CINÉMA

« Houria » – La révolte par le corps

Houria, Mounia Meddour - 2023 - HIGH SEA PRODUCTION - THE INK CONNECTION

Le dernier film de Mounia Meddour sortait en salle ce mercredi 15 mars. Après le succès de Papicha, la réalisatrice nous raconte l’histoire de Houria, une danseuse d’Alger. Retour sur le parcours d’une femme résiliente dans une Algérie qui ne cesse de frapper où ça fait mal.

Houria est une jeune danseuse algérienne. Avec son amie Sonia, elle alterne entre les répétitions du Lac des cygnes et son travail de femme de ménage. Pour joindre les deux bouts, elle se rend tous les soirs aux paris clandestins de combats de béliers. Un soir, elle est physiquement agressée dans la rue. Sa danse, et sa voix aussi, lui sont alors arrachées, muselées par le traumatisme. Houria doit se reconstruire, se relever. Elle rencontre un groupe de femmes dans son centre de rééducation, toutes aussi abimées qu’elle, qui lui redonneront l’envie de danser. Mounia Meddour expose violemment la rage de vouloir s’exprimer, d’être entendue, dans une atmosphère opaque à la parole des femmes. Comme seule issue, l’instinct de se révolter par le corps, parler tout bas et danser très fort.

Un corps battu

Houria retire ses ballerines sur le toit de sa maison, les orteils enflés. Son ongle s’arrache en enlevant ses pansements. Son corps est meurtri par la danse. La caméra de Mounia Meddour est très proche. Image et son ne masquent et n’adoucissent rien. Au contraire, ceux-ci dénoncent avec ingéniosité un environnement qui la frappe de tous côtés. On entend le linge qui sèche au vent et le martèlement des chaussons d’Houria contre le béton brut. L’environnement nous paraît au premier abord non malléable. Par la suite, ses plaies s’avèrent être infligées par la brute, la bête humaine, surprise un homme. Finalement, celles-ci deviennent l’allégorie d’un problème plus grand : celui du toujours inégal rapport de force entre hommes et femmes au sein d’une société patriarcale.

Après son agression, Houria devient doublement muette : physiquement et juridiquement. Lorsqu’elle se rend avec sa mère à la préfecture de police, elle est si peu considérée que cela en devient presque froidement amusant. La policière converse brièvement avec la mère d’Houria, mais il n’y a plus de papier dans l’imprimante. Alors il faudra revenir, pour entendre parler des envies des deux collègues sur leur repas du midi.

Houria ne cesse d’être battue, frappée, brutalement poussée en bas d’un escalier et malmenée par les policiers. Son mutisme n’est pas anodin : il révèle, au-delà de son traumatisme, une Algérie qui peine à entendre la voix des femmes. Le montage du début du film entrecroise les répétitions de danse avec les heures de nettoyage des chambres d’hôtel et l’argent sale des paris cachés dans les souliers. Un montage parallèle qui témoigne, dans l’organicité même du film, comment les difficultés financières viennent entacher, salir Houria.

Le motif du lavement intervient d’ailleurs dans la suite du film. Houria ne cesse de se laver de cette boue algérienne, qui pourtant semble lui rester collée aux pieds. Ce pays dont la situation économique pousse à partir, à prendre des risques, à quitter le large clandestinement. Puis devenir ces corps ramassés sur les berges, de ceux qui n’ont jamais pu fuir. C’est notamment le sort que l’Algérie réserve à sa meilleure amie, Sonia. A nouveau le corps des femmes est frappé, condamné dans un pays qui n’offre pas l’opportunité de la sécurité et encore moins celle de la liberté.

Mais un corps qui ne cesse de se battre

Pourtant Houria ne se résout pas à la muselière de la justice. Elle lutte, sans rien dire elle lutte pour retaper son corps, pour faire le deuil des morts. Et cette lutte est poignante par sa primitivité. Houria se regarde dans le miroir après son agression, constatant qu’elle ne parle plus, qu’elle ne danse plus. Alors elle rampe vers la fenêtre pour sentir la pluie sur son visage. Comme instinct primitif de se laver de la crasse, de la violence émotionnelle qu’elle subit. Puis, tranquillement elle se relève du sol froid de sa cuisine. Elle s’accroche très fort à ce qu’elle peut et met un pied devant l’autre, se battant contre les failles de son propre corps, contre tous les coups l’ayant affaiblie. Puis marcher et danser à nouveau.

Houria est un film de résilience, un film de révolte par le corps. Il ramène le spectateur à ce besoin essentiel et humain de posséder son corps. D’ailleurs quand Houria se remet à danser, elle s’éloigne du conventionnalisme de la danse classique. Elle se tourne vers des gestes plus primitifs, des mouvements très expressifs, faisant résonner la langue des signes. Et par le même biais, ceux qui ne sont pas entendus. Alors, ce ne sont plus les corps abimés par le béton brut, par l’Algérie. Ce sont les corps qui se battent, qui se révoltent, qui désormais crient très fort.

Houria ne se laisse plus écraser par ce qui l’entoure, elle se bat pour ce qui lui appartient, et réaffirme sa place dans son environnement. Notamment lors d’une séquence sur la plage, l’eau salée lui lave les pieds et elle se met à danser. Le bruit des vagues commence à suivre les gestes d’Houria, elle guide désormais l’environnement telle une chorégraphe. Elle reprend le contrôle de son corps, de ses gestes, ne les subit plus. Mounia Meddour – malgré la facilité de certaines séquences saupoudrées de musique, sûrement pour alléger son film – accomplit son geste, en tenant son propos jusqu’au bout et en proposant une réelle symbiose entre son histoire et la forme que celle-ci prend en langage cinématographique.

Elle finit son film avec comme dernière séquence, une bouteille jetée à la mer, une dernière danse, des voix qui transpirent dans les gestes et un hommage à ceux échoués en mer. Finalement le film va s’éloigner de cette quête de la reconnaissance de la justice algérienne – bien que la question soit tout de même présente dans le film – et s’approprier le terme de « révolte » non pas contre l’autre, mais pour soi. Et alors, cette femme, qui au départ paraissait si frêle, évolue par la contrainte d’un corps meurtri qu’il s’agit de considérer et, enfin de s’approprier. Houria prend sa revanche en apprenant à habiter son corps, comme sa maison à elle et non celle des autres.

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