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Rencontre avec les Bad Pelicans – « Notre vision du rock contemporain est celle d’une fusion de références »

Rencontre avec Bad Pelicans
Crédits Diane Sagnier

Maze a rencontré le trio iconoclaste des Bad Pelicans en vue de la sortie de leur album Eternal life now le 24 février et de leur concert au Point Ephémère le 2 mars.

Avec le punk comme terrain de jeu originel – et notamment le surf punk – ces bad boys à l’humour décalé et férus de design détonnent dans le paysage musical contemporain. Lucas Lecacheur (guitare/voix), Simon Vouland (batterie) et Fernando Dias Marques (basse/chant) nous ont donné rendez-vous près du cœur de Montmartre au Café Francoeur. Lucas arrive en premier, suivi de Simon quelques minutes plus tard. Impossible de ne pas les reconnaître avec leur style rock’n’roll sophistiqué. La douceur de leurs voix contrastent avec l’explosivité de leur musique. Bloqué par la grève des transports, Fernando – dont la ressemblance avec John Travolta dans Pulp Fiction était frappante ce jour-ci – rentre dans la brasserie d’un pas assuré et nous fait une entrée digne d’un défilé Balenciaga. Sans surprise, ils nous confient qu’ils se trouvaient la veille au défilé Homme automne-hiver de Céline au Palace du Faubourg-Montmartre …

Bad Pelicans au Café Francoeur. Crédits – Marion Bauer.

Comment définiriez-vous le surf punk ? D’où vous vient cette inspiration atypique ?

Lucas Lecacheur : À vrai dire, nous ne sommes plus du tout surf-punk aujourd’hui. Mais malgré tout, notre marque Perfect Designs est un peu le prolongement de cette posture anti-surf. On faisait du surf mais on n’aimait pas cette esthétique là. Et en même temps, on avait envie de l’amener à Paris… On voulait faire du surf-punk parce qu’avec Fernando, quand on s’est rencontrés, on était un peu seuls dans cet univers de surfeurs « garage ». Le surf-punk est devenu notre hymne, notre cri de ralliement autour d’une scène qui n’existait pas et que l’on voulait faire émerger à Paris.

En vous écoutant je l’ai perçu comme un juste équilibre entre une certaine volupté dans le rythme et une agressivité qui prend forme au fil des titres. Cette atmosphère à la fois lancinante et graduelle se retrouve un peu partout dans vos sons. Quelle est la spécificité de votre univers ?

Lucas : On aime bien jouer avec les contrastes et surprendre l’auditeur avec des parti-pris audacieux. Dans notre EP Underground (2020), on a poussé le trait à fond à la manière d’un geste artistique qui saisirait notre essence musicale. Notre dernier album Eternal life now qui a été produit aux États-Unis est un peu le prolongement d’Underground tout en conservant notre identité. Aujourd’hui, aucun autre groupe ne sonne comme nous ; nous avons trouvé notre signature musicale. Mais avec cette volonté de rester audible car Underground restait quand même assez musclé …

Le nouvel album est plus accessible et se veut être une introduction à notre univers qui évolue maintenant depuis 3-4 ans. Il faut savoir que cet album a été enregistré en 2019 ; certains sons avaient déjà été réalisés un an ou deux avant l’enregistrement. Il met à l’honneur nos choix esthétiques en sortant de l’atmosphère surf-punk de nos premiers projets. On a vraiment hâte qu’il sorte car c’est vrai que le public nous connaissait vraiment comme le groupe surf-punk avec l’album Best Of (2018) et ses titres garage-punk.

Dans votre album Best Of que j’ai personnellement beaucoup aimé, la surf music est explicitement mise à l’honneur avec des titres comme « Svmmertime », « Svrf Svrf, Svrf your coffin » ou encore « Pavline McShit », titre complexe qui conclut l’album en apothéose. Si vous ne deviez citer qu’un groupe ou chanteur qui incarne ce courant, ce serait qui ? Quelles sont vos références ?

Lucas  : Comme tout le monde je pense qu’on écoutait Ty Segall et plus généralement ce qui ce faisait en Californie.

Simon : Thee Oh Shees, tout ça… On écoutait grave les artistes du label indépendant Burger Records et les groupes de cette époque-là comme les ComosNAutes par exemple. Il y a pas mal d’années déjà on s’en est détaché mais à la base on s’est pris une claque avec Ty Segall. On trouvait que c’était frais, notamment avec la mode des cassettes… C’était un vrai mouvement qu’on ne retrouvait pas vraiment en France et c’est à ce moment-là que nous sommes arrivés, assez innocents à nos débuts il faut dire.

