L’ancienne icône du groupe de punk rock britannique The Libertines, retiré en Normandie, a présenté en live son dernier album, composé avec le guitariste Frédéric Lo. La composition, tout en délicatesse, a drainé des fans de tout âge.
D’habitude, un concert au beau milieu de Paris, on peut le voir à des dizaines de mètres. Les gens se massent devant les portes encore closes d’une salle de spectacle, patientent dans le froid hivernal, discutent, se remémorent leurs meilleurs souvenirs d’autres concerts, festivals, moments musicaux suspendus qui laisseront un souvenir inoxydable. Pas ici.
Ce soir du 10 décembre, lorsque l’on se présente à l’entrée de la prestigieuse salle Pleyel pour Peter Doherty, la rue réserve tout son fracas au Maroc, qui vient de se qualifier pour la demi-finale de la Coupe du monde. Les voitures s’agglutinent, klaxonnent, recouvrent tout. Il ne fait même pas si froid que ça. On est le 10 décembre 2022, le réchauffement climatique a fait son œuvre.
Des spectateurs entrent dans le grand hall au compte-gouttes, pas de foule dehors, seulement une queue pour pénétrer la salle de concert. L’ambiance est un peu étrange. Un peu feutrée. Le public, comme Peter Doherty lui-même, n’est pas très jeune. Trentenaires et quinquagénaires, principalement, sont venus comme observer une minute de silence devant le Britannique qui s’est exilé en Normandie après tous les excès des années 2000.
Un couple sirote du champagne dans des flûtes en plastique. D’autres ont des bières à la main. On attend. À droite de la file d’attente, un petit stand de merchandising. On peut acheter The Fantasy Life of Poetry & Crime, le dernier album du rockeur. Mais rares sont ceux qui s’aventurent à acheter ce dernier album et ses douze titres mélancoliques nés d’une collaboration avec le musicien français Frédéric Lo.
Morosité ambiante
Lorsque les portes s’ouvrent, on s’engouffre avec plaisir dans la salle ; des places dans la fosse, au pied de la scène, nous attendent. On l’a dit, pas de queue à l’entrée, pourtant Pleyel est comble ce soir. Après quelques minutes d’attente, un gamin d’une vingtaine d’année, peut-être vingt-cinq, surgit sur scène. Il a des airs de dandy de Saint-Germain-des-Prés et récite un rock sage. Les paroles sont mauvaises mais les accords, proches de ceux des Libertines, créent un rythme.
Il est accueilli froidement par la salle qui ne se donne même pas la peine de se déhancher. La performance dure quelques minutes, une dizaine, douche comprise. Il oublie de donner son nom, mais évoque sur scène un album à venir. Des applaudissement polis closent la performance.
Une deuxième première partie de Thomas Baigneres & Pregoblin met en scène un autre rock, plus anglais, plus électro. Peter Doherty passe une tête et chante un morceau avec les deux musiciens, qui se remuent sur scène, dont l’un en caleçon et lunettes de soleil. Derrière nous, dans la fosse, un couple de trentenaires critique ouvertement la performance et insulte les artistes.
Les deux quittent la scène dans cette atmosphère toujours flottante, un peu froide, on se remet à attendre le clou du spectacle. Un autre spectateur, excédé par le couple et ses remarques, s’énerve contre eux. On croirait qu’ils vont se casser la gueule. D’autres gens autour essaient de calmer le jeu. « On est tous là pour voir le concert », avance le jeune homme aux remarques, bière à la main. L’autre se calme et s’éloigne.
« Il a une voix magnifique »
Lorsque Peter Doherty apparaît enfin au terme d’une longue attente, la salle se laisse aller à une effusion de joie. Le Britannique, retiré en France depuis quelques années, n’a plus la silhouette de ses vingt ans. Il s’avance sur scène, costume et pinte de bière à la main, salue le public. Arrivent avec lui deux gros chiens qui se promèneront en liberté pendant tout le concert. Peter Doherty se pâme avec l’assurance de celui qui en a vu d’autres, ne se donne pas la peine de construire une mise en scène, son talent suffit.
Après les chiens, Frédéric Lo apparaît à la guitare et une femme – la sienne -, officie pieds nus sur le clavier. Micro à la main, il donne une version acoustique de son album déjà hyper acoustique et mélancolique. C’est lent et délicat, presque un slam. Dans le public, une jeune femme s’écrie : « Il a une voix magnifique ! » L’ancienne rock star ne fait pas d’effort, n’a pas besoin, c’est magnifique.
Chaque salve de mot se dépose délicatement dans la salle, qui fait silence pour recueillir les éclats de voix, rares. Deux pintes de bière sont disposées sur une table, sur scène. Peter Doherty a composé son dernier album comme une ode à la sobriété, à Arsène Lupin et à la vie recluse. La sobriété semble loin.
Le concert se déroule comme une messe, interrompue par certains fans, qui viennent rappeler l’ancienne vie de Doherty. Une photographe faussement accréditée et ivre morte bouscule les spectateurs pour prendre des photos. Elle manque de se battre avec une mère de famille. Plus tard, une autre femme improvise et se met à hurler au pied de la scène. Le chanteur s’avance vers elle, tout le monde l’a vue.
Elle tend le bras, elle s’est fait tatouer son nom et veut lui faire savoir. Il dépose du bout des doigts un baiser sur la femme qui ne le lâche pas, et continue de pousser des hurlements. Le couple qui avait failli se battre au début pousse des hurlements, lui aussi. Ils balancent un cigare et un briquet sur la scène. « We brought this for you Pete », hurle la jeune femme. « Le prix de l’amende, quand on fume dans une salle, est plus élevé que ce que me rapporte cette soirée », plaisante-t-il au micro, avant de l’allumer. Entre deux bouffées de tabac, il reprend les titres de son dernier album, « Invictus », « The Monster », « Rock’n’roll Alchemy ».
Le couple se remet à hurler des remarques, à commenter la performance. La musique de Peter Doherty, malgré les sonos, n’est pas forte. On n’entend qu’eux. Les gens, dans la fosse, prennent sur eux pour ignorer jusqu’à la fin du concert. Arrivés à court de titres – leur album n’en compte qu’une douzaine -, les deux interprètes en reprennent d’anciens. Doherty termine ses deux bières, salue avec toute sa troupe dépêchée sur scène. La performance se termine avec de courts applaudissements, à peine deux rappels.
Et illustre toute l’ambiguïté de l’artiste, ultra-talentueux mais disparu des radars depuis des années. Se sont côtoyés pour quelques heures fans hardcore, nostalgiques de ses excès des années 2000 – l’espace d’un instant on eût cru que toute la salle était bourrée aussi -, et admirateur de sa délicatesse nouvelle.