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Rencontre avec Voyou : « Je ne peux pas faire un album en un an »

Voyou
© Emma Birsky

Quatre ans après Les Bruits de la ville et l’instrumental Chroniques terrestres, Voyou fait son retour avec Les Royaumes minuscules. Des métaphores animales pour parler de sentiments humains qui viennent affirmer plus profondément la couleur musicale du chanteur, où cuivres et mélodies malicieuses accompagnent des textes poétiques plus graves. Rencontre.

Voyou l’affirme lui-même, il prend son temps. Auteur, compositeur, interprète et arrangeur, Thibaud Vanhooland a grandi en écoutant (entre autres) des musiques sud-américaines tandis qu’on lui mettait une trompette dans les mains. Son premier album, Les Bruits de la ville, affirmait déjà un style musical unique, reconnaissable entre tous. Il lui fallut quatre ans pendant lesquels il a sorti un sublime mini-album instrumental, Chroniques terrestres Vol.1 – dont on attend avec impatience le deuxième volume qui devrait voir le jour quand il en ressentira l’envie -, et où il a composé et arrangé pour d’autres artistes comme Yelle, Vincent Delerm ou The Black Lips, avant de nous offrir un second opus chanté. Avec son Royaumes minuscules, les bruits de la nature et des animaux s’inscrivent dans ses mélodies, il regarde d’en haut, comme un oiseau posé sur une branche, nos angoisses et nos émotions d’êtres humains. Ce regard tendre et joyeux narre des histoires comme des tous petits films dans lesquels on ne peut que tous se reconnaître. Il continue ainsi dans une belle lenteur à imposer sa singularité dans la pop française. Rencontre avec un musicien passionné et passionnant dans sa manière de raconter la musique.

C’est ton deuxième album après Les Bruits de la ville avec, et entre temps, un mini-album instrumental, Chroniques terrestres. Est-ce que Les Royaumes minuscules ne serait pas plus tourné vers les bruits de la nature, d’un doux état du monde où tu prendrais un peu de hauteur ? Comment est né cet album ?

Probablement. Après Les Bruits de la ville, où j’arrive dans la grosse ville avec tout ce que ça implique de bruits, de violence et d’enfermement, ce disque-là redémarre à la fin du premier. Je pense qu’il parle beaucoup d’être enfermé dans des petites cases dans la ville et d’avoir envie de partir. Il y a beaucoup de nature, car j’ai bougé avec ce premier album et après. Il porte plus sur ce qu’il se passe dans la nature que dans la ville, ce qui est parfois agréable parce que tu n’as pas les mêmes sentiments et émotions quand il s’agit de comparer avec des animaux et des insectes que quand tu compares avec des gens de ton espèce. En même temps, il soulève des choses beaucoup plus graves que sur le premier album. Comme quoi parfois, il faut utiliser des choses très douces et très organiques pour parler de choses plus intenses. 

Justement c’est un peu ce qui te caractérise. Tes textes abordent des sujets parfois tristes et graves mais avec la musique qui est toujours légère et joyeuse…

Ça, je ne m’en rends pas compte quand je le fais. J’essaie de rester le plus aligné avec moi-même quand j’écris des chansons et je n’y réfléchis pas, car ce n’est pas comme ça que j’écris. Je ne me dis pas que je vais faire un son joyeux mais en parlant d’un truc triste parce que ça va marcher. Ça sort comme ça, mais c’est aussi que mes chansons me sont souvent adressées avant d’être adressées aux autres. J’ai plutôt un esprit positif et ça me fait du bien de me dire des choses douces, tendres et qui rassurent. Quand tu parles de dépression ou d’angoisses, c’est toujours cool de t’en parler en te disant que les choses finissent par aller mieux et que tout va bien. 

Toi qui es musicien à l’origine, comment écris-tu tes textes ? 

De manière très musicale. J’écris d’abord des mélodies. Je fais toute la musique des chansons parfois jusqu’aux arrangements. Les mélodies de chant viennent avec, mais elles sont découpées de manière très musicale avec les rebonds, les accents traînés, même les ouvertures. Ensuite, c’est comme résoudre une équation. J’ai toutes ces petites cases que je dois remplir pour que ça coupe ici, ou plutôt pour que ça traîne là, que ça rime, etc. Et après, je dois résoudre cette équation, sachant qu’en faisant la musique avant même de savoir de quoi je vais parler, inconsciemment, je suis déjà en train d’en parler. 

