La 45e édition du Festival du court métrage de Clermont-Ferrand a pris fin ce weekend. Maze y était, et y a glané, pour vous, quelques pépites. Deuxième partie.
Tondex 2000, Jean-Baptiste Leonnetti (2022)
Compétition nationale – Prix du public
Un ancien soldat de la Légion étrangère, Sylvain rencontre une grande bourgeoise, Nathalie, écrasée par le poids des responsabilités qui lui incombent. Le premier vole le SUV de la deuxième. Rien de plus simple : alors qu’elle passe un appel à l’extérieur, elle laisse le moteur tourner pour le chauffage. Mais le vétéran est droit dans ses bottes, comme il se doit. Il fera demi-tour, profitant de la situation pour faire la leçon à la bourgeoise. Lisez bien bourgeoise, et non bobo, il en va de son honneur ! Cette dernière ne se laissant pas manœuvrer, au contraire, une relation surprenante se tisse.
Difficile de résumer Tondex 2000, tant l’écriture de Jean-Baptiste Leonnetti est dense. En quelques minutes, le réalisateur parvient à dresser le portrait de deux personnages plus complexes qu’ils n’y paraissent. Car oui, un vétéran névrosé, archi légaliste qui rencontre une bourgeoise elle-même névrosée : l’idée pourrait vite s’essouffler. Mais le cinéaste joue le jeu du cliché, saute à pieds joints dedans. Il éclabousse tout le monde, et avec grand plaisir. Alors il travaille ses clichés à fond pour finir par atteindre une forme surprenante de poésie. Finalement, ce sont deux grandes solitudes, singulières, qui se sont rencontrées ce soir-là, au bord de la départementale.
Le rythme imposé à Tondex 2000 par Jean-Baptiste Leonnetti et ses deux acteur·ice·s (Emilie Caen et Yann Bean) est enlevé et drôle. Maitrisé en somme. Et puis, il se double de petits détails de composition qui font mouche. Non vraiment, le public ne s’est pas trompé. On attend la suite !
45th Parallel, Lawrence Abu Hamdan (2022)
Compétition labo
La bibliothèque municipale de Haskell est située sur la frontière qui sépare le Canada des États-Unis. Les citoyen·ne·s des deux pays doivent entrer et sortir par la porte qui leur est dédiée. Mais à l’intérieur, malgré une ligne peinte, la frontière s’évanouit. Tout le monde circule librement, d’un rayon à l’autre. Aucun contrôle.
Ce lieu n’est pas une utopie. Il existe, et l’artiste contemporain Lawrence Abu Hamdan s’en saisit pour interroger le bien fondé de nos frontières. En guise de mise en bouche, le réalisateur Mahdi Fleifel détaille l’histoire du trafic d’armes qui prospérait au sein de la bibliothèque. Un ressortissant américain y entrait, déposait le sac d’armes dans les toilettes, qu’un Canadien venait récupérer. Les armes traversaient ainsi la frontière sans laisser de traces. Comme par magie.
Changement de décor. Nous nous retrouvons sur la scène du petit opéra attenant à la bibliothèque. Mahdi Fleifel s’intéresse à un autre cas ayant fait date. Il s’agit de l’affaire judiciaire Hernández vs. Mesa. En 2010, un garde-frontière états-unien, Mesa, a abattu un jeune Mexicain désarmé de quinze ans, Hernández. L’enjeu du procès étant alors de savoir si Mesa devait être jugé selon la loi des États-Unis ou bien selon celle du Mexique. Fallait-il prendre en compte le lieu depuis lequel avait été tirée le coup ? Ou bien, celui de l’impact ?
Dans une mise en scène très maitrisée, quasi géométrique, 45th Parallel expose le vertige qui a saisi les juges américains au moment de statuer sur cette question. La jurisprudence qui allait découler de cette affaire, pouvant alors engager à nouveaux frais les frappes aériennes perpétrées par drone – donc depuis le sol états-unien – en Afghanistan, Irak, Yémen, Syrie, Pakistan, Somalie, Libye.
Alors que Mahdi Fleifel déploie tous ces enjeux, les panneaux décoratifs de l’opéra changent. Dans les locaux municipaux d’Haskell, les frontières deviennent alors bien poreuses. 45th Parallel épaissit les lignes, les complexifie jusqu’à, méthodiquement, faire apparaître leur absurdité.
Écorchée, Joachim Hérissé (2022)
Compétition nationale
Au milieu des marécages, deux femmes répètent inlassablement la même journée. Elles n’ont que trois jambes pour deux corps, leurs pas se suivent donc, et leurs gestes se doivent d’être complémentaires. Pourtant, Écorchée n’a rien d’un film d’animation sur la résilience, ni sur l’entraide. Au contraire, l’univers sombre de Joachim Hérissé a des airs de cauchemar.
Car le duo enchaîné ne marche pas droit. Seule, l’une des deux sœurs trace la direction à prendre. Elle impose les gestes et rituels qui structurent leur quotidien. Il faut tuer le lapin, le découper pour le manger avant de danser puis de s’enlacer dans un geste incestueux. Alors, quand vient la nuit – pas si simple à distinguer du jour quand le soleil refuse de jouer son rôle – de sombres pensées occupent l’esprit de l’autre sœur.
Écorchée est un film de bricolage qui fourmille de trouvailles plastiques. Celles-ci doivent beaucoup au travail de l’artiste-plasticienne Aline Bordereau qui a conçu les marionnettes du film. Dans Écorchée, lorsque le sang coule, il s’étend en de longs fils de laine rouge. Mais ici, le combo marionnettes/film d’animation ne s’adresse pas aux enfants. L’atmosphère est bien trop lourde, trop angoissante. Et c’est la grande réussite de Joachim Hérissé : proposer un film d’horreur sidérant, dans le registre de l’animation.
Écorchée est disponible sur Arte.tv jusqu’au 29/10/2023.