Pour sa livraison annuelle sortie le 8 mars dernier, François Ozon adapte une comédie de boulevard de Georges Berr et Louis Verneuil, Mon crime. Retour sur une sortie controversée.
Madeleine Verdier, jeune actrice sans le sou, invente avec l’aide de son amie avocate Pauline Mauléon, un crime qu’elle n’a pas commis : l’assassinat du producteur Montferrand. Voilà l’argument de la nouvelle comédie de François Ozon, quelques mois après Peter Von Kant. Le parallèle avec le mouvement #Metoo n’aura échappé à personne. Comment le cinéaste injecte-t-il ces éléments du contemporain dans un vaudeville presque centenaire ?
Un regard cynique
Une jeune femme prétend avoir assassiné en légitime défense un homme qui a tenté de la violer. La revendication, par Madeleine, de son droit à se défendre du viol et de l’oppression patriarcale ne déclenche pas seulement les vivats et l’assentiment du tribunal, qui l’acquitte, mais lui apporte aussi le succès professionnel et une immense popularité. Le film ne documente que ça, l’ascension fulgurante et stratégique des héroïnes. Ascension permise par ce qui est clairement présenté dans le film comme un féminisme roublard. Curieux jeu avec le réel, puisqu’on sait l’opinion publique nettement moins unanime sur ces questions-là. On sait aussi le sort réservé à celles qui parlent ou se défendent, rarement aussi lumineux.
C’est par ailleurs un curieux positionnement idéologique de la part de François Ozon. Car Mon Crime évide le féminisme revendiqué par ses personnages de toute possible sincérité. Leur défense des droits des femmes et leur lutte contre le patriarcat n’apparaît que comme une opération de communication fructueuse. Le film montre effectivement, avec assez de justesse, une solidarité masculine, bourgeoise, rance et nauséabonde, notamment dans la complicité qu’on devine entre le juge Daniel Prévost et le procureur Michel Fau. Mais il montre aussi une sororité vue comme opportuniste, vénale et malhonnête. À ce titre, la dernière réplique, prononcée par Isabelle Huppert, ne peut être entendue que comme particulièrement goguenarde : « Dans ce monde injuste d’hommes puissants et cruels, il n’y a de consolation plus réconfortante que celle dans les bras d’une sœur ».
Ozon peut prétendre en interview vouloir faire un film féministe, ce qui apparait concrètement à l’image reste, pour le moins, plutôt ambivalent. Une séquence montrant Madeleine interprétant une Marie-Antoinette sur l’échafaud crée de douteux parallèles entre la position de victime et celle de comédienne.
Un crime bourgeois
À côté d’une vision cynique des luttes féministes, Mon Crime témoigne également d’un puissant imaginaire bourgeois. D’un point de vue narratif, le seul horizon des héroïnes étant l’ascension sociale dans les coordonnées de la classe dominante. Elles aspirent tour à tour à habiter un hôtel particulier, épouser le fils d’un industriel, travailler chez Pathé – par ailleurs producteur du film.
Cet imaginaire s’exprime également d’un point de vue esthétique. Il sera décrété à de nombreuses reprises que Madeleine et Pauline sont miséreuses au début. Cette misère n’apparaîtra jamais à l’écran. Les deux femmes sont toujours parfaitement habillées et apprêtées. Elles parcourent de longues distances dans leur « chambre de bonne », qui donne accès à un toit avec vue sur la tour Eiffel, digne d’Emily in Paris. Ozon nettoie son cadre de toute âpreté, de toute possible saleté, de toute zone d’ombre également. Comme avec un authentique décor de pièce de boulevard, on peine à croire que de réels personnages habitent ces intérieurs et ces images javellisées.
Ce vaudeville est composé essentiellement de plans moyens, avec une faible profondeur de champ, floutant les arrière-plans. Ce qui compte ici est de regarder la performance des acteur·ice·s, allant du léger décalage à l’intense cabotinage, dans la tradition des boulevards. De temps à autre, les longues séquences de dialogues explicatifs seront interrompues par un plan d’extérieur, souvent dans la rue, exhibant les reconstitutions réalisées avec l’argent de la Gaumont. Là encore, très irréelle, on croit difficilement à la chair de ce Paris numérique.