Bad Pelicans est un groupe qui est vraiment parti de pas grand chose à l’origine. On était des bébés rockers en quelque sorte. Puis on a pris le temps d’évoluer au fur et à mesure des projets. On a affûté nos références et on n’a jamais arrêté de les aiguiser… Maintenant nous sommes très pointus sur le sujet mais avant on ne l’était pas du tout.

Lucas  : Quand on a fait Best Of, on avait quand même cette ambition de sortir un album qui sonnait culte tout en étant digital et enregistré en live. On a voulu s’éloigner du vintage et on est assez content du résultat même s’il ne nous représente plus vraiment aujourd’hui.

Dans Eternal Life now, on sent que vous vous en éloignez pour vous rapprocher davantage du punk rock, voire du métal ou de l’électro à certains moments. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ces évolutions ?

Simon : Notre volonté était de nous démarquer dans le son, et donc forcément de faire appel à des références musicales moins classiques contrairement à celles qu’on avait mobilisées avant.

Lucas  : On a cherché à s’éloigner de la scène californienne pour partir à la recherche de nouveaux sons et de nouveaux groupes, notamment en allant au-delà du continent américain. On se lance parfois dans des délires plus électro ou alors carrément métal avec des parti-pris davantage hardcore – avec plus de violence dans le son. Affiner les références nous a amené à affiner le son mais aussi à nous défaire de ce stéréotype du groupe de rock « classique » avec le son saturé de la guitare, la basse qui sonne comme ci, la batterie comme ça et pas autrement… On a vraiment pris le temps de réfléchir à tous les éléments du son pour les comprendre individuellement dans l’ensemble. C’est sur ce travail que nous avons mis l’accent lors de notre passage aux États-Unis.

Simon : On voulait aussi sonner comme un groupe de rock contemporain et pas perpétuer une esthétique passéiste. Notre vision du rock contemporain est celle d’une fusion de références avec une large ouverture sur le monde musical. On essaye de rassembler tout ce qui nous plaît tout en étant cohérent avec notre époque.

Lucas  : C’est vrai qu’on est quand même beaucoup nourris par plein d’autres genres musicaux. On ne se limite absolument pas au rock et on est également très sensibles au hip-hop et à l’électro par exemple. Et ce goût de l’éclectisme fait partie intégrante de nos vies. Nous écoutons tous des choses très différentes ! Dans les coulisses nous avons chacun nos self-projects musicaux qui nous amènent chacun à découvrir d’autres univers. Quand nous nous rassemblons, c’est un peu comme si ces univers se rencontraient. Nous avons chacun nos petites références et les idées circulent librement…

Vous avez lancé votre propre marque de planches surf-punk, Perfect Designs. L’idée de monter votre groupe est-elle venue avant ou après celle-ci ?

Lucas  : Avec Fernando on a toujours eu envie de concevoir des planches de surf. C’était un peu une blague entre nous trois à l’origine – on faisait des festivals de surf ensemble et d’autres évènements du genre. On se disait toujours : « C’est quand que tu t’y mets ? Quand est-ce que tu fais des planches ? (rires) ». Sans parler du fait que c’est le surf qui a cimenté le groupe à nos débuts.

Perfect Designs a été créé il y a deux ans et demi pendant le covid. De nombreuses dates ont été annulées et l’album qui devait initialement sortir en 2020 avait été enregistré tout juste deux mois avant le début de la pandémie ! Nous n’avions plus aucun concert et on ne se voyait pas rester inactifs tout ce temps. Je me suis construit une cabane dans mon petit coin pour faire des planches – Fernando, pareil. On a commencé comme ça. Perfect Designs est une annexe de Bad Pelicans, dans un autre univers visuel et artistique. L’idée c’est de casser les frontières entre le rock’n’roll, l’art contemporain et le surf. C’était assez novateur pour le monde du surf.

On sent que la dimension esthétique de votre univers est vraiment recherchée, notamment dans la réalisation des clips. Quelques mots sur vos parti-pris visuels ?

Lucas  : Pour nous, un groupe est le fruit d’un projet global qui recouvre naturellement la musique mais aussi l’image. Dans le monde dans lequel nous nous trouvons actuellement, le visuel est ultra important.

Simon : Surtout que c’est la première chose que les gens remarquent, avant même d’écouter la musique finalement. La pochette, la mise en scène, le style vestimentaire, les postures, le jeu… Nous sommes harcelés d’images en permanence donc il est devenu incontournable de recourir à des images fortes et d’avoir des parti-pris tranchés. C’est ce que Lucas et Fernando ont fait avec Perfect Designs. Il faut que la personne soit accrochée et se dise : « Tiens, il se passe quelque chose ».

