Pour leur tournée dans l’hexagone, Maze a rencontré Julie Aubé et Katrine Noël, deux des trois membres du groupe indie-folk Les Hay Babies. L’occasion de (re)découvrir ce trio d’acadiennes férues des années 60 et leurs multiples inspirations.
Vous venez toutes les trois du Nouveau-Brunswick Acadie, quelle place cela occupe dans vos chansons ?
Julie : On laisse beaucoup de place à notre héritage, à l’Acadie (ensemble de communautés nord-américaines ndlr) dans notre musique, parce que c’est ce qui nous définit par rapport aux autres bands. Je trouve que le fait qu’on vienne d’une petite culture, avec un dialecte bien particulier, ça fait que notre création n’est pas vraiment québécoise ni vraiment française, puis ça fait que dans la francophonie mondiale, on nous voit vraiment comme un petit quelque chose qui s’est formé à part.
Est-ce que vous pouvez me parler un peu des origines de cette langue, de ce dialecte ?
En Acadie, ce qui est populaire ça s’appelle le « chiac ». C’est un mélange de vieux français, et de mots anglais conjugués en français. Il y a aussi des petits mots qui sont juste moins communs, mais ces mots là ils viennent originellement de la France, parce que quand les Français sont venus au Canada, ils ont d’abord été en Acadie. Donc le chiac, ça serait assez proche de ce qu’était le français il y a 400 ans. Des fois quand on joue en France, en Bretagne par exemple, il y a des gens qui viennent nous voir, qui ont 80 ans, et qui nous disent « Oh mon dieu, j’ai pas entendu ce mot là depuis mon arrière grand-père, ou quelque chose comme ça ! » (rire). Donc en fait c’est ça, c’est beaucoup de vieux mots français qui sont restés dans la langue qu’on parle.
Est-ce que c’est aussi de cette région que vient tout le côté traditionnel qu’on retrouve sur l’EP Folio, votre premier projet ?
Katrine : Un peu, la musique traditionnelle en Acadie c’est beaucoup de violon, un peu celtique. Donc c’est un peu inspiré de ça, mais nous on s’est surtout inspirées du folk américain, des années 60. On aime beaucoup Bob Dylan, des groupes old. En général c’est très calme le folk, c’est vraiment quelque chose qui fait partie de notre enfance.
Est-ce que les sonorités que vous cherchez à explorer puisent leur inspiration dans des choses qui viennent de votre enfance, qui font partie de vous depuis longtemps ?
Katrine : Oui et non, vu que ça fait 11 ans maintenant qu’on fait de la musique, à chaque album ça évolue. Parfois la direction, l’inspiration, change. Notre premier EP par exemple, était plus folk, parce que ça correspondait aux instruments que l’on savait jouer à ce moment là. Puis on avait juste une petite voiture et on voulait que nos instruments passent dedans, on aimait la possibilité de pouvoir bouger librement avec nos instruments. À part quand on est en tournée, on écoute aussi beaucoup de musique dans la voiture, ça nous apporte de nouvelles inspirations, donc des nouvelles choses qu’on va essayer. On achète aussi de nouveaux instruments et ça crée de nouvelles choses, ça change tout le temps. Mais il y a tout le temps cette nostalgie là, de quand on était à la maison avec nos parents.
Julie : Puisqu’on est trois à écrire nos chansons, on a toutes différentes inspirations. Comme Vivianne, qui n’est pas là en ce moment, elle aime beaucoup le noise, le punk, tout ce genre de musique, qui moi ne me va pas tant, mais c’est ça qui nous réunit les trois, c’est qu’on aime toutes le folk, le country, l’americana. On se rejoint vraiment sur ces genres de musiques qu’on aime.
Comment vous décririez votre évolution, de l’album Mon Homesick Heart sorti en 2014 à Boîte aux Lettres, votre dernier album ?
Katrine : Je pense qu’il y a eu comme une évolution du fait que sur notre premier album, c’était pas notre band qui jouait avec nous, on avait un réalisateur qui était super, qui a fait beaucoup de réalisations, mais ça nous a moins permis de mettre plus notre truc. D’ailleurs cette année c’est la première fois qu’on fait une tournée en formation complète, avec les deux autres musiciens qui jouent avec nous.
