MUSIQUEMusique en bref

MUSIQUE EN BREF – Réflexions florales

MEB
Crédits Guillaume Lacoste

Toutes les deux semaines, les rédacteur·ices de Maze vous proposent un tour d’horizon des albums et EP qui ont fait l’actualité musicale.

Jason Glasser – Pelican

Il aura fallu 20 ans à Jason Glasser pour enregistrer son premier album. Pelican, surnom que lui donne Alexandre Courtès (co-réalisateur du clip de « Seven Nation Army » des White Stripes), ami de l’artiste, pour sûrement évoquer la grandeur d’un tel animal et de sa gloutonnerie. Car oui, Jason n’est pas seulement musicien, il est aussi artiste peintre, sculpteur et vidéaste. Jamais rassasié, Glasser décide donc, après une dizaine d’année à composer ces douze titres apaisants et délicats, de les enregistrer aux côtés d’Étienne de Crécy et Jérôme Lorichon.

Accompagné d’un violoncelle, tel un Arthur Russel avec une similarité parfois jouissive, l’artiste touche-à-tout nous berce dans les méandres de sa vie parisienne et artistique saupoudrés d’amour éperdu pour sa femme, pour qui il quitta les États-Unis afin de la rejoindre à Paris. « Bouncing », le titre sublime et épuré « Face » ou encore « Mi Oh My », où madame Glasser chantonne, vous feront chavirer par la pureté des déclarations éprises et affectueuses envers sa moitié. Puis l’ami américain nous emmène à travers les courbes sonores road-tripiennes de cet effort où les chansons, comme le porte-bonheur « Good Luck » et le bluesy « Hunters Heart » au solo de guitare félin, rayonnent.

Jason Glasser nous présente ici un album pur, immaculé, fragile et simple. Il flirte avec le jazz, la folk, la pop ou encore le blues pour un résultat époustouflant et sans prétention. L’artiste voulait avec ce premier manifeste « apaiser les gens ». Mission accomplie.

Sortie le 24 février 2023.

Coups de cœur : Tout l’album

Thomas Soulet

Adi Oasis – Lotus Glow

Attention, voici l’un des meilleurs albums de l’année. Groove sexy, riffs de basse endiablés, voix soul enivrante et 14 titres respirant la funk et la soul, voilà ce que Adi Oasis nous délivre avec son nouvel opus Lotus Glow. L’artiste franco-caribéenne provoque un tsunami de bon goût, où l’élément principal n’est rien d’autre que son instrument de prédilection : la basse. En soutien à sa voix aiguë et mélodieuse, la basse d’Adeline nous fait voyager dans les influences funk, R’n’B et soul de l’artiste.

Installée à Brooklyn où elle a fait ses armes, la musicienne nous délivre un album non seulement jouissif mais aussi très politique et militant. Étant une femme noire et immigrante, Adi se fait entendre à travers des chansons telles que « Multiply » ou « Serena » et ses « ouh lalala » à la Fugees et hommage à Serena Williams, deux titres passionnants sur le pouvoir des femmes. Mais elle milite aussi contre les violences aux États-Unis, comme sur le lancinant « Marigold » en featuring avec le chanteur J. Hoard et la bombe funky « Dumpalltheguns ».

Puis, l’album a sa part de sensualité, et nous rappelle à quel point le charme d’Adi Oasis est présent – nous ne pouvons que fondre de désir sur les titres torrides « Naked » ou encore « U Make Me Want It ». Lotus Glow est un album intime de l’artiste qui se livre entièrement à nous, en faisant par exemple référence à ses racines caribéennes avec les sublimes titres « The Water » et « Sidonie », dédicace affectueuse à sa grand-mère. Un recueil passionnant, engagé, tropical et séducteur à écouter sans modération.

Sortie le 3 mars 2023.

Coups cœur : Tout l’album

Thomas Soulet

Rue Lamartine – Éveil (EP)

Les mots fusent dans ce premier EP réussi du collectif Rue Lamartine. Composé de Neken, LAIM, Lombresombre, Sacha et VestigeLF au micro, ainsi que Lunaps à la prod, Éveil éclot en plein hiver afin de délivrer leurs émotions face à la vie de tous les jours. Rêver d’une vie meilleure ? C’est la grande question que se pose le gang de rappeurs sur « Horizon », en featuring avec la voix grave de Amoakajack. La production légère nous amène à nous poser ces questions sur notre futur et les choix qui en découlent. Le questionnement constant amène souvent à l’étouffement et c’est sur le morceau « Sortie » que Neken et LAIM crachent leur venin. Puis le crew calme le jeu et détend les nerfs sur « Wonderful », avec le refrain entêtant et souple de Lombresombre.