La musique te crée des images visuelles en tête que tu mets ensuite en mots ? 

Je dirais que je crée des images visuelles avec la musique dans laquelle je vais positionner des histoires. Mais quand je fais un instrument, j’ai déjà une température et des couleurs dominantes qui disent si ça parle plutôt d’amour ou de choses humaines ou hors de l’humain ; si ça va vite ou si ça va lentement, tout est dans la chanson. J’ai juste à chercher de quelle histoire je parle et ce que j’ai voulu dire. Après, je me place au milieu et j’essaie de voir si tout ça fonctionne ensemble. Parfois, j’ai des instrus et je peux chercher longtemps de quoi ça parle. Je sais que je pourrais faire un texte dessus et que ça va bien se passer, mais il n’y a qu’une option à chaque fois. Il y a déjà quelque chose dont je suis en train de parler dans la musique, il faut juste que je le trouve. 

Quand je pense à ta musique, j’ai le mot malicieux qui me vient, tu penses que ça te caractérise ? 

Je pense que dans la vie, j’aime bien m’amuser, rire, faire des conneries aussi et profiter des choses ! Donc ça va probablement avec un peu de malice, parce que si tu veux pouvoir faire un peu tout ce que tu veux sans créer de problèmes à personne, ça demande sûrement de la malice. Ma manière d’écrire des chansons va probablement avec ce que je suis et ma personnalité. Après, la malice, je n’y pense pas forcément, car ça veut dire ramener à moi les choses et je ne suis pas toujours très à l’aise avec ça. J’aime bien me dire que mes chansons, je les fais, et qu’après elles appartiennent aux gens qui y voient ce qu’ils veulent. Il y a beaucoup d’intime dedans, et déjà que je dois comprendre ce que j’ai voulu dire, si en plus je dois comprendre qui je suis en analysant comment j’écris les choses ça devient beaucoup pour moi… Et je n’ai pas envie de me perdre dans des trucs d’ego, mais si tu le dis, je veux bien te croire. 

Pour toi, tes chansons c’est parler de toi pour offrir aux gens des textes où ils vont se retrouver ? 

Ça ou l’inverse. C’est-à-dire que souvent, je pars des autres quand j’écris, à moins que je parle de nature. Mais si je parle de sentiments ou d’émotions humaines, je n’irai jamais écrire une chanson si j’ai l’impression d’être le seul à penser ça, d’être le seul habité par le sujet de cette chanson ou le seul à avoir vécu ça : je ne me sentirais pas légitime. Je n’ai pas l’impression que mon moi unique a vocation à parler à la terre entière, donc ça me rassure de savoir que quand je parle d’une chose, il y a plein de personnes autour de moi qui peuvent être sujettes à la même chose.

À la base, tu es d’abord musicien, j’avais lu je crois que tu avais du mal à t’affirmer comme chanteur…

Tout le monde me parle de ça. C’est fou ! (rires) Mais oui, c’est vrai. Je me dis que c’est peut-être bête comme réflexion… Je trouve qu’autour de l’image du chanteur, qui va avec des choses de société où on voit que ce n’est pas qu’une image, il y a eu des histoires et des trucs un peu dégueulasses. Je n’aime pas l’image que véhicule le chanteur. On l’imagine toujours accompagné d’une horde de fans très jeunes et qui crient son nom, et j’aime bien l’idée de le désacraliser. Il a pour moi vocation à raconter des histoires et pas à se vendre lui. Notamment avec les réseaux et toutes ces choses-là où d’un coup tout est très axé sur l’ego, sur l’humain, sur la personne. Tu te retrouves à plus sacraliser le chanteur que ce qu’il raconte et à plus être intéressé par la personne s’il est beau, séduisant… Et ça devient plus important que la musique ou le propos. Je ne suis pas très à l’aise avec ça. 

Tu as l’impression que l’image du chanteur s’est empirée avec les réseaux sociaux ?

