur la coupe de champagne qui se remplit à foison lors du numéro « Someone in the Crowd » est important. Ensuite, le plan montrant un verre de vin qui se remplit lors de la scène du restaurant.

Enfin, chants et danses, où la joie et l’optimisme font place nette, marquent cette comédie musicale «  conte de fées  ». Ces chansons, merveilleusement chantées et jouées par un casting à la hauteur, prennent tout leur sens au cours du film. «  City of Stars  » célèbre Los Angeles, ville d’artistes, où tous ces jeunes talents, ces «  Fools who dream  », rêvent et s’installent dans ce lieu rempli d’illusions et d’incertitudes. La chanson «  Another Day of Sun  » accentue ainsi leur ignorance et leur naïveté sur la vie qu’ils vont entreprendre.

Par ce lien magique que le réalisateur tisse avec le public, l’imaginaire devient un véritable langage d’expression. Le rôle de la couleur offre aussi une dimension fantaisiste au film. L’épilogue fait le portrait d’une vie d’artiste à Paris – considérée par excellence comme la ville de l’Amour et de la réussite professionnelle. Cela accentue cette dimension imaginaire.

Ryan Gosling, avec des lunettes de soleil, assis à une table
La La Land © SND

Une comédie musicale à inspiration mélodramatique

Par son fort caractère mélancolique, La La Land se différencie des comédies musicales classiques hollywoodiennes. Le film reprend plusieurs formes du genre du mélodrame, à commencer par l’instauration d’un happy ending inattendu par les spectateurs. Celui-ci reflète la fin des Parapluies de Cherbourg (Jacques Demy, 1964), film fortement apprécié par Chazelle.

Cette fin plus subtile bouscule ainsi les codes classiques du genre de la comédie musicale. En effet, elle n’annonce pas de mariage final comme célébration du couple. Mia et Sebastian ont privilégié leurs carrières professionnelles respectives au détriment de leur couple. Le champ contre-champ sur leurs visages laisse entrevoir un sourire mutuel. Un plan dans lequel brillent toute la tendresse partagée et la nostalgie d’un temps révolu.

Les allusions au genre du mélodrame sont multiples dans le film. Pensons au marquage des saisons qui souligne les étapes de vie des protagonistes en parallèle à l’évolution mutuelle de leurs sentiments. À l’emploi du flash-back lors d’un plan de l’épilogue – en noir et blanc – qui représente l’audition que Mia a passée avec succès. Ou encore à la référence à Mirage de la vie (Douglas Sirk, 1959) pour évoquer les difficultés financières éprouvées par Mia et Sebastian pour atteindre leurs rêves.

De même, les difficultés et les obstacles vécus par Mia et Sebastian dans l’accomplissement de leurs rêves respectifs entraînent un sentiment de désillusion. Mia et Sebastian se retrouvent grâce à leur désir de vivre de leur passion artistique. Pour l’une, vivre du cinéma et pour l’autre, vivre du jazz. Ils sont au «  même point de départ  », soit dans une situation critique où la difficulté de (sur)vivre et les doutes sont bien présents.

Cette similitude prend forme au niveau de l’usage de la couleur faite par Chazelle. Notamment lorsqu’une lumière blanche diffuse sur fond noir accompagne Mia ou Sebastian, vêtus de bleu et apparaissant seuls dans le cadre. Symboliquement, ces moments représentent leurs propres moments de gloire. Seulement d’un point de vue plus personnel puisque le noir les «  empêche  » de briller de manière publique. Ils ne brillent que pour les spectateurs, qui sont témoins de leur solitude.

La La Land - Emma Stone
La La Land © SND

Ces instants rendent Mia et Sebastian encore plus mélancoliques et désespérés. L’usage du bleu fait ainsi référence au rêve et à l’inaccessibilité de cet objectif. Dans de nombreux entretiens, Chazelle déclare s’être longuement inspiré des œuvres de Jacques Demy. Aussi, un rapprochement que l’on peut faire entre La La Land et Les Demoiselles de Rochefort (1967) est cette utilisation du bleu, importante pour la dramaturgie. Par ailleurs, le bleu vient contraster avec le rouge dans beaucoup des plans du film. Un contraste qui renforce l’opposition entre le rêve (le bleu) et la passion (le rouge). Demy fait de même dans sa comédie musicale en y confrontant le bleu et le rose – une nuance de rouge.