Julie : Ce qui s’est passé c’est que parce qu’on est des filles, on se fait pas confiance. C’est tellement un métier de gars, que, tu sais comme nous autres, même si on aime tout le côté technique de l’enregistrement, et la réalisation, on n’osait pas trop, au début. On a commencé petit à petit à essayer de jouer de la basse, de la batterie, de la drum, de la guitare, puis de vraiment écrire la majorité des arrangements, de prendre une place dans l’évolution de toute la forme. Donc ça évolue beaucoup de cette façon, et c’est juste parce qu’on vieilli, qu’on a de plus en plus confiance en nous.
Katrine : Puis on ne se dit plus qu’il y a des gens qui seraient meilleurs pour le faire. On se dit juste qu’on sera peut-être pas le meilleur riff de batterie au monde mais ça sera bien, ça sera nous. Puis tu sais, c’est plus amusant pour nous après quand on en vient à monter notre spectacle pour notre show live, on joue les parties qu’on a composées nous-même, et c’est génial.
En termes de processus créatif, d’écriture, de composition, comment vous vous organisez entre vous trois ?
Julie : C’est un travail d’équipe on est trois à ne faire qu’une. On a vraiment appris à se respecter, à entendre les pensées de chacune, puis par exemple comme moi je ne joue pas de batterie mais que Vivianne en fait, elle se met sur le drum, puis elle compose quelque chose. On lui fait confiance, puis parfois on repropose des idées, et c’est un peu comme ça que ça avance. Puis comme on est des musiciennes autodidactes, on essaye vraiment de s’entraider avec amour, surtout que la musique ça peut être vu comme quelque chose de snob, alors que nous on connait rien à la théorie musicale, on a pas de formation, donc on s’encourage à se pousser les unes les autres, en se disant « mais si c’est bien, essaye encore ! » Puis quand l’une veut arrêter on lui dit « mais non, c’est cool c’est cool, continue ! ».
Katrine : Ouais c’est ça ! Puis il y a aussi le côté écriture des paroles qu’on essaye de faire ensemble. Sur le dernier album toutes les chansons ont été écrites de A à Z par nous trois en même temps. Habituellement on loue un chalet, pendant une semaine, puis chaque matin on commence une chanson. Ça n’a pas toujours été ça, parfois l’une arrivait avec une chanson presque complète puis on la finissait ensemble, mais je pense que l’on a vraiment aimé faire ça, écrire du début jusqu’à la fin du morceau ensemble. Je pense que ça sera ça pour le prochain album aussi.
J’aimerais bien que vous me parliez de votre dernier album, Boîte aux lettres.
Julie : Katrine et moi, avant, on avait un magasin de vêtements vintage, puis dans le quartier on avait la réputation d’être les filles qu’on va appeler en disant « hey viens, on est en train de vider une vieille maison, y’a beaucoup de vêtements vintages dans le grenier ». Donc c’est ce qui s’est passé, on nous a appelées on y est allées, et on a trouvé de supers beaux vêtements. On a aussi trouvé comme un sac de pain, rempli de lettres et de cartes postales. On s’est juste dit « Elles sont belles ces cartes postales des années 60 ! ». C’était beau, donc on a pris le sac. Puis beaucoup plus tard, en 2019, quand on s’est mises à vouloir écrire l’album, on a eu une phase sans aucune inspiration, un blocage créatif. On s’est souvenues qu’il y avait ce sac de pain (rires), et on a commencé à lire les lettres, il y en avait à peu près 60 ou 70. Les lettres viennent toutes de la même femme, qui s’appelle Jacqueline, ou Jackie pour les intimes. Elles étaient toutes envoyées à cette maison, où on avait été chiner dans le grenier. Jackie écrivait à sa mère, toutes les lettres lui étaient destinées. Dans les lettres elle racontait son histoire, d’elle à 24 ans, qui déménage de du New- Brunswick pour s’installer à Montréal, à dix heures de route. On comprend très bien que c’est une hyper belle femme, qui s’habille bien, qui présente bien, qui a beaucoup d’attention des hommes, qui s’installe à Montréal en espérant devenir modèle, avoir une carrière, être riche et célèbre. Ses lettres sont incroyables, parce qu’elle raconte des choses qu’elle fait dans la journée, elle raconte aussi qu’il y a des hommes qui l’emmènent en voyage. Elle va dans au 27ème étage d’un hôtel qui vient d’ouvrir, et elle raconte la vue panoramique.
