CINÉMA

« Animals » – L’horreur est humaine

Animals
© JHR Films

Sorti en salles le 15 février et interdit au moins de 16 ans, Animals de Nabil Ben Yadir relate en trois chapitres le premier crime homophobe officiellement reconnu comme tel en Belgique. La mise en scène frontale de l’horreur, au plus proche de la réalité, est susceptible de soulever des interrogations sur ce que le cinéma peut ou ne peut pas montrer mais s’avère une oeuvre indispensable pour les consciences.

TW hyperviolence / homophobie. Interdit au moins de 16 ans : « Ce film comporte une longue scène de violence homophobe filmée de façon extrêmement réaliste. »

«  On n’est pas des animals  ». C’est la phrase prononcée par l’un des quatre bourreaux d’Ihsane Jarfi lors du procès où ils ont été condamnés à une peine de réclusion criminelle à perpétuité. En 2012, du côté de Lièges, ils avaient torturé et massacré à mort le jeune homme homosexuel de 32 ans. Le réalisateur de La Marche (2013) et des Barons (2009), Nabil Ben Yadir, s’est emparé de ce fait divers, reconnu officiellement comme le premier meurtre homophobe en Belgique. Par une narration maîtrisée et découpée en trois parties, Animals démontre tout l’engrenage toxique d’une société malade, tout en prenant la pente dangereuse du voyeurisme abject.

Nabil Ben Yadir réussit toutefois, par sa mise en scène implacable, à déjouer les pièges, tout en immergeant dans une hyper-violence cinématographique s’inscrivant dans le sillage d’un Chien de pailles (Peckinpah), d’un Délivrance (Boorman), ou plus récemment à l’instar de la séquence difficilement regardable du meurtre originel dans Bowling Saturne de Patricia Mazuy. La différence terrifiante s’avère que tout est vrai dans Animals, la fiction ne fait que s’emparer des faits en les reconstituant pour faire film.

Le métrage adopte en premier lieu le point de vue de Brahim, alter ego de fiction. Ce dernier (magistral Soufiane Chilah) attend son amoureux, censé le rejoindre pour l’anniversaire de sa mère où toute la famille est réunie. Un amoureux présenté comme un ami, malgré les cinq ans de relations. Immédiatement, l’homosexualité de Brahim semble passée sous silence, bien que tout son entourage en soit conscient, comme le suggèrent les non-dits. Savoir mais ne rien dire. Dans cette famille d’origine maghrébine, l’homosexualité ne peut pas être un sujet. Quand son grand-frère le confronte, le mot même est imprononçable. Nabil Ben Yadir filme au plus près de Brahim et rend inévitable l’attachement au protagoniste et aux sentiments contradictoires qui le traversent.

S’approcher de la réalité, caméra à l’épaule et gommer l’artificialité du cinéma pour mieux rendre compte du mal ignoble qui gangrène au plus profond de l’être humain. Les dix minutes d’hyper-violence monstrueuse qui constituent la partie centrale du film – des images que l’on aimerait effacer à tout jamais de nos mémoires – imposent au spectateur·rice d’être témoin oculaire des ravages de l’homophobie. L’usage du téléphone portable renforce la captation du mal et de la négation totale de la victime en tant qu’être humain, forçant le réalisateur à s’effacer du processus filmique. Sous l’effet de meute, le long et ignoble martyre semble être un acte d’amusement comme un autre pour les quatre hommes, jusqu’au coup final.

La troisième et dernière partie du film semble voir été construite en miroir de l’ouverture. Nabil Ben Yadir se doit de laisser le corps abandonné de Brahim. Il tourne sa caméra et son histoire vers celui devenu assassin. Et une fête familiale en remplaçant une autre, d’un anniversaire à un mariage, le jeune meurtrier porte en lui l’acte ignoble commis au cœur du film. Le réalisateur reprend alors le pouvoir de ses images.

Terme galvaudé et utilisé à tors et à travers dans la critique cinéma, le mot « nécessaire » semble néanmoins le plus approprié pour évoquer Animals. Le film peut questionner, certes, et heurter des sensibilités. Néanmoins la nécessité de montrer, par la fiction, un meurtre homophobe et l’horreur humaine apparait indispensable au cinéma.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

You may also like

More in CINÉMA