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Rencontre avec Jeanne Added – « J’ai passé une partie de ma vie sur la pointe des pieds »

© Camille Vivier
© Camille Vivier

À l’occasion de la sortie de son quatrième album intitulé By your Side, nous avons rencontré Jeanne Added à La Nouvelle Vague, à Saint-Malo.

Cela fait plusieurs années que Jeanne Added trimballe sa musique, entre électronique et pop. C’est une figure un peu à part dans le paysage musical français. Ce nouvel album confirme ce sentiment, en lorgnant davantage vers la légèreté. C’est que la mélancolie qui se dégageait de ses premiers morceaux s’est peu à peu laissée dompter pour muter vers la sérénité.

By Your Side semble achever un cycle et sonne parfois comme un bilan. Très introspectif, le disque est une réappropriation du corps et des sentiments. C’était le moment pour lui poser plusieurs questions sur son rapport à l’art, à la mise-en-scène et à la notion de vérité. Rencontre.

On se retrouve aujourd’hui pour ton quatrième album intitulé By your Side qui me semble davantage tourné vers la pop. La mélancolie est moins présente, sauf peut-être sur le premier morceau avant que ta voix n’émerge. Les paroles arrivent à quel moment du processus de création  ?

C’est un processus assez long où se mêlent des phases d’écriture des paroles et de la musique en parallèle. À un moment donné, je rassemble tout ça à l’aide des notes disposées dans mes cahiers. Il y a des textes qui viennent directement avec une mélodie et je peux partir de cette matière pour développer. Là, j’ai travaillé sur les rythmiques de l’album avant de voir ce qui fonctionnait dans mes cahiers. Le sens des paroles est important mais j’aime l’idée de partir du son pour faire émerger des significations non prévues.

On ressent toujours ton plaisir à faire monter la voix, comme dans « It’s a lie » où elle semble sortir de l’eau au début du morceau pour terminer dans le ciel sur la dernière partie. Est-ce qu’elle ressort davantage sur cet album ?

Je ne sais pas si elle ressort davantage mais il y a plus d’éléments dans la voix. Plus ça va et plus le chant est large. En réalité, je chante moins sur cet album. Auparavant, ma voix était projetée alors que le mouvement est différent aujourd’hui. Il y a quelque chose de plus intérieur, plus introspectif. C’était une volonté de Renaud Letang qui co-produit l’album.

Christophe avait bien compris cela chez toi lorsqu’il t’a proposé « La petite fille du troisième ». Ta voix ne cesse de prendre de l’ampleur tout en limitant de plus en plus le texte en le réduisant à des expressions. Comment s’est organisé le processus de création pour ce titre ?

Christophe voulait des bouts de mots, comme une lumière qui n’apparaitrait que sur certaines syllabes. Au début, j’étais très impressionnée par cette manière d’aborder cette chanson. On a enregistré ce morceau en studio et en un après-midi, le travail était accompli.

Dans le clip d’« Au revoir », les corps bougent et s’éloignent d’une certaine raideur qui pouvait se dégager de tes premiers pas. Qu’est-ce qui a occasionné ce changement qui se retrouve aussi sur scène ?

Ce qui est bien dans la vie, c’est que tout n’est pas là tout de suite (rires). Je continue à découvrir, à apprendre beaucoup de choses. Le rapport au corps est extrêmement intime. Dans une société comme la nôtre, ce rapport est souvent empêché. Je suis très heureuse de cette libération de mon corps, même si c’est peut-être un peu tard. J’ai passé les trente premières années de ma vie sans faire de sport. C’était une notion qui n’existait pas pour mon corps. Ressentir les fibres, les muscles qui se déploient, c’est une sensation bouleversante.

Pour la chorégraphie sur scène, j’ai regardé beaucoup de vidéos. Il y en a peu en concert même si l’espace est organisé pour permettre certains mouvements. Je bosse de mon côté mais je ne cale rien car je ne suis pas danseuse.

Les paroles d’« Au revoir » sont très belles : «  Tu crois que je m’en vais pour de bon / Pourtant, si amer que soit mon départ / Tu sais / Que rien ne s’arrête jamais complétement / Il y a encore de toi / Dans mes sentiments  ». Il est quand même beaucoup question de contamination, d’idée que des traces sont laissées partout, par des résidus d’histoire d’amoureuse, d’inconscient politique peut-être. Qu’en penses-tu ?

Naturellement, les gens voient des histoires d’amour mais ce n’est pas l’idée que je m’en fais. Des ruptures, il y en a dans tous les domaines. L’album parle beaucoup de vérité, des moments où l’on ne se ment pas à soi-même. Le mot Truth (vérité, en français) apparait dans presque toutes les chansons. L’aspiration à la vérité, ou du moins à l’arrêt du mensonge, est une thématique centrale pour cet album. C’est une bonne raison pour créer des ruptures.

« Tree Song » est vraiment un très beau morceau. Il a des allures de conte médiéval qui rappelle l’univers de ces femmes mises à l’écart et que l’on appelait sorcières. Cette puissance positive, pour reprendre les propos de Mona Chollet, rejoint des préoccupations que tu évoques parfois dans les interviews, comme celle de l’inclusion. Ta sensibilité politique ne passe pas par un militantisme dans les chansons. C’est l’esthétique qui fait sens chez toi.

« Tree Song » est un peu à part. Effectivement, c’est une sorte de sabbat très joyeux avec des sorcières qui boivent du Gin Tonic (rires). Cette mise en place est déjà disruptive.

Sur la question du militantisme, tu as raison. Cela ne se retrouve pas dans mes chansons. Il n’y a rien d’explicitement militant dans « Tree Song », par exemple. On peut perdre sur le plan esthétique en étant totalement dans une démarche militante. La lisibilité n’est pas forcément une force en art. Il faut sans cesse poser des questions et ouvrir à la réflexion, au doute. La chanson « Both Sides », sur l’album Radiate est une chanson qui parle de ça, de l’idée d’être du côté de ceux qui ont tout mais en gardant un lien avec ceux qui disposent de peu. Comment peut-on faire société en étant si loin les uns des autres ? C’est une question posée dans la chanson. J’ai un tempérament qui m’empêche d’être trop affirmative.

Le titre final donne le titre de l’album, il est très aérien et en douceur. En écoutant tes chansons depuis tes débuts, on peut regarder ta discographie comme un rite initiatique pour prendre confiance en soi. Le morceau dégage une certaine sérénité.

J’ai passé une grande partie de ma vie sur la pointe de mes pieds, c’est le sujet de la chanson « Leon ». Ce sentiment ne fait plus partie de moi. C’est mon entourage qui m’a aidé à développer cette confiance, à me sentir à l’aise. C’est le fruit d’un long chemin qui m’ouvre davantage au partage.

Quels sont tes projets pour la suite  ?

J’ai commencé à écrire la suite et j’aimerais sortir un album assez rapidement. Maintenant que je me sens plus à l’aise, il va falloir que je me tourne vers d’autres domaines comme la réalisation. C’est la prochaine étape dans mon parcours.

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