On a quatre ans de sa vie, de 1964 à 1968. On s’imagine les femmes de années 60 mariées jeunes, avec des enfants, c’est ça le stéréotype de ce temps-là, alors que Jackie, c’est le contraire. Puis elle raconte tout à sa mère, elle est très ouverte, elle parle des hommes, des fois elle parle de cinq hommes différents dans une seule lettre (rires). On a pas de lettres de retour de sa mère, c’est vraiment à sens unique. On s’imagine que sa mère aurait aimé avoir une vie comme ça, elle aussi.
Katrine : Pendant deux ans, on a lu les lettres, puis on a fait des fiches, on a vraiment fait les détectives, on a essayé de parler à des gens, on a fait beaucoup, beaucoup de recherches. Elle nous a tellement habitées, en plus on portait tout le temps ses vêtements, elle avait du linge cool des années 60, elle s’habillait comme une California Girl. C’était un trésor de trouver ces lettres.
Est-ce qu’il y a des thèmes, des sujets que vous cherchez à aborder dans vos chansons ?
Julie : Il y a un côté féministe, sans avoir vraiment essayé faire ça, probablement juste parce qu’on est des femmes. Mais aussi il y a peut-être tous les questionnements qu’on s’est posées, on y a répondu dans les chansons. Par exemple, avec les lettres de Jackie, on se demandait ce que sa mère lui répondait, et c’est comme ça qu’on a écrit la chanson Same Old, Same Old, qui correspondait à une réponse de sa mère.
Katrine : Puis il y avait aussi tout le côté où elle racontait qu’elle sortait le soir, qu’elle a quitté la maison, puis on sentait qu’elle avait une drôle de relation avec son père, ça soulevait beaucoup de questionnements. Pendant deux ans on a tellement été habitées par ces lettres, qu’au final on s’est répondu à nous mêmes, on a inventé nos réponses.
D’où vous vient votre attrait pour l’esthétique des années 60, qui est omniprésent dans vos créations ?
Julie : Même avant qu’on soit dans le bain, c’était quelque chose qu’on faisait déjà. À l’école, quand j’avais 14 ans, je portais déjà des pantalons pattes d’éléphant et des bottes de cowboy. Je pense que quand on s’est rencontrées toutes les trois ça a été un point d’accroche, on trouvait toutes les trois la mode d’aujourd’hui weird. Donc ça a toujours été un point commun, comme si c’était à cause de la musique qu’on écoutait qu’on était habillées comme ça.
Vous faites beaucoup de concerts, vous bougez beaucoup, quelle influence ça a sur votre groupe ?
Katrine : On adore ça, on adore faire la tournée, puis on a un band qui s’adore. On est comme des meilleures amies, donc imagine, si t’étais avec tes meilleurs amis, t’as la chance d’aller faire une tournée, un voyage en France ou un voyage aux États-Unis, ce côté-là est super. Puis il y a aussi le côté où, si tu veux gagner ta vie en étant musicienne, il faut faire de la tournée. Parce qu’avec les plateformes de streaming comme Spotify, c’est difficile de gagner sa vie. La tournée c’est tout ce qu’on connait, on fait ça depuis toujours, faire de la musique c’est notre premier job. Et on a investi tellement de choses dans ce qu’on fait, que c’est ça notre métier, on continue, et on a envie que ça devienne de mieux en mieux !
Quels sont vos projets pour la suite ? Votre dernier album date de 2020, qu’est-ce qui se passe maintenant ?
Julie : Là on veut vraiment aller en Louisiane pour écrire, s’inspirer, faire notre nouvel album, et continuer comme ce qu’on fait, mais on espère juste qu’on continuera à rencontrer de nouvelles personnes, pour évoluer encore.