Oui, il y a toujours eu ce truc de l’image, mais aujourd’hui je suis dedans et je vois ce qu’il se passe et ce qu’on me demande. On me demande d’être ultra bien sapé, d’avoir une histoire, de représenter quelque chose. Je comprends ça et à la fois, je trouve que parfois, on passe un peu trop de temps à regarder les chanteurs et moins à écouter leur musique et ce qu’ils racontent vraiment. Et on va se retrouver à créer des succès gigantesques sur de l’image. Je dis ça, mais à côté, il y a aussi plein de chanteuses et chanteurs qui font des choses incroyables et qui ont énormément de succès avec une image ultra travaillée.

Dans un monde idéal, tu aimerais que ton image soit cachée ? 

J’aimerais bien qu’on écoute juste les chansons. Mon groupe préféré depuis des années, c’est Sault, et la seule image qu’on a, c’est un carré noir avec en fonction de l’album, soit des allumettes soit une main. Personne ne sait la gueule qu’ils ont, comment ils sont habillés et ils ne font pas de concerts – même s’il y a des gens qui seraient prêts à payer beaucoup d’argent pour les voir en concert (rires). Et je découvre la musique chez les disquaires. Ce qui me plaît, c’est que le seul lien que j’ai, c’est la musique. Je ne suis pas perturbé par une image, un look, une gueule… Je m’en fiche, je veux juste écouter de la bonne musique et que ce soit comme ça que les gens écoutent aussi. Qu’ils soient un peu déconnectés de toute la représentation. 

Comment la musique est arrivée dans ta vie ? 

Très jeune. Ma mère écoutait beaucoup de musique et mon père en faisait. D’un côté, j’avais les musiques sud-américaines, africaines, les chanteurs de variété française, et de l’autre, mon père trompettiste répétait beaucoup donc c’étaient mes premières ambiances sonores. Il a vu que je m’y intéressais et a commencé très jeune à m’apprendre, jusqu’à ce que j’aille au conservatoire. 

Ça dessine complètement la couleur des influences de ta musique, non ? 

Oui, mon père écoutait plus de jazz et de musique classique. Très petit, je me suis mis à jouer du jazz avec un garçon de mon âge pour gagner de l’argent dans la rue. J’avais six ans. J’ai aussi joué à cet âge-là dans l’orchestre que dirigeait mon père dans le Nord-Pas-de-Calais. Ce sont des orchestres dans chaque ville où les gens jouent ensemble quel que soit leur niveau… Tout le monde a le droit de jouer, même s’il ne sait pas vraiment le faire. C’est extrêmement bienveillant. Ça a été aussi mes premiers décorums, ces sonorités avec beaucoup de cuivres où ça joue un peu comme des casseroles. Mais ça donne un charme très propre aux orchestres d’harmonie du Nord.

À côté de tes projets solo, tu composes, tu joues et tu arranges pour d’autres artistes. C’est important pour toi de travailler en collaboration ? 

Ça me réjouit, car ça me donne l’impression que ce que je fais peut plaire à d’autres artistes. Et parfois, j’ai des surprises de me retrouver à bosser pour des artistes qui ont été importants dans ma vie à un moment donné. C’est incroyable, surtout quand ce n’est pas toi qui vas les chercher, mais les artistes qui viennent. Par exemple, Morcheeba, quand ils m’ont appelé pour bosser avec eux, c’était assez fou. Ils m’ont demandé de choisir un morceau et de le revisiter parce qu’ils aiment ce que je fais. Donc, déjà, premier nouvelle : ils savent que j’existe et ma musique est arrivée à leurs oreilles. Je les écoutais quand j’étais ado, notamment l’album Big calm. Ou quand je me retrouve à bosser avec le mec de Fat White Family que j’adore, qui est dans un milieu très éloigné de mon milieu musical et qu’il me demande de venir faire des arrangements de cuivres pour les Black Lips, qui est un groupe que j’allais voir en concert quand j’étais très jeune. En plus, c’est du garage et moi, je fais de la pop française.

Je trouve ça fou de me dire que des gens me font confiance alors que ça n’a rien à voir, mais ils captent une énergie qui peut correspondre. Ça vient me valider à un endroit où je n’espérais pas être validé et ça me donne la sensation que si jamais demain, je vieillis et que je deviens moins intéressant pour les gens en tant que chanteur/musicien, je pourrai continuer à faire de la musique pour les artistes que j’aime. 