Mais le coup de cœur de cet EP est pour le puissant « Melomane », où la famille Rue Lamartine est atteinte de la maladie du rap et met en prose comment y survivre. Introspection permanente dans ce premier EP du collectif, qui avec l’ultime titre « Progession », où Vestige fustige à coup de mots son couplet enflammé, nous délivre leurs envies futures à travers ce premier projet accompli.

Sortie le 20 février 2023.

Coups de cœur : Horizon, Melomane, Progression

Thomas Soulet

Gorillaz – Cracker Island

Un des albums les plus attendus de l’année, le huitième du groupe virtuel Gorillaz est enfin là ! Avec la lourde tâche de concurrencer ceux de Boygenius, Lana Del Rey ou Shame sur le podium 2023, que vaut ce nouvel album de Gorillaz ? Sur Cracker Island, le génie derrière Gorillaz qu’est Damon Albarn, délaisse les influences R’n’B et rap qui prévalaient sur Humanz et Song Machine Season One pour creuser le sillon de la pop moderne. L’album est très bien pensé, les chansons s’enchaînent mais il apparaît peu à peu que les tubes qu’on écoutera toute l’année, les excellents titres, sont ceux déjà sortis en single. Le groovy « Cracker Island » (et sa ligne de basse dévastatrice), l’inimitable « New Gold » avec Kevin Parker de Tame Impala ou l’unique « Silent Running » sortent du lot, quand « The Tired Influencer » et « Tarantula » sont vite oubliés.

Côté collaboration, en accueillant Bad Bunny, Damon Albarn reconnaît (à l’inverse des Grammy) le statut de superstar visionnaire qu’est celui du chanteur portoricain. Sur « Tormenta », la chanson qui les réunit, les deux univers se mélangent parfaitement mais sans grande prise de risque. De même pour le titre « Possession » avec le chanteur Beck. Damon et le britannique ont collaboré à de multiples reprises mais sur ce titre, ils restent dans leur zone de confort malgré un titre emballant.

En conclusion, pas de grande surprise. L’album reste très bon mais ne se hissera pas dans le top des disques de Gorillaz ; alors que Demon Days avait ouvert l’ère Gorillaz en 2005, Plastic Beach a ancré le son du groupe cinq ans plus tard. En 2023, Cracker Island a le mérite de rappeler que Damon Albarn est toujours à la page.

Sortie le 24 février 2023.

Coups de cœur : Silent Running, Baby Queen, New Gold

Basile Hervé

Channel Tres – Real Cultural Shit

Porté par le tube « Topdown » sorti en 2018, Channel Tres s’est peu à peu diversifié. Initialement rappeur, le Californien est désormais chanteur et producteur, pour lui, mais également pour les autres. Après avoir collaboré avec Mura Masa, Polo & Pan ou SG Lewis, l’artiste livre en ce début d’année Real Cultural Shit, un court EP diablement inventif. Mélangeant techno, funk et R’n’B, Channel Tres pioche dans diverses influences pour inventer une musique terriblement accrocheuse et dansante.

Le maître mot est le groove. Qu’il soit lent et saccadé ou rapide et électronique, le groove guide les productions de Channel Tres tour à tour inspirées par la techno de Détroit, la G-funk et le rap de la côte ouest. Entouré de danseurs, l’artiste est sur scène comme à Los Angeles : chez lui. Déjà passé en France à l’occasion de Rock en Seine l’année dernière, il sera à We Love Green en juin prochain et au Trabendo le 19 mars. Deux occasions qu’on ne peut manquer sous aucun prétexte.

Sorti le 24 février 2023.

Coups de cœur : Sleep When Dead, 6am, Just Can’t Get Enough

Basile Hervé

En Attendant Ana – Principia

En Attendant Ana déploie ses ailes. Ils sont pourtant loin d’être des perdreaux de l’année, mais ce Principia (début, en espagnol) sonne comme un troisième opus ample, à la recherche d’une certaine complexité, poussée par une exigence certaine. Pour arriver à cette épaisseur, le quintet parisien a plusieurs cordes à son arc. D’abord une basse enivrante, celle de Vincent Hivert qui fut l’ingénieur du son du groupe, qui prend de la place et mène souvent la danse sans pour autant déborder ni abaisser une guitare toujours précise – « Same Old Story » en étant le meilleur exemple.