La structure dramatique est volontairement mise à contribution pour confronter la vie comme un choix. Le film vient heurter avec douceur les spectateurs en leur dévoilant la réalité en face, ce qui peut leur être insoutenable. Un désenchantement pouvant être vécu par un public de jeunes artistes…

Quand la réalité rattrape le rêve

Dans ce monde, à la fois cruel et utopiste, s’entremêlent rêve passionnel et réalité. Deux personnages y éprouvent un amour réciproque. Cet attachement se précise par une danse dans un plan-séquence du numéro «  A Lovely Night  » aux allures fantaisistes. Un amour naissant qui aide à pallier les difficultés d’une réalité amère pour tous ceux qui osent tenter leur chance. Un soutien mutuel se crée entre Mia et Sebastian qui tentent d’accomplir leurs rêves respectifs.

Faut-il alors abandonner ses rêves ou se contenter d’y croire avec force et travail ? Voilà que le réalisateur franco-américain nous expose deux points de vue contradictoires à travers les parcours de Mia et Sebastian. Une réflexion sur le système hollywoodien et le monde du spectacle révélant une vérité violente.

« It’s time to grow up », sorti de la bouche de Sebastian, devenu membre d’un groupe de musique revisitant le jazz pour subvenir à ses besoins. Face à cela, Mia est déterminée à vivre son rêve, au risque de tout perdre. Mais alors que faire ? Notre unique vie mérite d’être vécue avec passion, mais qu’en est-il des efforts passés sans aucun résultat ? « Someone in the crowd » semble être la solution… mais combien de temps doit-on l’attendre ? Une exaspération ressentie par Mia, désespérée et désillusionnée par ce rêve inatteignable. Vaut-il mieux renoncer aux rêves pour laisser place au confort ou se battre pour les accomplir afin de ne jamais avoir de regrets ?

C’est d’ailleurs la mélancolie qui accompagne Sebastian dans la découverte de sa nouvelle vie. C’est elle qui lui fait prendre conscience de l’intérêt de poursuivre son rêve pour ne pas avoir de remords. Peut-on parler de lâcheté, de vouloir un peu de sécurité dans une existence qui n’est pas des plus tendres ?

Néanmoins, vivre, c’est aussi avoir le courage d’affronter les obstacles et faire des sacrifices pour réussir. L’Homme est un être irrationnel qui nécessite de s’attacher à une idée pour exister. Pascal, par sa citation, «  le cœur a ses raisons que la raison ignore  » illustre cette réflexion. Un désir qui vibre et résonne dans tout son être. Une espérance naissante. La motivation de vouloir vivre sa vie avec passion. Un film, à portée universelle, comme témoignage de la vie de ces nombreux artistes prêts à lutter pour atteindre leur idéal. À commencer par Emma Stone ou Ryan Gosling, dont certaines scènes d’audition sont inspirées de leur propre vécu.

La La Land - Emma Stone
La La Land © SND

Cette dualité prenant place dans le film se termine sur une note positive. Celle de dire que, sans discipline et régularité, il n’y a pas de réussite. Dans un monde comme celui des arts, la chance est bien présente mais la volonté est plus forte. Sans démarches, il y a moins de possibilités de percer. L’ellipse indiquée par la mention « Five years later » nous apprend que Mia et Sebastian ont réussi à faire de leur rêve une réalité, après un long travail acharné. Pour autant, leur relation de couple a été sacrifiée.

Cette relation amoureuse les a métamorphosés et influencés. Chromatiquement, Mia porte un vêtement de couleur sombre (une robe noire) tandis que Sebastian revêt un costume marron. De plus, ce changement de couleurs à la fin du film – moment de l’épilogue – marque une certaine maturité atteinte par Mia et Sebastian. Leurs rêves n’ont pas changé mais leur relation s’est adaptée à leurs carrières professionnelles. Les couleurs sont beaucoup plus sombres, comme si elles aussi avaient atteint une maturité.

