C’est aux coeurs de multiples nuits agitées, dans l’Hossegor où il a trouvé la sérénité, que Clément Froissart tisse minutieusement sa toile musicale. Il pianote avidement, et encapsule le temps.
En 2010, Clément Froissart fonde Concorde aux côtés de Max Zippel au chant et au synthétiseur, Roger Zippel à la basse, et Louis Delorme à la batterie. Le quatuor nous laisse le souvenir d’une pop habile oscillant sans cesse entre mélancolie légère et euphories passagères. Il quitte la faune parisienne en 2014 pour s’enraciner dans les Landes, puis à Hossegor, près de l’Océan où il entame son projet solo. À commencer par« Dreamers », single cristallisant l’effervescence de l’adolescence, suivi de « Peupleraie », véritable hymne à l’absence. Sur son premier EP Amour Armure sorti en 2019, Clément Froissart ouvre les portes d’un monde âpre et déchirant, mais terriblement juste. Porté par un imaginaire cinématographique abondant, il porte en lui ce déplacement de la capitale à l’océan, de la sophistication à la simplicité, du bruit vers le calme.
Son album Nuits Agitées se raconte de manière ambivalente. Cristallisation d’une multitude de pensées nocturnes, légèreté d’un côté – un lâcher-prise autour de l’amitié et de l’amour, une cure de jouvence dans la lignée de son premier EP – intensité de l’autre, Froissart chante une vie d’adulte précoce et raconte l’intimité, la paternité à la sortie de l’adolescence.
Peux-tu me parler globalement de ton dernier album Nuits Agitées ? Pourquoi avoir choisi ce titre ?
Tu as vu, l’album est au pluriel, et le titre éponyme « Nuit agitée » est au singulier. Le morceau raconte un moment où ça ne va plus dans le couple, où tu cogites à fond, tu vas te coucher, tu continues d’y penser, et c’est l’enfer. Tu es couché à côté de la personne que tu es encore censé aimer, tu dors mal, et tu remues tous les derniers jours, les derniers mois de ta relation. C’est vraiment la nuit agitée de la rupture qui s’annonce, qui se couple à un sentiment très particulier. Par contre les nuits agitées de l’album sont plus positives, parce qu’une nuit agitée peut être une nuit d’amour, de teuf, avec des copains, de réflexions…
J’écris beaucoup pendant la nuit, c’est à ce moment-là que les idées me viennent. Souvent, à 3h du matin, je suis sur mon piano et j’écris. L’album dépeint aussi les nuits agitées de composition musicale. Il y a un vrai contraste entre le titre du morceau qui est sur un moment presque triste de ma vie mais qui amène de nouvelles choses positives, et ces nuits agitées qui sont pleines de joie. L’album, c’est un panache de nuits agitées.
Comment tu te sens depuis la sortie de l’album, le 10 mars dernier ?
J’ai l’impression d’avoir accouché (rires), sauf que c’est un gros bébé, parce que je sors pas souvent d’album, et que celui-ci a mis 4 ans à arriver ! Il y a eu les deux ans du covid qui ont un peu ralenti le processus. J’avais presque toutes les chansons, mais je voulais accorder ce temps en plus pour peaufiner, faire mûrir certaines nouvelles idées.
Tes textes sont toujours très forts, comment tu les composes ? Est-ce que tes textes viennent avant ta musique ?
Ils viennent après. J’ai un drôle de process en fait. Avec mon ancien groupe, Concorde, quand on composait, il y avait pas mal de choses qui sortaient en anglais et ça m’est resté. Aujourd’hui je passe encore par l’anglais quand je cherche des mélodies. C’est comme ça que je trouve mes toplines, mes lignes de chant, même si ensuite je n’écris pas les paroles en anglais. Une fois que j’ai ma topline, j’essaye de trouver la sonorité qui correspond en français.
C’est presque un processus à base d’onomatopées, parce que c’est pas si évident de rendre le français chantant et correct. Gainsbourg était le meilleur pour ça. Donc j’essaye de trouver les assonances de l’anglais au français, et c’est comme ça que j’ai la première idée du texte, par un jeu de mots et de rythmes. Et ensuite j’écris sérieusement, je gratte je gratte, puis j’enregistre directement après. En parallèle j’ai beaucoup d’images, de films, plein de choses en mouvement qui m’accompagnent dans mon processus d’écriture.
Ta musique est en effet très imagée. Quel est ton rapport à l’image ?
J’ai fait des études de photographie, donc c’est quelque chose de très important pour moi. J’y ai rencontré mon super pote Max, qui a aussi fait partie de Concorde par la suite. Au final on a fait de la musique, pas de la photo, mais l’image m’a toujours accompagné. D’ailleurs, j’ai jamais parlé de cette histoire alors que c’est hyper important, mais quand j’étais au lycée, en terminale je crois, je bossais dans un vidéo club la nuit. Je me bouffais des films comme un fou, et je me suis fait ma culture ciné dans ces années-là. Je m’y suis pris d’amour pour David Lynch, pour Jim Jarmusch, pour Wes Anderson, Wim Wenders…
J’ai une passion folle pour Blue Velvet, j’ai dû le voir 200 fois je pense, il me rendait fou. Je l’ai regardé avec ma fille il y a peu de temps d’ailleurs, elle a pas kiffé du tout (rires). Ce que je trouve génial avec Lynch, c’est que la musique est omniprésente. Tu peux pas matter un film de Lynch sans Angelo Badalamenti. Et je pense que ça m’a complètement frappé. La manière dont j’écris, la pesanteur, le coté vaporeux, planant, est très lié à David Lynch.