Puis la voix de Margaux Bouchaudon, autrice et principale compositrice du groupe, guide parfaite au sein de ces dix titres (on est enchanté par les vocalises de « Wonder »). Une grande chanteuse, au même titre que les voix indie qui l’influencent sans doute depuis longtemps. Et puis il y a cette nouvelle place, plus large, accordée aux cuivres de Camille Fréchou, trompette et saxo pour déclencher l’émotion toujours juste. Si on veut chercher la petite bête, on dira qu’il manque à ce disque une touche de folie, une explosion à la Black Country, New Road. Peut-être en concert ou sur le prochain disque ? On a en tout cas hâte d’exploser en leur compagnie.

Sortie le 24 février 2023.

Coups de cœur : Wonder et Ada, Mary, Diane

Kevin Dufrêche

Philip Selway – Strange Dance

Nous ne sommes pas près d’avoir un nouvel album de Radiohead, mais au moins les membres du groupe nous tiennent en haleine avec leurs projets parallèles. Après la naissance en 2019 d’EOB, le projet solo du guitariste Ed O’Brien, et les débuts en 2022 de l’excellent projet The Smile, réunissant le chanteur Thom Yorke et le guitariste Johnny Greenwood, c’est au tour de Phil Selway, le batteur du groupe britannique, de présenter son quatrième opus solo.

L’atmosphère planante et les superpositions de couches d’instruments ne nous y trompent pas, nous sommes bien dans l’univers musical de Radiohead, groupe connu et reconnu pour avoir expérimenté dans à peu près toutes les directions ces vingt dernières années. Les cuivres répondent aux cordes, sous lesquelles se glisse la voix de Phil Selway, que peu connaissent chanteur. Malheureusement, tout cela peut rendre le projet trop complexe à appréhender. Au milieu de ce qui ressemble parfois à un marécage musical, le disque manque fatalement un peu d’âme et d’incarnation, la voix de Phil Selway ne lui permettant pas de mettre tout le monde d’accord sur la direction que prend son travail. Philip Selway sera en concert à Paris, au Café de la Danse, le 5 mai prochain.

Sortie le 24 février 2023.

Coups de cœur : Picking Up Pieces

Kevin Dufrêche

Caroline Polachek – Desire, I Want To Turn Into You

Quatre ans après son dernier album solo, Pang, et des collaborations peu négligeables (elle figurait en 2022 sur le CRASH de Charli XCX), la chanteuse originaire de Manhattan nous invite à « la rejoindre sur son île ». C’est l’ouverture de son entêtant album Desire, I Want To Turn Into You, qui sonne comme un mélange réussi de tout ce qui se passe sur la scène pop depuis quelques années.

Caroline Polachek nous offre – le jour de la Saint-Valentin – un album aux sonorités léchées, chansons d’amour et de séduction, qu’on a envie tour à tour d’écouter basses à fond, puis tout doucement. L’album s’écoute sans difficulté d’une traite et laisse le sentiment que l’artiste s’est vraiment éclatée sur le projet. On retrouve d’ailleurs les sons de cloches de « Blood and Butter » dans « I Fly To You ». Le déchirant « I Believe » est dédié à la regrettée productrice SOPHIE, et quant à « Sunset », il donne envie de tout abandonner à l’Amour, le vrai. Caroline Polachek n’est pas la pop-star la plus médiatisée de cette décennie, et c’est bien dommage.

Sortie le 14 février 2023.

Coups de cœur : Sunset, Billions, Bunny is A Rider, Blood and Butter, Crude Drawing of An Angel

Camille Gho

Ottis Cœur – Léon (EP)

Deux ans après leur premier EP Juste derrière toi, le duo rock Ottis Cœur, composé de Margaux et Camille, est de retour avec Léon. Six nouvelles chansons dans lesquelles elles ne mâchent ni leurs mots, ni leurs instruments. Le combo guitare / basse / batterie vient appuyer leurs deux voix mêlées et consolider des paroles cash et indéniablement féministes. Sur ces rythmiques entraînantes, elles allient parfaitement douceur et colère et les deux femmes s’émancipent puissamment.