Dans ta musique, il y a quelque chose de très visuel, de très organique. Est-ce que le cinéma ou les bandes originales ont pu t’influencer ? 

Le cinéma oui, mais je pense que c’est plutôt la narration. La manière dont le cinéma raconte des histoires m’influence beaucoup dans l’écriture des textes. Le cinéma donne à voir des images en plus du son et le format est beaucoup plus long pour raconter une histoire. Je trouve qu’une chanson, c’est comme essayer de raconter un film entier en trois minutes. C’est parfois un peu compliqué et en même temps, c’est un challenge. Quand j’écris une chanson, je me dis que je dois véhiculer exactement la même émotion avec moins d’espace pour raconter les choses, et donc en utilisant tout ce que je peux : le texte, les mélodies, les ambiances et la musique, car c’est mon endroit d’expression. Je dois véhiculer les mêmes émotions qu’un film de deux heures avec l’image en plus pour raconter une histoire, comme des minis courts métrages auditifs. Ce sont des défis à chaque fois. 

Tu aimerais composer des musiques de films ? 

Oui, beaucoup. Je pense que ça va venir. On m’a déjà proposé plusieurs fois sur des projets qui n’ont soit pas abouti ou qui sont tombés à des moments où c’était trop compliqué pour moi. J’aimerais bien me retrouver à faire ça dans des moments de vie où c’est plus adéquat. Là, j’ai l’impression que j’ai beaucoup de boulot dans le fait d’écrire des chansons, de faire des albums et de les défendre en tournée. Mais en parallèle, dès que je pourrai je le ferai, si jamais on me le propose ou si un projet m’intéresse. 

Ton mini-album instrumental, Chroniques terrestres, était un volume 1. Un volume 2 est-il prévu ?

Oui. Il n’est pas encore écrit, mais l’avantage des Chroniques terrestres, c’est qu’il suffit que je prenne un mois et c’est fini. Là où un album peut me prendre trois ans à écrire, voire plus. C’est un projet libre, un espace d’expérimentation et par définition, c’est un endroit où je peux trouver un thème, m’amuser à le développer, l’arranger comme je veux et décider que c’est fini à la fin de la journée. C’est rapide à faire. Un morceau peut naître en une demi-journée et après, je reviens dessus, mais j’ai passé une semaine en studio derrière. J’expérimente dans une urgence et surtout, je ne me pose aucune question sur où va la musique, les formats, les instruments à utiliser, et ça m’a aidé pour l’album qui venait après. Ça m’a permis d’aller chercher plein de choses. 

C’est un peu un espace de liberté plutôt osé. Il faut être bien accompagné dans cette industrie qui demande toujours plus, non ? 

Oui, ce n’est pas le projet le plus vendeur de la terre, mais malgré ça, c’est un projet qui a bien marché. Les vinyles sont bien partis alors qu’on en avait pressé peu. Sorti de ça, il y a le morceau avec Ladaniva dont je suis hyper fier. C’était un beau projet, réjouissant et comme un vrai espace de recherche musicale, comme des petites études pour moi que j’ai livrées aux gens et ils ont aimé ça. C’est génial de se dire que tu es suivi sur un projet comme ça. Et c’est là où je me dis que même si je ne fais pas des milliards de streams, j’ai quand même des gens qui sont vraiment intéressés par ce que je fais.

Ça me rassure dans l’idée d’être dans un développement lent sur ce projet, où j’ai le temps de faire les choses et où je ne suis pas obligé de répondre à l’espèce de pression de vitesse présente dans ce que l’on demande aux artistes. Je ne peux pas faire un album en un an. C’est impossible. Et j’ai besoin de vivre des choses pour les raconter. Je n’ai pas assez d’une année pour ça. Ou alors après tu te répètes, ou tu dis des choses qui même pour toi n’ont pas d’importance. C’est pour ça qu’il y a quatre ans entre le premier et le deuxième album. On te fait toujours croire que tu vas disparaître si tu prends ton temps. Il y a des artistes autour de moi, on a sorti notre premier album en même temps et ils ont déjà sorti trois albums depuis. J’ai beaucoup de respect pour eux et en même temps, je me demande où ils peuvent puiser tout ça. Mais c’est sûrement une autre manière d’envisager de faire de la musique. Je suis plutôt une tortue qui vit longtemps, mais qui reste tranquille.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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