CINÉMA

(Re)voir – « L’argent de poche » : Histoire juste d’une jeunesse d’hier et d’aujourd’hui

© Hélène Jeanbreau

Aujourd’hui, la rédaction de Maze vous propose de revoir un film aussi culte que fidèle  : L’Argent de poche. Aux commandes de ce, à notre sens, chef d’œuvre  : Truffaut, qui, une nouvelle fois, a su conjuguer la légèreté d’un récit aux sujets graves liés à l’enfance. Retour près de 50 ans en arrière.

Tout juste un an après avoir raconté L’histoire d’Adèle H. (1975), Truffaut prend le temps de conter celle d’enfants, aux parcours et profils bien différents. Du petit nouveau de l’école, Julien Leclou, qui vit dans une bâtisse délabrée et dont la mère est alcoolique et violente, à Sylvie, fille du commissaire, qui ameute tout son immeuble bourgeois après s’être enfermée dans l’appartement. Comme à son habitude, le cinéaste dissimule, à travers des récits d’apparence légers, des enjeux sociétaux qui, en 1976 comme aujourd’hui, durent et perdurent.

Lumière sur la jeunesse

Mais chaque chose en son temps, d’abord, l’histoire. En deux mots  : François Truffaut et Suzanne Schiffmann, sa coscénariste, racontent les aventures, tantôt insignifiantes, tantôt plus dures, des élèves de Monsieur Richet (Jean-François Stévenin), de Madame (appelée «  Mademoiselle  » dans le film, années 70 obligent…) Petit (Chantal Mercier), et de quelques autres enfants de la ville de Thiers, dans le Puy-de-Dôme, puisque c’est ici que ça se passe. Milieu des années 70.

C’est d’eux dont il est question tout au long du film, les adultes en second plan. Truffaut donne du crédit et écoute, avec un intérêt véritable qui se fait ressentir, ses jeunes héros  : leurs questionnements sont légitimes, leurs tracas justifiés. Ce qu’ils vivent est entendu, au même titre que ce que peuvent vivre « les grands ». L’innocence en plus.

«  L’Argent de poche raconte les aventures de quinze enfants, du premier biberon au premier baiser. J’ai tourné L’Argent de poche sans vedettes, car la véritable vedette d’un film sur les enfants, c’est l’enfance elle-même […] Certains des épisodes sont gais, d’autres graves, certains sont de pures fantaisies, d’autres sortent tout droit de cruels faits divers, l’ensemble devant illustrer que l’enfance est souvent en danger mais qu’elle a la grâce et qu’elle a aussi la peau dure  »

François Truffaut, 1976

Le cinéaste aime et respecte les enfants. Les projecteurs sont braqués sur eux le temps d’une heure quarante-quatre. Et ça fait du bien.

© Hélène Jeanbreau

Histoires d’enfance, ni plus ni moins

Les projecteurs, puisqu’on en parle, se laissent aisément oublier. Dans l’Argent de poche, François Truffaut et Suzanne Schiffmann nous racontent la jeunesse avec justesse, sans fioritures. Ils nous montrent une réalité, sans chercher à la rendre plus belle, ni plus triste. Et on nous laisse en faire ce que l’on veut  : les larmes ne sont pas appelées, le pathos à aucun moment convoqué. Quand on découvre combien Julien Leclou est mal traité, Monsieur Richet explique à ses élèves, avec douceur et pédagogie, ce qu’est le droit des enfants, et ce que c’est d’être malheureux. C’est tout. Pas de plans interminables sur le pauvre enfant qui regarde dans le vide. Pas de Ludovico Einaudi en BO pour nous faire pleurer.

Comme dans ses premiers films, Les Mistons et Les Quatre Cents coups, dont l’enfance était déjà le thème, Truffaut refuse la tradition de la «  qualité française  ». Un rôle de figure majeure de la Nouvelle Vague tenu avec brio.

Charles Trenet est à Truffaut ce que Michel Legrand est à Jacques Demy

Une fois encore, François Truffaut convoque la musique de Maurice Jaubert, après L’histoire d’Adèle H. (1975) et avant L’homme qui aimait les femmes (1977) et La chambre verte (1978). Mais surtout, Charles Trenet nous berce, de manière récurrente avec « Les Enfants s’ennuient le dimanche ». Des paroles qui, à leur écoute ensuite, auront une saveur de Madeleine de Proust. Et qui, près de 50 ans plus tard, nous remémoreront les images de ces jeunes intrépides et pleins de vie. Un peu comme lorsque l’on entend la chanson des sœurs jumelles (Michel Legrand)  : aux premières notes de trompette, les images des Demoiselles de Rochefort (Jacques Demy, 1967) nous viennent. Nostalgie.

Cinéma d’hier et d’aujourd’hui

Dire que l’aujourd’hui est un retour vers le passé est « comptoiresque » (néologisme signé Maze), mais quand cela s’avère, pourquoi ne pas le souligner. L’Argent de poche appelle des problématiques sociales toujours très actuelles. Des tenues que l’on pourrait plaquer aux acteur·rice·s contemporain·e·s. Et des histoires d’enfants d’hier, vécues par les enfants d’aujourd’hui.

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