Lucas  : Nous sommes sensibles à l’image. Si on se rend à un concert et que le groupe n’est pas « présent » visuellement parlant, on va être amenés à penser qu’ils ne font pas d’efforts et qu’ils ne sont pas généreux envers leur public. Alors qu’un groupe qui donne tout sur scène, qui a un look de malade ou qui a travaillé sa scénographie et sa performance… On a tout de suite envie d’adhérer. Nous avons pu voir beaucoup de groupes qui se souciaient peu de cette dimension mais ça n’a jamais été notre cas. Que ce soit sur scène ou dans la vraie vie, on aime bien avoir des dégaines atypiques.

Simon : Ce ne sont pas juste des déguisements pour nous. C’est un tout qui comprend également le live et les clips.

En tant que trio vous considérez-vous comme un groupe homogène ou est-ce que vous êtes plutôt dans une recherche de complémentarité ?

Lucas  : C’est amusant car nous sommes très différents tous les trois et nous nous trouvons tous à des extrêmes. Même dans nos références, on aime des choses très différentes. Mais au final, nous nous complétons vraiment bien. Lorsque nous concevons des sons, chacun essaye d’intégrer la pensée et le jeu de l’autre. À nous trois on forme un super combo.

Simon : La base commune est très forte. On aime, on écoute et on partage. Il y a beaucoup de différences mais la solidité des fondations fait que le projet est toujours là aujourd’hui. Et d’un autre côté notre groupe est très complémentaire. On se laisse surprendre les uns les autres. Quand nous sommes en tournée ou sur scène, on n’agit jamais de la même manière – nous avons tous les trois de fortes personnalités. On se nourrit mutuellement de nos façons d’être et de penser.

Pourquoi avoir choisi « Pelicans » d’ailleurs ? Est-ce une référence aux joueurs de NBA, les Pelicans de New Orleans, ville où se trouvent des surfeurs ?

Lucas : C’est drôle, on ne nous l’a jamais posée celle-là (rires). Il y a plusieurs raisons, des stupides et des bonnes. En argot parisien, les pélicans désignent des mecs louches : « Regarde ces pélicans », d’étranges clampins en quelque sorte. Donc les Bad Pelicans, ce sont les mecs étranges mais tout de même méchants. Il nous fallait un nom qui ne veut rien dire et en même temps auquel on peut associer la signification de notre choix. Et puis c’est vrai qu’on adore le basket (rires) !

Vous conservez certaines parts d’ombre : on suppose que vous êtes parisiens tout en ayant un attachement certain pour le continent nord-américain. Dans votre dernier clip « Dance Music », les frontières spatio-temporelles sont poreuses ; on pense instinctivement à ces clubs clandestins de l’Allemagne divisée ou de la Russie des années 80 comme dans le film Leto de Kirill Serebrennikov. D’où venez-vous et d’où vous vient ce goût pour l’ailleurs ?

Lucas : « We come from Paris » (rires). En vrai, on ne vient pas de Paris. Je suis le seul à être né à Paris mais j’ai grandi à l’île de Ré. On s’est rencontré à la fac de musique de Marne-la-Vallée (université Gustave Eiffel).

Simon : Moi j’ai grandi à Avignon. Fernando est portugais, il a grandi au Maroc.

Lucas : On a beaucoup joué en Europe. On a fait des tournées en Italie, en Suisse, en Angleterre, au Portugal… On a joué dans pas mal de pays étrangers et nous étions très fiers à chaque fois de dire que nous venions de Paris : « les Bad Pelicans from Paris ». Les gens étaient en mode « wouah, Paris, c’est trop cool, j’adorerais y aller », ou alors ils nous racontaient des anecdotes ultra-idéalisées. Et puis nous on en jouait, ça nous faisait marrer. Quand on a fait le titre « Paris », on traînait pas mal dans le circuit fashion – on était invité aux défilés et aux soirées ultra-huppées du milieu. On avait des déclics où on réalisait que Paris était vraiment une ville classe.

Le monde nous envie Paris. Même quand on était allés aux États-Unis, on n’était pas tant passionnés que ça par le continent américain. C’était plus « Les parisiens à Seattle ». Simon n’a pas parlé anglais de tout le voyage (rires). On s’est rencontré à Paris, on a fait pleinement partie de la scène indépendante parisienne, on a joué dans toutes les petites salles qui existent à Paris – je pense qu’on les a toutes faites. Jusqu’à un moment où on a voulu sortir de cette scène et gagner en indépendance. Quand tu es dans une certaine scène, comme la scène indé parisienne, tu dois te plier à certaines esthétiques et plus généralement au bon « goût » de la scène underground. C’est un circuit fermé. Certains labels sont immanquables.

Simon : C’est très stéréotypé. Tout comme les rockeurs sont très stéréotypés, notamment dans leur manière de vivre. Ils n’ont surtout pas envie que d’autres groupes viennent remettre en question leurs goûts, quitte à enfermer cette scène dans une espèce de prisme du « bon goût ». On avait clairement envie de faire un fuck à tout ça et de passer outre ces normes.

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