Mise en scène comme un film d’horreur, cette dernière création de la chorégraphe Gisèle Vienne crée un lien sensoriel entre imaginaire terrifiant et violences sexuelles. Un spectacle aussi fascinant qu’insupportable.
Que voit-on, exactement ? Nous sommes à l’intérieur de la grande salle du théâtre de La Colline, fief de la création originale, à Paris. Pourtant, sur scène, se dresse devant les yeux ébahis du spectateur une immense forêt. Des arbres, nombreux, des feuilles au sol, une lumière faiblarde. C’est dans cette atmosphère un brin inquiétante – le décor rappelle celui d’un film d’horreur – qu’évoluent les deux premiers personnages de cette nouvelle composition de Gisèle Vienne. Après L’Étang, pièce sur un enfant mal-aimé qui fait croire à son suicide, rejouée au Centre Pompidou à Paris, en fin d’année 2022, la metteuse en scène se livre cette fois-ci à une variation horrifique consacrée aux violences sexistes et sexuelles.
Une jeune femme, tenue de gymnastique façon cheerleader, s’avance dans la forêt. Elle est rapidement rejointe par un coach, qui s’approche d’elle. Elle enchaîne les figures, amorties par les mains expertes du coach, visiblement plus âgé. L’ensemble dure quelques minutes. Au bout d’un temps, le coach saisit les membres de la jeune fille, la jette au sol. Une scène répétitive qui rappelle, l’espace d’un instant, le long-métrage de Charlève Favier, Slalom. Pour son premier long-métrage de fiction, la réalisatrice racontait les abus d’un entraîneur sur sa jeune skieuse, campée par Noée Abita.
« I killed her »
La démonstration ne dure pas. Le public comprend peu à peu que ces abus seront le cœur du spectacle, ils disparaissent. Une épaisse vapeur blanche (des brumisateurs sont disposés au plafond) se diffuse sur la scène, pour remonter vers le public, de bas en haut. Ne reste que l’image de cette avalanche de brume, épaisse, troublante, émanant du décor déjà horrifique. On se demande quand le manège va s’arrêter, mais les brumes ne faiblissent pas tant qu’elles n’ont pas atteint les derniers sièges, situés tout en haut de la salle. En fond sonore, un sorte de cri strident, à peine soutenable pour les oreilles. Les lumières s’éteignent.
Dans cette composition, étonnante, troublante, Gisèle Vienne semble passer de la démonstration à la mise en situation. D’abord, représenter les abus par ses personnages, avant de les faire ressentir à son spectateur, comme mis en immersion par le dispositif. Le travail sur le corps est impressionnant. On voit la brume, on la ressent dans la salle (il fait soudainement plus froid), les cris et bruits étranges composés pour le spectacle transpercent les oreilles et retranscrivent une sorte de malaise, qui devient dès lors contagieux. On l’apprend plus tard, la jeune femme est morte, c’est un féminicide. Le mot est posé lors d’un dialogue entre deux personnages masculins – le coach et le petit ami de la jeune femme. Les deux se meuvent comme des zombies dans la forêt qui semblent désormais hantée. Chaque séquence se décline comme une référence au cinéma de genre horrifique. Gisèle Vienne parvient, dans un tour de force, à représenter ce que sont les violences sexistes et sexuelles pour ce qu’elles sont vraiment. L’horreur.
This is how you will disappear de Gisèle Vienne, du 6 au 15 janvier 2023 au théâtre de La Colline.