La famille, un cocon doux et protecteur ? Sûrement pas, répond Ursula Meier avec La Ligne. Un drame familial surprenant.
La séquence d’ouverture l’annonce : La Ligne sera brisée, faite de ruptures de rythme, de violence et de temps morts. Car Ursula Meier a l’art de maitriser les ouvertures in medias res. Dans un lyrisme décomplexé, la réalisatrice filme le face à face de deux femmes. La plus jeune tente d’attraper la plus vieille, de la frapper, de la griffer. Des hommes, peu au courant de la façon idoine de disposer de leur imposante carrure dans cette situation, laissent échapper la frêle jeune femme. Au ralenti, rage et peur prennent le masque d’horribles grimaces déformant les visages. Les chocs trouent la symphonie qui rythme le féroce ballet. Et puis, finalement, les mâles se ressaisissent et jettent la prédatrice hors de la maison. Mais ils arrivent trop tard, comme souvent. La proie est devenue victime. Le traumatisme la laissera à moitié sourde.
Cette ouverture, intense, laisse un sentiment de perplexité bienvenu. Ursula Meier y frôle constamment le kitsch et cède quasiment aux sirènes de la virtuosité. Mais il y a dans La Ligne cet ingrédient secret qui maintient, in extremis, la funambule sur sa corde. Force rare, précieuse et surtout, peu répandue. On la retrouve par exemple dans les premières œuvres de l’ancien prodige québécois, Xavier Dolan. Il y avait dans les éclats de colère de l’ado de J’ai tué ma mère, cette même tentation du trop-plein, toujours tempéré en dernière instance par un je-ne-sais-quoi bienfaiteur.
Et c’est cette même tension qui traverse toute La Ligne. Car on apprend rapidement que les deux antagonistes sont mère (Valeria Bruni-Tedeschi) et fille (Stéphanie Blanchoud). Et que cette dernière n’en est pas à son premier éclat de violence. Cette fois-ci, elle se retrouve sous le coup d’une mesure d’éloignement : elle ne peut plus s’approcher à moins de 100 mètres du domicile familial.
Une institution comme une autre
Margaret, la fille, se retrouve donc expulsée de son lieu d’habitation. Et c’est sa plus jeune sœur, Marion (Elli Spagnolo), qui se chargera de maintenir le lien entre les deux. Mais qu’elle existe à l’intérieur de la maison, ou l’extérieur, la cellule familiale demeure un lieu d’enfermement. Dans La Ligne, la famille n’est pas simplement dysfonctionnelle. Elle apparait comme le lieu d’une grande violence, à rebours de tous les récits la consacrant comme refuge. À ce titre, le personnage de la mère, à laquelle Valéria Bruni-Tedeschi donne une couleur inattendue – du risible au sinistre – apparait comme le point nodal d’une cellule familiale fermée sur elle-même.
Cette incapacité à regarder vers l’extérieur trouve une forme radicale dans la violence du personnage de Margaret. Une façon comme une autre de rompre avec la verticalité de la transmission familiale. Car la mère, ancienne musicienne renommée, n’a, semble-t-il, que cela à transmettre à ses filles. Mais cette violence de la rétractation du soi familial sur lui-même, trouve une autre forme d’accomplissement dans la crise mystique que traverse Marion.
Dedans, dehors, à cent mères ou au corps à corps, la famille est aussi une institution que l’on ne peut exempter de remise en cause. Dans ce décor composite, entre HLM et maison pavillonnaire, entre montagnes et terrain vague, il va falloir remettre un peu d’horizontalité dans tout ça. Et que l’on ne vous reprenne plus à rêver de réconciliation.