Pour ton single « Peupleraie » tu as utilisé un Six Trak (clavier numérique). Est-ce que tu l’utilises encore ?
Ouais toujours ! C’est mon fétiche, mon amulette. Le six track est un peu arrivé dans ma vie comme une meuf (rires). Il m’accompagne vraiment dans la création de cet imaginaire très imagé dont on parlait à l’instant.
Tu as beaucoup travaillé avec Pilooski, qu’est-ce qui vous a poussé à autant bosser ensemble ?
C’est la famille on était beaux-frères avant que je ne divorce. C’est aussi un ami. On a été amené à bosser ensemble pour pas mal de projets, comme pour une pub Hermès. On se voyait pour travailler sur ces projets, et ensuite on continuait à expérimenter d’autres choses. Pilooski a amené un truc un peu fou dans mon processus. Avant, avec Concorde, on était quatre cerveaux, il y en avait toujours un plus fou que l’autre. Moi je suis très taiseux, hyper maniaque, c’est un enfer. Et si tu ne me sors pas un peu de mes carcans, je sors pas de couplet-refrain-couplet-refrain-pont-refrain. J’ai pas du tout cette culture DJ-ing que Piloo a amené, qui explose des limites, qui cherche dans des sons bizarres.. Il m’a pas mal influencé dans ce sens-là.
Quelle place ont les Landes, où tu as longtemps vécu, et les Pyrénées-Atlantiques, où tu vis aujourd’hui, dans ta musique ?
C’est un contre impact, grâce à des influences parisiennes. Même si parfois c’est génial d’avoir cette émulsion artistique et créative, je crois que pour écrire j’ai besoin d’être isolé. J’ai un peu l’impression d’être une éponge, donc j’essaye de faire en sorte que l’éponge soit le plus essorée possible, en permanence. S’éloigner pour ne plus entendre les échos des autres projets en permanence pour être plus sincère en me retrouvant face à moi-même.
Tes précédents projets étaient très mélancoliques, Nuits Agitées l’est aussi beaucoup. Pourquoi c’est cette émotion, cet état d’esprit qui ressort de manière continue ?
J’adore la mélancolie. C’est la joie d’être triste, et écouter Radiohead, Nick Cave, tous ces artistes un peu sombres, m’émeut beaucoup. J’adore être triste parce que ça me rend heureux, c’est l’état émotionnel dans lequel je me sens bien. J’ai du mal à faire des chansons gaies, c’est pas mon truc.
J’imagine que la saudade, cet état d’esprit qui décrit un sentiment de délicieuse nostalgie, un désir d’ailleurs qui s’exprime dans le fado et la morna en portugais, te parle ?
Oui ! C’est complètement ça. Quand tu entends du fado au Portugal, tu danses, et t’es trop bien. Complètement envahi par quelque chose qui vient du ventre. Tu es pris par cette nostalgie, cette tristesse, mais en même temps tu vas bien, tu te sens bien. Si on devait comparer ça à un alcool, ce serait du rhum, pas un whisky avec lequel tu t’enterres.
Ton premier concert suite à la sortie de ton album aura lieu le 17 avril prochain à La Maroquinerie. Comment tu le sens ?
J’adore, j’ai hâte. J’adore faire de la musique sur scène, c’est aussi pour ça que j’ai pas sorti l’album pendant le covid. Pour qu’il ait une vie live.
Je sais pas pourquoi je fais de la musique en vrai. C’est arrivé dans ma vie quoi. J’ai commencé à 5 ans avec mon père, j’ai fait de la flûte traversière au conservatoire pendant 10 ans… Puis au collège, je devais avoir 11 ou 12 ans, premier groupe de rock, on jouait du Nirvana. J’ai su super vite que je voulais être musicien, même si j’avais aussi la photo en tête. Mais ça a toujours été quelque chose de très clair, que ça devait faire partie de ma vie. C’est mon langage. Quand je suis au studio, tout est naturel.
Sur « Anne Solo », le neuvième morceau de l’album, tu as rebossé avec Concorde. C’était comment ?
C’était hyper cool ! Marrant aussi, parce qu’à la base on se revoyait pour faire un truc pour Concorde et qu’au final on a fait un truc pour moi ! Ce n’était pas vraiment le moment pour faire de vraies retrouvailles avec Concorde en tant que groupe, c’était plus une parenthèse. Mais c’était chouette, ils sont venus pendant deux jours à la maison, on a tenté plein de trucs, et finalement je me suis beaucoup projeté dans une idée pour moi. D’autant plus que quand tu fais ton projet en solo tu gagnes en lead, donc ça faisait sens que les choses évoluent comme ça.
Quels sont les artistes qui t’accompagnent ?
J’adore Bertrand Belin, Malik Djoudi aussi, d’ailleurs c’est un copain, on a collaboré ensemble sur « Se Mentir », le quatrième titre de l’album. En fait c’était une chanson écrite en anglais, mais trop écrite en anglais. J’avais passé le step du yaourt, et impossible d’écrire en français ensuite, j’étais bloqué. Donc j’ai demandé à Malik de faire un truc, et il m’a sorti un super texte. Flavien Berger, j’aime beaucoup aussi. Après, les artistes qui m’accompagnent vraiment sont beaucoup plus anciens. Par exemple, il y a Andrea Laszlo de Simone, de qui je suis complètement fan, DCG Brothers… Puis toujours les Beatles et Bowie quoi.
Clément Froissart sera en concert à La Maroquinerie (Paris, 20ème) le 17 avril prochain.