Dans Intersectionnalité : une introduction, Sirma Bilge et Patricia Hill Collins présentent des théories et pratiques intersectionnelles, ainsi que leurs différentes applications jusqu’à aujourd’hui.
Comme l’indique son titre, cet ouvrage est une introduction. Il ne faut donc surtout pas s’attendre à lire un essai exhaustif. Au contraire, les autrices ont choisi des exemples peu connus pour dresser un portrait nuancé de cette notion forgée en 1989 par Kimberley Crenshaw. Sirma Bilge et Patricia Hill Collins montrent dans l’essai que l’intersectionnalité a d’abord été une pratique militante consistant à porter la voix de celleux que l’on n’entendait que trop peu – souvent parce que l’on partait du principe que d’autres pouvaient parler à leur place.
Tout part ainsi des revendications des personnes dont l’intérêt n’était pas véritablement et efficacement représenté dans les mouvements en faveur du progrès social.
L’histoire d’une notion
L’intersectionnalité comme approche critique sera adoptée plus tard par les milieux universitaires, afin de décloisonner les champs de recherche, et surtout pour mieux coller à la réalité des personnes victimes de discriminations. Mais c’est dans les années 2000 que les sociologues commencent vraiment à comprendre l’intérêt de cette approche dans l’analyse des inégalités sociales. L’intersectionnalité est ainsi définie par les autrices :
En tant qu’instrument d’analyse, l’intersectionnalité considère que les catégories de race, de classe, de genre, de sexualité, de nationalité, de capacité, d’ethnicité et d’âge – entre autres – sont interdépendantes et façonnées les unes par les autres. L’intersectionnalité est une manière de comprendre et d’expliquer la complexité du monde, des personnes et des expériences humaines.
Intersectionnalité, Silma Bilge et Patricia Hill Collins
L’intersectionnalité est mobilisable dans de nombreuses situations, selon le contexte historique du lieu et du groupe de personnes concernées, ainsi que du mode d’action choisi. Chaque cas montre à quel point cette notion prend à bras le corps la complexité du monde. Un des exemples les plus marquants est celui de l’économiste indien Muhammad Yunus. Il crée en 1976 le microcrédit et la Grameen Bank pour aider les pauvres à sortir du cercle vicieux de l’endettement. Il s’agit alors d’une pratique intersectionnelle non revendiquée : il part de ce qu’il observe autour de lui, du vécu des personnes opprimées, pour créer un mouvement d’ampleur nationale. Yunus finit par se rendre compte que ce sont les femmes (à 97 %) qui bénéficient de cette invention. Il part de la pratique pour aller vers l’analyse – ici, aider les pauvres puis comprendre que ce sont les femmes qui sont les plus touchées par les défaillances du système économique qui maintient les inégalités sociales.
Pour la justice sociale
L’ouvrage permet de comprendre que la boussole de l’intersectionnalité est la quête de justice sociale. En effet, tout en rendant compte de la complexité du monde, elle dénonce les inégalités économiques, le racisme, le sexisme, le validisme, les LGBTQ+phobies. Il s’agit de s’attaquer à la « croyance selon laquelle les inégalités entre gagnant·e·s et perdant·e·s ne sont que l’aboutissement normal de la concurrence sur le marché capitaliste » en démontrant que les rapports de pouvoirs, imbriqués (liés les uns aux autres et opérant souvent de concert les uns avec les autres) « reposent sur des pratiques organisationnelles durables. »
L’ouvrage est clair et accessible. Mais, par moments, on reste sur sa faim. Avec son format d’introduction, Intersectionnalité présente le principal défaut d’être à la fois trop court et trop ambitieux pour un public qui ignorerait tout de ce sujet. Le livre s’avère être plutôt à destination de chercheur·ses que de néophytes.