Si « Labrador » aborde la dépendance qu’on ne veut plus et la fin d’un schéma, « Jamais je ne viens », comme son titre l’indique, évoque malicieusement la jouissance féminine ou plutôt ici la non-jouissance face à l’égoïsme sexuel masculin. Quant aux relous des soirées, ils sont invités à déguerpir dans « Laisse-moi ». D’un morceau à l’autre, les filles d’Ottis Cœur s’imposent à la place qui est la leur. Et vive la sororité !

Sortie le 17 février 2023.

Coups de cœur : Jamais je ne viens, Léon, Laisse-moi

Diane Lestage

Miossec – Simplifier

Simplifier, voilà un album qui porte bien son nom. Simplifier jusqu’aux traits du dessin sur la pochette blanche, esquissant simplement les yeux du chanteur brestois. Après avoir fêté les 25 ans de son premier album, Boire, avec une tournée pendant laquelle il a écrit son douzième opus, Miossec revient à l’essentiel, à l’essence épurée de ses débuts.

Même s’il nous rappelle dans le dernier titre, « L’adolescence », qu’elle « est toujours là, même quand on l’a planquée tout au fond de soi », l’artiste-poète fait le point et rend hommage à ses « Disparus », à l’ami et patron du Vauban (salle brestoise), « Je m’appelle Charles », ou aux femmes qui ont compté dans l’électrique « Mes voitures ». Éternel amoureux, Miossec continue d’explorer les sentiments dès l’ouverture avec le sublime « Tout est bleu ». Conteur d’histoire, l’artiste s’est penché sur celle de Gérald Thomassin, fait-divers de ce jeune comédien « Meilleur espoir masculin » drogué, assassin et aujourd’hui disparu. Pour arranger et mixer en toute simplicité cet album, il s’est entouré d’Alexis Delong du groupe Inuït. Et comme pour les onze albums précédents, c’est sublime.

Sortie le 17 février 2023.

Coups de cœur : Tout est bleu, Meilleur jeune espoir masculin, Mes disparus, L’adolescence

Diane Lestage

Martin Luminet – Deuil(s)

Après l’urgent et nerveux EP Monstre sorti en 2021, Martin Luminet a sorti son premier – et attendu – album, Deuil(s). L’urgence toujours présente, ce premier opus qui devait à l’origine sonder collectivement notre époque s’est vu métamorphosé par les choses de la vie : le deuil amoureux de la rupture inévitable renvoie au deuil de l’être cher, ici, le grand-père de l’artiste. C’est donc sous ce prisme de l’intimité viscérale, d’un désir d’être sincère avec soi et les autres que la poésie brute du chanteur s’exprime.

Dans ces onze titres dont chaque morceau se raconte en un seul mot évocateur, Martin Luminet regarde avec lucidité ses failles dans le miroir avant de nous le tendre : qu’est-ce que c’est être un « Garçon » ? Comment être soi, quand on est pris au « Piège » ? Comment aborder ses « Deuil »(s) ? Pour autant, il n’épargne pas la société contemporaine à travers « Époque », « Monde » ou « Silence ». La musique fiévreuse et organique, travaillée avec son acolyte Benjamin Geffen, vient donner corps et accompagner chaque texte, à sa manière, faisant de chaque chanson une entité inclassable jusqu’au sublime et épuré « Baudemont », arrachant une larme au coin de l’œil.

Sortie le 17 février 2023.

Coups de cœur : Baudemont, Piège, Garçon

Diane Lestage

Voyou – Les Royaumes minuscules

En 2019, Voyou sortait son premier album, Les Bruits de la ville. Après un mini-album instrumental, Chroniques terrestres Vol.1, l’artiste continue d’explorer sa singularité musicale avec un second album tourné cette fois plutôt vers les bruits de la nature. Les Royaumes minuscules, une intro et dix chansons comme des petits courts métrages où sous le soleil comme l’hiver, les humains côtoient des animaux et végétaux en tout genre tandis que percussions, guitares et cuivres malicieux cohabitent en parfaite harmonie. Voyou prend de la hauteur pour sonder nos angoisses (« La nuit le jour »), nos dépressions (« L’hiver »), nos déceptions amoureuses (« Deux oiseaux », « Les Insectes »). Mais c’est toujours avec un regard musical doux et joyeux qu’il nous communique ces minuscules moments de vie contemplatifs.

Sortie le 24 février 2023.

Coups de cœur : Deux oiseaux, Soleil Soleil, La nuit le jour

Diane Lestage

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