Une mise en scène en hommage au genre musical

Dès les premiers instants, cette ode à la vie et à l’amour invite, par sa fraîcheur et sa modernité, à redécouvrir un genre cinématographique à l’abandon. Le film est tourné en Cinémascope. Chazelle a pour volonté d’importer des éléments issus des comédies musicales classiques et de les tourner vers quelque chose de plus moderne et nouveau. Cela se traduit d’abord par le format d’image qu’il privilégie en utilisant le scope 35 mm, qui permet de projeter une image plus panoramique. Cet usage dans La La Land permet de récupérer une qualité d’image propre à celle des comédies musicales classiques hollywoodiennes. Tourner en pellicule est aussi intéressant pour une meilleure exposition des couleurs dans le film. Chazelle souhaite faire une comédie musicale la plus réaliste possible qui se base sur une conjonction entre plusieurs genres : la comédie musicale et le mélodrame.

« Dans mon esprit, j’ai cette idée de juxtaposer les comédies musicales généralement perçues comme un genre fantastique et artificiel avec le genre du documentaire, pour ainsi voir comment il m’est possible de combiner les deux afin de créer une comédie musicale réaliste (…) ».

Damien Chazelle dans l’émission Popcorn with Peter Travers (propos traduits)

Le travail du réalisateur franco-américain se différencie aussi de celui des studios hollywoodiens de la période classique. Il joue sur l’artifice tout en tournant dans des décors naturels de Los Angeles. Les films classiques, eux, étaient partiellement tournés en studio, bien qu’il existe certains films tournés partiellement en décors naturels, tel Un Jour à New York (Stanley Donen et Gene Kelly, 1949).

Cette volonté de Chazelle de tourner en décors réels a aussi pour objectif de rendre hommage à cette ville. Selon lui, Los Angeles en fait rêver plus d’un mais peut aussi laisser un sentiment de frustration (d’où le titre du film). A travers ce film, le réalisateur dit vouloir raconter quelque chose sur le présent en prenant en compte le riche passé des comédies musicales. Un parallèle se crée par la présence de couleurs qui contrastent avec le noir et blanc et qui jouent sur la notion du temps.

Véritable film « de coulisses », La La Land emprunte beaucoup de références aux films classiques déjà réalisés. La première référence visible se trouve être Los Angeles, dont le paysage urbain renforce une connaissance sur le cinéma.

La La Land
La La Land © SND

De Chantons sous la pluie (Gene Kelly et Stanley Donen, 1952) à Un Américain à Paris (Vincente Minnelli, 1951) en passant par Les Parapluies de Cherbourg (Jacques Demy, 1964), West Side Story (Robert Wise, 1961), Moulin Rouge ! (Baz Lurhmann, 2001), Les Demoiselles de Rochefort (Jacques Demy, 1967) ou Minuit à Paris (Woody Allen, 2011), Chazelle met en lumière une mise en scène riche et interpelle les cinéphiles sur leurs connaissances cinématographiques. Le monde du cinéma est ainsi représenté par les décors ou les mouvements des acteurs reprenant ceux des films des plus classiques de l’histoire du cinéma.

De plus, La La Land emploie le matte painting, une pratique utilisée par les studios de cinéma, majoritairement à l’époque du cinéma classique. Le matte painting consiste à combiner, dans un même plan large, une scène réelle et son extension réalisée par peinture. L’objectif consiste, généralement, à améliorer les qualités visuelles de l’image finale et à économiser sur les coûts de construction du décor. Dans La La Land, le matte painting est d’ordre paysager et est utilisé de manière symbolique pour représenter divers lieux. Chazelle a ainsi l’intime envie de rendre hommage aux comédies musicales classiques hollywoodiennes et aux films de Jacques Demy, tout en apportant une touche de modernité dans son œuvre.

Dans un réalisme coloré se dessine plusieurs idées. Une réflexion sur la notion de travail et de passion est ainsi délivrée. Un point de vue sur une société et sur un monde se dessine. Une appréhension vécue par deux personnes qui, ne partant de rien, gagnent à tout avoir. «  A phœnix rises from the ashes  ». Un renouveau.

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